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PORTRAITS : Pop art, pas mort ?

50 ans après les soupes Campbell de Warhol et les « Girls’ romances » de Lichtenstein , le Pop art change de mains mais garde la ligne avec trois drôles de dames irrévérencieuses, Karen Joubert Cordier, Sharon Jones et Anne de Renzis. Triptyque panoramique…

Elles ont en commun d’être femmes, cultivées, impertinentes, de résider sur la Côte et de s’approprier chacune à leur façon un courant qui marqua le paysage contemporain. C’est avec le Pop art que les artistes anglais puis les américains pointèrent dans les sixties l’influence que peut avoir la publicité, les magazines, les bandes dessinées, le cinéma et la télévision sur nos modes de vie. Revival, obsolète en 2009 pas sûr ! Car en dépit de la récupération commerciale qui a décimé cette contre-culture, certains artistes continuent à se l’approprier à des fins légitimes « Non, non rien a changé, tout a continué ! » chantait déjà en 1970 les Poppies à la Télé. 40 ans plus tard avec la mondialisation, et une planète prise en flagrant délit de boulimie, le Pop art aurait-il retrouvé une nouvelle jeunesse ?

Karen Joubert - photo © jch dusanter

Karen Joubert « La foire aux immortels »

Le pop art a réussi là où l’esperanto a échoué. Son langage universel fait d’icônes relie les peuples et les générations plus sûrement que n’importe quelle organisation mondiale. Ce n’est pas Karen Joubert qui fait transiter de part le monde ses œuvres entre figuration narrative et Bande dessinée qui vous dira le contraire.
Elle partira au Japon en août puis pour le Hong Kong Art Center pour présenter en très grand format ses « BD pop ». Mais Karen n’a jamais perdu de vue l’esprit de désacralisation qui anima le mouvement à l’origine « Les Marylin, les Mickey ont été si usés par la récupération bon marché que l’esprit du Pop art est devenu à son tour un cornet surprise sans surprise » . Alors pour nous remettre les yeux en face des trous elle balance dans « action painting » des pots de peintures sur nos icônes dévitalisées. Jeu de massacre, attraction/répulsion, accumulations ? Son œuvre est la croisée de tous ces chemins plus un, sa propre vie que Karen joue à mettre en scène par touches anecdotiques dans ses toiles XXL.

- « Transes Atlantiques »

Franco-américaine, née le 29 août 1954 d’une mère américaine et d’un père français commandant de bord des paquebots, Karen a traversé 49 fois l’Atlantique. Une enfance rêvée à bord de prestigieux paquebots, dans de luxueux palaces en Californie et en Europe. Mais aussi par des longues journées au Havre avec une maman qui ne parlait pas un mot de français mais savait si bien conduire aux USA son fringuant cabriolet avec des lunettes en écailles. Après le décès de celle ci, Karen s’oriente vers des cours de dessins et d’architecture à l’école Charpentier. A 21 ans elle épouse un jeune artiste thaïlandais fils adoptif du marchand d’art et collectionneur Daniel Cordier. Ce dernier découvrant le potentiel de sa belle fille va la prendre sous son aile. Un apprentissage qui durera de 1981 à 1987 avant que Karen n’expose sous l’égide de Marianne et Pierre Nahon. « C’est Martin Guesnet, aujourd’hui chez Artcurial qui s’occupa de l’accrochage. Le vernissage en présence de personnalités telles Françoise Giroud, Arman, La princesse de Breuil, l’écrivain Azéma, fut un tel succès que j’ai tout vendu le soir même ». En 1989, Daniel Cordier intègrera deux pièces majeures de Karen à sa donation de 500 œuvres au Centre Pompidou. Deux pièces aujourd’hui exposées au « Musée des abattoirs » de Toulouse. Mais les ambitions démesurées de son beau-père pour elle, finissent par étouffer le couple. Karen craque, divorce et décide de voler de ses propres ailes « Pour me recentrer, j’ai réalisé en 3 mois une BD Pop de 10 mètres en hommage à mon père qui retrace l’aventure des paquebots de la Transatlantique et mon enfance à bord. » Après un passage difficile où elle est soutenue par l’artiste allemand Peter Klasen et son épouse, Karen continue de peindre, collaborant un temps avec la décoratrice Jacqueline Morabito.

- Grand format pour grande voyageuse

Et depuis 2004 l’artiste a enchainé à nouveau expositions et commandes. S’appropriant les techniques apprises et jouant de l’accumulation des détails, elle privilégie aujourd’hui la spontanéité, le geste à la manière des grapheurs « Tout est déjà défini dans ma tête » dit-elle. Sa peinture qui se veut autobiographique inclut pêle-mêle sa vie privée, des lieux et de personnages anonymes ou célèbres, imaginaires ou réels. Super héros, acteurs, figures légendaires, « passagers en transit », s’y côtoient faisant fi de la géographie, du temps, le pinceau de l’artiste y veille « Je suis née en 1954 aux Etats-Unis, j’ai grandi dans cet univers multicoloré, démesuré, où même la légèreté est excessive. J’allais à Disney World tous les étés, dévorais les BD de l’époque, c’est un univers qui fait partie de moi ». Guère surprenant que Karen commence toujours ses toiles par le trait au feutre noir indélébile sans croquis préalable, de façon instinctive. Sur ce principe elle réalise en 2004 une série de 20 tableaux sur la « Riviera » des années folles à nos jours inspirés par les romans d’Agatha Christie. Des toiles qui seront exposées à Nice et partiront en 2005 pour La French Affair à Singapour. Car cette insatiable globetrotteuse, dévoreuse de cultures, se nourrit d’ailleurs, croquant sur ses carnets de voyage, le monde qui défile comme un cartoon de AAP. Depuis 2006 les portes s’ouvrent à nouveau de l’Europe, aux USA via l’Asie. Chine, Elle était il y a quatre ans au Costa Rica, l’an dernier à Calvi à la galerie Marie Ricco, inaugurait au printemps une fresque pour le CERAM de Sophia Antipolis. Et les dimensions des commandes sont toujours plus grandes ! Après le Japon où elle inaugurera le 28 août (le jour de son anniversaire) une peinture murale de 10 mètres, une autre de 20 m en extérieur pour une méga discothèque (ALIFE) elle s’envolera pour Hong Kong où elle a déjà livré 80 toiles « j’y retourne en automne pour installer des pandas géants, une fresque de chevaux pour l’hippodrome, des peintures sur d’immenses sphères au Hong Kong Art Center ». Et l’an prochain ? Destination le Canada où un mécène a craqué pour son travail à Toronto.

Aujourd’hui Karen s’épanouit dans ses « BD POP » la customisation d’objets, selon l’envie, mais aussi en peignant d’étonnantes jungles d’une précision et douceur quasi palpable, un univers où elle aime se ressourcer « C’est mon jardin secret, une entreprise digne des travaux de Pénélope où je renoue avec l’esprit années 50 ». Mais quoiqu’elle créer, Karen Joubert n’a jamais cessé de voyager et d’exprimer sa vision panoramique colorée et complexe de nos sociétés urbaines. Son quotidien, une sorte de work in Progress où elle rend à la vie ce que la vie lui donne de plus précieux. « Dont look back » semble être la devise de cette artiste qui va de l’avant et trouve parfois le temps de se poser dans sa villa atelier de Roquefort-les-pins. Mais si vous la cherchez, c’est plus sûrement dans ses toiles que vous la trouverez !

« Alice n’est plus ici ! »

Née dans le Kent, Sharon Jones renouerait elle avec l’origine du Pop art ? Ses peintures sur la base de croquis traquent ce moment où le réel bascule dans l’imaginaire. Une invitation au pays de Lewis Carroll sur fond de culture seventies.

Sharon Jones- photo © jch dusanter

Sharon comme Karen est elle aussi une grande voyageuse qui posa ses valises à Nice en 1998. Après avoir suivi l’école hôtelière puis une formation de croupier à Londres (black jack et roulette) elle embarque à 20 ans sur un paquebot transatlantique (décidément, c’est une manie !) Direction, les Caraïbes et les USA via le canal de Panama. 18 jours pour arriver à Vancouver où elle s’installe et reste 6 mois. Mais il faut faire bouillir la marmite, Sharon trouve un autre paquebot et redescend au Bahamas. Pendant deux ans, elle mènera la vie de bateau « Un petit village flottant où je ne travaillais que lorsque que le navire frayait dans les eaux internationales » Après un séjour à Amsterdam, la voilà qui débarque à Nice à 24 ans. Elle y ouvre d’abord un bar tapas en 91 puis un restaurant indien dans le vieux Nice.

- Une anglaise romantique

S’intéressant à l’art depuis longtemps Sharon suit des cours à la Villa Thiole et à La Villa Arson. Catherine Macchi, Jacqueline Gainon seront ses professeurs. En 2001, elle s’inscrit à la MGM, l’école d’art appliqué de Cimiez où elle apprend les techniques de l’hyper réalisme. « J’ai travaillé le dessin et la peinture à partir de photos et d’images. Mais à la projection de l’image sur la toile, je préfère dessiner a main levée car tout passe alors par mon cerveau. Le papier et le crayon, c’est le plus simple moyen d’expression » Le trait donne à ses compositions une valeur ajoutée qui lui est bien propre. Si son « fond de commerce » s’apparente à l’univers du Pop art, sa manière s’en détache évoquant parfois l’expressionnisme dans ses portraits aux traits qu’elle reconnait plus froids et rigides que se produisit le mouvement américain. Ainsi cette peinture de Ronnie Briggs et de son épouse. « En 1963, il réalisa le hold up du siècle en attaquant le train postal Glasgow/Londres faisant rêver toute une génération. Après une cavale de 36 ans, il est rentré sans un sou dans son pays où il retrouva sa place en…prison. Un casse, une cavale c’est aussi une manière radicale de passer de l’autre coté de la réalité » explique Sharon qui fugua à 13 ans et se reconnaît plus dans le travail de David Hockney. Un sujet britannique qui gagna la Californie et participa à l’éclosion du Pop art tout en continuant à croquer ses amis aux crayons de couleurs. Ainsi pour Sharon tout a commencé par le dessin et l’Angleterre. Elle y exposa au Café Troubadour, un club londonien avec galerie où Dylan fit ses débuts. Et n’oublions pas que la Perfide Albion a vu naitre Le Pop art au milieu des années 1950 avant qu’il n’explose dans les années 60 avec sa filière américaine.. Le terme (« art populaire » en français) y fut prononcé officiellement pour la première fois en 1955 par Lawrence Alloway, un critique d’art anglais.

- Mon beau père était un Dalek !

Pour Sharon Jones, ce chassé croisé entre l’oncle Sam et sa royale majesté, c’est la toile de fond de sa prime jeunesse. Celle d’une enfant née avec le free cinéma en 1964 dans le jardin de l’Angleterre où sort comme une taupe aujourd’hui l’Eurostar « l’Amérique a colonisé nos subconscients après la guerre. Elle était très innovante en terme de technologie et de marketing. Et comme ma mère était divorcée et que j’étais l’ainée, j’avais le droit d’aller au cinéma et de regarder la Télé avec elle ». Une lucarne dont elle fit son miel au fil de son parcours. Les Thunderbird (Sentinelles de l’air) et son monde marionnettes futuristes mais surtout les Daleks de la série culte « Docteur Who ». Ces redoutables robots en fer blanc, (ancêtre de D2 RD) dont le seul but était d’assujettir la terre ont pénétré son foyer en brouillant réalité et fiction « Mon beau-père avait lui même interprété dans un épisode un de ces terrifiants robots qui grondaient d’une voix métallique « We will exterminate ! ». J’avais treize ans quand il s’est remarié avec ma mère. Je l’ai dessiné à nos côtés comme le Dalek venu briser le cercle que nous formions avec ma mère, ma jeune sœur et mon frère. Ce fut une sorte de thérapie ». Elle croqua également la série « H.R puf n’stuff » « Ce serial créatif et burlesque avec une sorcière et un oiseau gay surfait sur la vague psychédélique. Hand Rolled Puf (fumer) et stuff (les choses) signifie « fumer les choses » Plus tard j’ai su que mon émission préférée était un trip inspiré des expériences de Carlos Castaneda aux champignons hallucinogènes ». Mais voici quelques petits cadres carrés qui cachent derrière leur verre un autre secret. Cette fois il s’agit de broderie et les sujets ne sont rien moins que des couples qui font l’amour. Un Kamasoutra à l’heure du thé ? « La broderie c’est comme le dessin et le coté voyeur me fascinait depuis le film de Michael Powel : Peeping tom. Pour ces huit saynètes libertaires, j’ai emprunté l’imagerie érotique des années 70. J’ai voulu confronter deux univers féminins qui s’opposent habituellement, l’érotisme et la broderie ».
Revisitant son enfance par la bande de la culture et de plasticiens comme Sam Taylor Wood ou Peter Doig, Sharon reconnaît en Lewis Caroll un maître à penser qui éclaire sa démarche et habite son travail. Toutes ces Alice/lolitas en fleurs sont en prise avec un monde qui se dérobe sous leurs pieds. « La chasse au Snark est mon livre de chevet. L’écrivain a ouvert une brèche dans la réalité. Le Snark, c’est la recherche de l’absolu qui conduit à une chausse-trappe existentielle à l’image de cette petite société qui s’embarque sur bateau pour traquer un animal qui n’existe que dans leur imagination ».

Anne de Renzis « Un doux parfum de scandale »

Née avec le Manga, devenue adulte avec « Sex in the city » l’œuvre de cette jeune artiste trentenaire, provocante et introspective derrière son apparente légèreté, séduit certains autant qu’elle en dérange d’autres, chercher l’erreur !

Anne de Renzis- photo © jch dusanter

Anne de Renzis s’est engagée sans concession dans une sorte de journal intime en peinture. Chacune de ses toiles sont pour elle un moyen de se libérer de ses affres de jeune femme moderne, indépendante, face à la pression des médias qui dictent parfois insidieusement nos attitudes en matière d’alimentation, de sexe, de mode. Y aurait-il donc un fossé si grand entre le discours d’émancipation des femmes et ce qu’on leur propose en rayons ?

- Attentat pâtissier

Artiste peintre issue de l’ Ecole Nationale des Arts Appliqués Olivier de Serres (Paris) et de l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Bourges, Anne développe un graphisme dérivé de la mode, du cinéma et de l’animation japonaise et qui plutôt que de s’y complaire, s’en empare et s’en libère. Entre Pop art et Manga, elle avoue son faible pour les collages de Martial Raysse, le mauvais goût de Wim Delvoye qu’elle revendique en transformant par exemple un lot d’outils de jardins en forme de nain en une série d’objets tabous fonctionnels pour s’occuper de son jardin… disons, très secret ! Après avoir vécu à la Ciotat, Anne de Renzis s’installe à 24 ans à Nice où elle partage aujourd’hui sa vie entre son atelier à quelques pas de la place Rossetti et son poste de communicante au sein du Syndicat des architectes. Elle a commencé Jeune « A trois ans, j’avais déjà mon chevalet. Toute petite je voulais être peintre ou pâtissière » Un dilemme qui peut expliquer sa gamme de couleurs bonbons acidulés, d’autant plus que l’artiste avoue entretenir un rapport complexe avec la nourriture « Dans une série je quantifie ce que j’ingurgite, en fait je passe au crible tout ce que je fais au quotidien » . Une attitude compulsive qui trouve un écho dans sa pratique de la peinture qu’elle veut « mécanique, ça me rassure ! » dit-elle « J’ai des croquis préalables qui me donnent toujours la direction, ensuite je dessine au feutre sur la toile puis travaille avec des aplats de couleurs auxquelles je rajoute parfois des marquages au scotch ». Une technique mixte douce qui renvoit aux procédés de ready made développés par Rauschenberg, un franc tireur du Pop art qui rajouta à ses toiles des éléments prélevés au monde réel.

- gt d’honneur, un trait de Manga

Mais Anne de Renzis enfant des années 80 a été fortement imprégnée par la culture Punk et Manga. Une influence qui émerge dans ses compositions. Son interprétation libertaire du Pop art fait référence à l’agitprop (propagande), évoque les prémices du mouvement Bazooka dont les pionniers furent Kiki Picasso (qui signa le générique TV de Chorus, la première émission rock d’Antoine De Caunes) et Romain Slocombe fasciné lui par l’art médical et le bondage nippon. Coté BD son graphisme post-nucléaire évoque parfois Chantal Montellier dont l’érotisme féministe lui valut d’être décommandée en 2007 du festival de Bd de Lausanne. Anne avoue ouvertement « une réelle passion pour le Japon, sa littérature, son imagerie, les couleurs, la calligraphie et les symboles urbains. La plupart de mes choix fonctionnent image par image, comme un jeu des cadavres exquis. Le Pop Art, je ne peux difficilement aller contre ça ! Mais si on doit me définir sur ce repère, disons que j’appartiens aux dérives actuelles du mouvement » Sa bimbo BCBG n’est, elle, la suite logique de la Marylin de Warhol ? Et derrière les faux semblants, l’artiste ne triche pas, tendant volontiers un miroir à son époque en lâchant la bride à son ressenti. Excepté une exposition à Milan, Anne a toujours montré son travail lors de soirées vernissage dans des lieux décalés comme à la Charrette des Architectes à Nice. Et comme elle revendique son travail en tant qu’auto-analyse, elle aborde sans détour, en full frontal le sexe et autres sujets tabous. « La réaction du public est parfois inattendue. On me demande si je déteste les hommes, on me soupçonne même d’être érotomane pour employer un mot poli de la langue française ».

Il est vrai que tout le charme des exercices de tirs à l’acrylique où la bombe de cette jeune fille dont le père fut curé et la maman Kiné, reposent sur le décalage entre une forme tendre voire doucereuse et des thèmes traités de façon crus. Anne De Renzis, c’est un peu comme si on collait un poster de Play boy dans une chambre de bébé. Excessive, visionnaire ? Et si son travail était tout simplement réaliste au risque de se faire encore des amis un soir de vernissage !

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