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Palace !

De Palace en Palace : quelques épisodes un peu mythiques de la vie de la Côte d’Azur, par France Delville.

Les palaces de la Côte d’Azur sont liés au boom architectural de la Belle époque, qui remonte à l’annexion du Comté par la France en 1860, à l’arrivée du chemin de fer en 1864, au développement administratif français, et au phénomène du tourisme cosmopolite qui en a découlé. Des architectes étrangers et locaux vont œuvrer : Detloff (Cracovie), de la villa mauresque à la villa balnéaire en passant par les immeubles de rapport (Palais Victor Hugo, Parc Impérial), Tersling (Copenhague), auteur de ce chef-d’œuvre néo-classique, la Villa Masséna. Le Russe Préobrajensky construit la cathédrale orthodoxe. Côté français, Niermanns construit le Negresco, Bobin la Gare du Sud, Garnier l’Observatoire de Nice. Et le niçois Biasini va réaliser le Palais de Marbre, Beau-Site, le Crédit lyonnais, l’Hôtel Régina. Plus tard Charles Dalmas construira avec son fils Marcel le Royal, le Ruhl (détruit), l’Hermitage, le Winter, le Grand Palais, à Cannes le Carlton et le Miramar.

Le Nouvel Hôtel, Place Nationale, Vence (1915), dépassant à droite : la Villa Alexandrine (dans « Vence » de Raymond Ardisson et Nelly Orengo, Ed. Mémoire en Images, 2010)

Des Anglais, Russes, Allemands et autres habitants du nord sont venus dès 1850 chercher le soleil, ils ont d’abord loué dans de grands immeubles aux façades à l’italienne baptisés Villas ou Palais, puis fait construire : le château de l’Anglais, le château de Valrose. Et il y a aussi des cercles, clubs, salons musicaux, très recherché, le Casino de la jetée-Promenade (détruit), le Casino Municipal (détruit) sont des centres privilégiés de la vie mondaine. L’Opéra est reconstruit. « Ce sont de grands propriétaires ou des industriels qui financent la construction de palaces comme le Négresco (1912), le Ruhl (1913), le Grand Palais (1911), le Savoy. La construction privée diminue, elle est remplacée par des initiatives collectives prenant dès 1900 la forme des nouveaux palaces au financement anonyme » (Michel Steve « L’architecture belle époque à Nice, Editions Demaistre).

Et en 1920, avec l’argent de Frank Jay Gould, les Dalmas père et fils dessinent le Palais de la Méditerranée en 1928, Art Déco, façade inspirée par l’Opéra de Paris, sculptures (femmes et chevaux marins) d’Antoine Sartorio. Le 10 janvier 1929 le théâtre et le restaurant sont inaugurés, deux semaines plus tard, boule et baccara. Il sera en liquidation judiciaire en 78, ses trésors architecturaux vendus aux enchères en 1981, il sera démoli en 90, et sa façade classée grâce à Michel Butor, Max Gallo, Jack Lang…. Aujourd’hui c’est un hôtel cinq étoiles.

Palaces ou mythes ?

L’histoire de ces palaces, entre passages de riches émigrés et bals mémorables, offre à l’imaginaire un film contenant les ingrédients du mythe : la question de l’origine, côté luxueux de la Riviera cohabitant avec saveurs d’huile d’olive et pêche à la sardine, mais avec la distance nécessaire. L’imagination est titillée, la Côte d’Azur devient romanesque.
Mais le mythe évolue, les artistes succèdent aux princes pour estampiller les murs à frises, Matisse au Régina, que rejoindra Alexandre Sosnowski dit Sosno, et la Argentina à l’Artistique, et aussi Ziem, Chéret, Mossa, Saint-Saëns, Massenet, Fauré, Colette, Chaliapine, Puccini, Mata-Hari, et même Charles Trénet. Et la Promenade des Anglais ? N’est-elle pas un palace à ciel ouvert où Madame Augier, directrice du Négresco, fit un jour une extraordinaire exposition de sculptures, entre autres de Niki de Saint-Phalle ?

Bains Georges

Tout a commencé par un Casino et des établissements de bains… Dans « Archives de France », chapitre « se distraire », on lit : « La fashion se donne rendez-vous aux bains Georges, qui réunissent le public brillant et bruyant. Les familles fréquentent plus particulièrement les bains Lambert, qui sont plus éloignés » (F.A. Brun, Promenades d’un curieux dans Nice, 1894). Ben traversera le port de Nice à la nage en 1963 (sans savoir nager), et Pierre Pinoncelli, en hommage au Comte de Monte-Cristo, s’y fera jeter tout ficelé dans un sac, avec un couteau, bien sûr…

Le Palais de la Méditerranée

Oui, l’art est venu au palace, les mythes seront revisités, chacun pourra y aller de son mythe personnel à travers ses souvenirs – Jacques Lacan au CUM en 1981 – et retrouver dans le sac de sa mémoire des moments inoubliables, tels, début des années 60, au Palais de la Méditerranée, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault dans « Oh les beaux jours » de Samuel Beckett… Moins célèbre était la Compagnie Bernard Fontaine qui, le 19 décembre 1967, sur la même scène du Palais de la Méditerranée, joua « Yvonne, Princesse de Bourgogne » de Witold Gombrowicz en la présence de l’auteur et de celle de Georges Ribemont-Dessaignes, qui habitait Saint-Jeannet, sous une autre forme de Palace : le Baou. . Peu de temps auparavant, la même Compagnie avait, de Georges Ribemont-Dessaignes, joué le « Serin muet », au Théâtre de l’Artistique – ce mini-palace en forme de bijou, villa fin XIXe - qui, à peu près à la même époque – début des années 60 - abrita les débuts de « Fluxus ». Le mythe a forme de « réseau » bien sûr.

Représentation de « Yvonne, Princesse de Bourgogne » de Witold Gombrowicz (19 décembre 1967) au Palais de la méditerranée, debout (de profil) Bernard Fontaine, au centre (France Ariel), assis, à gauche Witold Gombowicz, à droite Georges Ribemont-Dessaignes (dans « Gombrowicz en Europe » de Rita Combrowicz, ed. Denoël)

Villa Alexandrine

Dans « Gombrowicz en Europe », Rita Gombrowicz témoigne : « Il (Witold) avait aussi été très heureux que « Yvonne, Princesse de Bourgogne » soit montée par une jeune troupe de Nice. Il a reçu volontiers le metteur en scène Bernard Fontaine, il a donné une conférence dans un café de la promenade des Anglais, et il a assisté, pour l’unique fois de sa vie, à la représentation d’une de ses pièces. Il en était si ému qu’il a eu une crise d’asthme pendant l’entracte.

La Villa Alexandrine le 8 mars 2014

En général, les honneurs le touchaient peu sinon comme une reconnaissance de son œuvre ». France Ariel (la Reine Marguerite d’Yvonne), ne le voyant pas après la représentation, a longtemps cru que le spectacle ne lui avait pas plu. C’est dans le livre de Rita, en 1988, qu’elle a eu la solution. Witold est mort le 24 juillet 1969 d’une insuffisance respiratoire à Vence, où il est enterré. Il habitait la Villa Alexandrine, 36, Place du Grand Jardin, occupant tout le deuxième étage. Rita écrit : « …le peintre irlandais Eddie Plunkett, fils de Lord Dunsany, venait jouer aux échecs et parler généalogie. Olga Schott venait nous raconter les derniers événements de Vence. Chantale Herder passait sous nos fenêtres en chantant. Je faisais des petits plats. Psina somnolait dans l’entrée… ». A la Chapelle des Pénitents blancs (Vence, sur l’ancienne voie romaine menant à Castellane, agrandie en 1614, caractéristique par sa coupole à tuiles polychromes), vingt ans après la mort de « Witoldo » aurait lieu un concert commémoratif, piano et chants argentins (Ginastera, Villa-Lobos) par la soprano Chantale Herder.
Sur une carte postale, la Villa Alexandrine peut être aperçue, en 1915, derrière le Nouvel Hôtel (place Nationale), que d’autres cartes postales montrent dans ses différents états, d’abord « Nouvel Hôtel Auzias », sans Villa Alexandrine, et la campagne derrière… La Place Nationale est devenue « du grand jardin », et le palace un Centre Culturel Leclerc.

Ce petit voyage en réseau fait passer, par hasard, à Nice, par le Grand Palais (à côté du Petit Palais), plus répertorié comme palace que je ne l’avais imaginé, et c’est dans l’un des appartements du Grand Palais que fut répétée « Yvonne, Princesse de Bourgogne », c’était là qu’habitait Bernard Fontaine. Occasion de dire que le « mythe Gombrowicz » est trop muet aujourd’hui (même si mythe vient de muthos), Witoldo étant l’un des plus grands écrivains du XXe siècle. Rita raconte : « Cet automne-là, nous avions découvert la douceur de Juan-les-Pins dans l’arrière-saison. Nous descendions lentement vers la mer. Après sa marche hygiénique, il s’allongeait tout habillé sur le matelas (il n’enlevait jamais un vêtement sur la plage, ne relevait même pas ses manches). Il mangeait sa grillade ascétique, face à la mer, renversait la tête et divaguait : « Quelle mesquinerie grandiose » s’exclamait-il faisant l’éloge de l’architecture des petits immeubles le long de la route, qu’il regardait à l’envers, les yeux révulsés »…

A la Librairie A la Sorbonne de Nice, il s’était acheté un grand Atlas Larousse, car il voulait désormais prendre des vacances et se consacrer à la généalogie. La librairie La Sorbonne, sinon un palace – encore que… » est un drôle de mythe…

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