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GALERIES : Des cimaises faites maison !

Et si l’art plastique manifestait lui aussi le besoin de sortir de son ornière mercantile ou du moule muséal, de s’offrir des chemins de traverses. Exposer dans des lieux non adaptés, s’exprimer en terrain neutre voire accidenté, le concept n’est pas nouveau. De tous temps des galeristes ont reçu chez eux des collectionneurs pour présenter leurs coups de cœur et de façon moins confidentielle, Lola Gassin à Nice. Certes on a vu des squats ou des friches de Londres à Berlin drainer plus de monde que certaines galeries avec pignon sur rue, mais avec la Maison abandonnée et la Maison galerie singulière, deux « foyers des arts » à l’aise dans leurs cimaises improvisées, c’est encore un autre profil d’accueil qui s’est imposé à Nice, « une sorte de retour au communautaire sans le pathos » tient à préciser Jeremy Strauch, adepte d’un art contemporain qui n’hésite pas à briser sa coquille pour mieux se montrer.

Les galeries ferment, les maisons rouvrent ! « Singulières » ou « abandonnées », appartements ou villas, l’art contemporain a pris à Nice ses quartiers chez des particuliers, qui, s’ils ne sont que semi-professionnels ne sont pas qu’à moitié passionnés. Utopie, épiphénomène, en attendant, ça marche !

La maison abandonnée : Des expositions dans le jus

« Papa est en haut, il fait des travaux, maman est en bas elle fait des expos ! » pourraient fredonner les 4 enfants (Louise, Thomas, Bénédicte, Sophie) de François et Hélène Fincker, heureux propriétaires de la Villa Caméline. Une villa rebaptisée paradoxalement depuis qu’elle est revenue à la vie : « la Maison abandonnée » ! Née en 1920 au flanc de Cimiez sur son versant ouest, à deux pas de l’église Jeanne D’Arc, la demeure de maître est sortie de 15 ans de sommeil en 2001 lorsque ce couple originaire d’Alsace décide de l’acquérir « Nous habitions juste à coté de cette maison mystérieuse livrée aux squatters, pendant six ans elle nous a fait les yeux doux. On a fini par craquer ». Depuis, Hélène, attachée de presse des Musées Nationaux de la Côte d’Azur et son époux, spécialiste en médecine nucléaire, restaure l’ancienne demeure de maître avenue Montplaisir par petites touches en prenant soin de ne pas gâter son jus « Elle a été dessinée à la Belle Epoque pour un pâtissier niçois par l’architecte Adrien Reiss, qui a édifié également la Chambre de Commerce de Menton et l’Ecole Normale. C’est le lieu où je me fais plaisir, ce qui permet à cette maison de revivre autour d’événements artistiques de qualité. Nous y passons le plus clair de notre temps, mais nous n’y habiterons jamais ! Pour nous, elle restera toujours un rêve d’enfant, la cabane au fond du jardin !( rires) »

Maison abandonnée Hélène Fincker © J-Ch. Dusanter

Une annexe de luxe avec ses 300 m2 sur trois niveaux, ses moulures « meringuées » son envolée de marches à la française, son jardin sauvageon piqué d’orangers et sa vaste terrasse à l’italienne. Et si ses propriétaires continuent de vivre dans leur ancien domicile sur le terrain mitoyen, la Maison abandonnée ne l’est plus pour tous ! Fort des 3 ou 4 expositions qu’Hélène organise annuellement, elle est devenue un lieu d’art et de culture incontournable qui brasse la création locale, des artistes étrangers comme le gotha des acteurs de l’art en région « Nous avons pendu la crémaillère avec la Station et reçu depuis des artistes locaux comme Marc Chevalier ou Stéphane Steiner, d’autres venus d’Alsace : Christophe Meyer, François Nussbaumer, le peintre Pascal Poirot, invité quelques semaines plus tard au Musée d’Art Moderne de Strasbourg, la suissesse Agnès Dallenbach, le vidéaste plasticien belge « Messieurs Delmotte » en partenariat avec la galerie Sandrine Mons » Des rendez vous collectifs sont même nés ici avec l’association le Labo sur le thème du cabinet (érotique, névrotique, démocratique) présentant chaque année les œuvres d’une trentaine d’artistes pour la plupart issus de la Villa Arson. Au printemps dernier, c’est le collectif « Und 5 » composé lui de plasticiens autrichiens, allemands et hollandais qui venaient courtiser la belle cendrillon. Tous sans distinctions d’origine ou de pratique se sont nourris de l’imaginaire de cette maison dont la façade kitsch n’aurait pas dépareillé dans une opérette viennoise. Tous ont su composer avec ses murs vintage et tagués (séquelles des années de squat), sa hauteur de plafond, l’éclairage de vieux lustres en perles de verre, afin de créer une scénographie sur mesure, de s’approprier le lieu. Une règle du jeu à laquelle Catherine Macchi, commissaire d’exposition qui œuvra à la Villa Arson puis chez Soardi s’est pliée aussi signant plusieurs expositions dont au printemps encore celle du peintre Joao Villhena. Même succès lors de lectures ou happening organisés avec le poétesse Cécile Mainardi (ex de la Villa Médicis), Gérard Malanga (ex partenaire d’Andy Warhol), Joseph Mouton, l’écrivaine Maryline Desbiolles ou Sophie Taam ou encore lors de soirées privées relayant des événements locaux et nationaux. La dernière en date étant le concours de design organisé chaque année par la Maison Malongo.

« Je souhaite faire partager mes goûts, mes passions tout en ouvrant ce lieu à la création sans frontières » explique Hélène qui entre son travail d’attachée de presse, l’organisation de ses expos, son engagement avec l’association BOTOX et sa petite famille trouve encore le temps d’arroser son potager. Car la passion qui l’anime semble le meilleur des carburants. Ainsi l’année 2010 verra dès les beaux jours se succéder aux murs de la Maison abandonnée les photographies sur Berlin d’Anne Favret et Patrick Manez (South Art) puis les œuvres de Michou Strauch. Une artiste qui n’est autre que la maman de Jérémie Strauch, à l’origine d’une autre maison pas vraiment close non plus… !

La Maison/galerie singulière : ça déménage !

©J-CH Dusanter

« J’ai tenté d’échapper à l’art, il a fini par me rattraper » commente avec un brin d’ironie Jérémie. Enfant de la balle, né d’une mère artiste proche de Fluxus, d’un père qui professa à la Villa Arson et avec un beau-père directeur de l’école de Photographie d’Arles, il aurait pu emprunter l’itinéraire d’un enfant gâté. Mais avant d’ouvrir en 2007 La Maison/galerie singulière qui n’est autre que son propre appartement au 1er étage d’un vieil immeuble niçois, Jérémie a passé son BAFA et suivi un parcours d’éducateur social qui l’emmena de Nantes à Marseille puis à Nice. De retour au bercail, il a 30 ans « La maison singulière est née spontanément, en 2006. Je cohabitais avec une amie qui exerçait le métier de masseuse. Afin d’animer le couloir qui servait de salle d’attente, j’ai demandé à des copains dessinateurs ou peintres d’en décorer les murs. Quelques semaines plus tard, on lançait une programmation. Sans le savoir, j’étais déjà victime de l’effet boomerang ». En effet, le concept prend forme lorsqu’il est rejoint par Diane Pigeau, alors assistante à la galerie Pastor et Charlotte Pavanello qui exerce, elle à l’atelier Soardi. « De mon coté j’avais pris la direction artistique du Museaav, mais le désir de voler de nos propres ailes fut plus fort. En 2007, réunissant nos compétences nous avons décidé de donner carte blanche à des plasticiens afin d’investir les 80 m2 de la rue Offenbach. Deux options au choix : le couloir et le salon double vidé de son contenu offrant une sorte de white cube alors que dans la salle de bain et la cuisine, l’accrochage s’effectue en incluant le mobilier et la fonction de lieu de vie ». Une formule à la carte qui séduit. Les expositions se succèdent à un rythme qui ne sacrifie pas au diktat du calendrier mais sont rythmées par les rencontres avec les artistes. En moins de deux ans, la Maison accueille plusieurs expositions monographiques (Jean-Baptiste Ganne, Benjamin Hugard, Frédéric Nakach etc). Des premières, parfois, mais toujours de savoureux moutons à cinq pattes qui attirent de fins connaisseurs. Des galeristes comme Bertrand Baraudou (Espace à Vendre), ou d’éminents responsables de lieux d’art tels Cédric Teisseire (La Station) Eric Mangion (directeur du Centre d’art de la Villa Arson) ou JM Avrila (ex directeur de l’Espace de l’Art concret) deviennent rapidement des fidèles de cet espace à géométrie variable. « L’un des atouts de ce terrain de jeu est de permettre aux artistes de pouvoir tester leurs travaux ou de tenter des choses qu’ils ne pourraient pas faire sous pression en galerie » explique Diane. Aux cotés de cette nouvelle génération, la grande famille des arts plastiques y compris celle proche de Jérémie est aussi invitée. Deux expositions collectives : « le 6 rue Fodéré » et celle dédiée cet été à Jean Dupuy et ses amis lui permettent de payer son tribut familial « Pendant plus de 20 ans du côté du port, le 6 rue Fodéré fut un lieu de vie mais aussi de création intense. J’y habitais avec ma mère, j’avais huit ans et côtoyais Caminiti, Dolla, Baudoin. Quant à Jean Dupuy, c’était aussi un proche, enfant j’allais souvent à Pierrefeu dans l’arrière-pays niçois, où il vit et travaille toujours » Enfin celle organisée en décembre 2008 fut une dédicace aux artistes qui ont d’emblé soutenu le projet. En ajoutant leur complémentarité (Diane suit un cursus de commissaire d’exposition), le trio épaulé par Jean-Charles Michelet a fait de l’appartement un carrefour endémique de l’art contemporain où tous se sentent chez eux, qu’ils soient conviés à y exposer ou visiteurs. « Contrairement au dispositif de la galerie classique, les gens viennent ici, entre amis, se lient facilement avec d’autres. Ce n’est pas qu’un lieu de monstration, c’est aussi un lieu de partage où l’on aime s’attarder. Aussi afin d’éviter les embouteillages dans le couloir nous faisons aujourd’hui deux vernissages au lieu d’un » ajoute Jérémie.
Ce lieu interactif n’a pas fini de fédérer car après l’exposition automnale concoctée avec l’artiste Alexandra Guillot « La maison, galerie singulière » devrait encore élargir son cercle. Un nouvel enjeu pour Diane : « Nous avons exposé des artistes parisiens comme Eric Pougeau et tissé des liens avec des réseaux à l’étranger. Pour éviter la monotonie, nous devons encore ouvrir des fenêtres. Dès cet automne nous partons prospecter en Italie, Slovénie et Arménie. Nous envisageons des échanges avec d’autres lieux qui fonctionnent comme le nôtre là-bas. C’est une sorte de Time Share : Nous leurs donnerons carte blanche pour investir la Maison à Nice, de notre côté nous irons chez eux pour installer nos projets »

300 m2 dans une maison d’architecte ou 80 m2 dans un appartement niçois du cœur de ville, malgré leur différence de taille ces deux lieux alternatifs (membres de l’association BOTOX aux côtés de géants comme le Musée Chagall ou la Villa Arson) participent au rayonnement culturel de Nice tout en obéissant à un régime particulier. Tout en reposant sur le bénévolat - aucun de ces deux lieux régis en association n’a demandé de subventions - la notion de plaisir entre artistes et occupants, s’impose comme la seule et unique motivation. Les projets sont montés dans le partage des idées, des frais comme des efforts. Jérémie comme Hélène avoue d’ailleurs tirer de cet élan collectif, l’énergie nécessaire pour poursuivre l’aventure. Enfin qu’il s’agisse de la Maison abandonnée ou de la Galerie singulière, l’axe créatif est proche d’un travail en résidence temporaire avec une contrainte supplémentaire pour l’artiste : faire vivre un espace dans une dimension autre que celle pour laquelle il est destiné. C’est pour toutes ces raisons que ces habitations ouvertes à la « re-création » ont sûrement tant de succès, plus une, bien sûr sémantique car « Comment pourrait-on songer une seule seconde, à s’ennuyer rue Offenbach ou dans une avenue baptisée Montplaisir ? »

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