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Claude Gilli : Le plus « Pop » des artistes de l’École de Nice

Claude Gilli né à Nice le 15 Septembre 1938 dans une famille dont les origines niçoises remontent au XVème siècle est un cas à part dans l’histoire d’une école dont l’étiquette n’a jamais adhéré à aucun de ses participants. Gilli fut à la source même de ce bouillonnement des sixties développant au contact des premiers artistes francs-tireurs niçois son propre langage. Un univers qui le rapproche plus du Pop art que de tout autre mouvement. Mais à l’instar de ses congénères Claude entra dans la légende par la petite porte, celle de l’école buissonnière, des bistrots où l’on refait le monde, celle de la rue, domaine élu du hasard et des rencontres.

Nice-Paris

Il le revendique à chaque étape de son évolution mais plus encore à ses débuts, « le hasard fut un précieux allié ». À 16 ans il rentre à l’École des Arts décoratifs de Nice où il partagera le même modèle que Matisse puis rencontrera Nicole Rondoni sa future femme : « Tout en étant passionné d’art, je m’en suis écarté assez rapidement car je sentais que le vent de renouveau venait d’ailleurs. C’est au café Le Provence que j’ai connu Martial Raysse et Chubac qui fut pour moi un guide dans l’univers de l’art contemporain ». Et autour du jeune Gilli le cercle s’élargit. Au trio qu’il forme avec Raysse et Chubac viennent se rajouter Ben, Arman, Venet et les autres. Chacun défendant son territoire « comme un chien qui pisse devant la porte aimait à dire Ben ». Mais le jeune Gilli a un atout. Il est un des rares à posséder une Vespa. Grâce à ce scooter il emmène ses amis en virées. Puis c’est sa 4 CV qui ouvre aux plasticiens « viteloni » les portes d’un nouvel Eldorado : « Nous partions de Nice à 3 heures du matin pour Paris. Pour nous c’était l’Amérique, le jazz, les expos, on y rencontrait une foule de gens incroyables ». C’est au cours d’une de ces virées que Claude découvre l’œuvre de Rothko « Ces immenses tableaux, ces grandes barres oranges. Ce fut un choc » !

Autodafé et ex voto

Extrait du Catalogue édité par le Mamac

Désormais plus rien n’est comme avant. Le jeune homme qui voue une admiration à Nicolas de Stael comprend qu’il lui faut trouver son propre langage. « J’ai commencé par dénicher des objets vétustes chez les brocanteurs. Je me suis fait un monde d’ex votos ». Un univers de reliquaires où le mauvais goût qui l’inspire (vieilles statues, cartes postales, images pieuses) se frotte avec les icônes du nouveau monde comme les photos libertines des premières revues érotiques ». Résultat, en 1962 l’artiste brûle ses œuvres d’ado. Dans la nuit de la Saint Sylvestre ses toiles partent en fumée sur une plage de Saint-Laurent du Var. Seuls trois rouleaux oubliés dans sa voiture échappent à l’autodafé. Ils ne seront retrouvés que 30 ans plus tard. Avec la série des ex votos, Gilli entre en grâce dans un groupe qui ne jure que par la nouveauté. C’est dans l’antre de son chantre le plus zélé Ben Vautier que Gilli exposera avec Raysse et Chubac inaugurant le laboratoire 32, rue Tonduti de l’Escarène. Ses navettes entre Paris et Nice lui offrent l’opportunité de participer à sa première exposition dans la capitale à la Galerie Henriette Legendre. Il y fait la connaissance de Robert Malaval : « Un comble c’est à la brasserie La Coupole qu’Arman me le présenta alors que nous étions voisins à Nice » ! Les deux compères qui résident dans le quartier du port créeront ensemble la “Galerie de la plage”, une composition à quatre mains figurant un trompe l’œil d’une vitrine de galerie, en découpage de bois peint envahie par « l’Aliment blanc ».

Coulées et Pop art

Coulée issue du catalogue édité par le MamacEn même temps Claude rencontre avec son premier marchand Jacques Matarasso, l’un des premiers ambassadeurs de cette contre culture niçoise qui fait feu de tous bois. Sa librairie-galerie est un mouchoir de poche mais elle ne chôme pas. Et si Gilli commence à avoir la reconnaissance de ses pairs comme Arman qui lui offre une scie électrique et lui proposera des échanges d’œuvres, l’artiste ne sera adoubé en France qu’une vingtaine d’années plus tard, le MAMAC acquérant alors ses premiers travaux : « Mes ex votos ou plus tard mes découpages sur bois aux lettrages empruntés à l’univers de l’enseigne n’ont pas eu un succès immédiat. Je me suis dit si ça ne plait pas c’est bon signe. Être apprécié rapidement, c’est louche ». Mais Claude, qui décroche en 1966 le Prix Lefranc avec ses coulées de peintures, est invité à Paris pour sa première exposition personnelle chez Yvon Lambert.

« Quand j’ai eu recours aux laques de voitures, on m’a dit : Tu es fou, c’est pas de la peinture ! La coulée, c’est la couleur à l’état pur sans nuances, le pot qui dégueule. Le sujet qui sort du cadre ! ». Un an plus tard ces mêmes coulées scandaleuses le conduisent aux cimaises de l’exposition « 12 Supers Réalistes » à Venise chez Del Leone. Claude y partage la vedette avec ces Pop américains, qu’il découvre : Lichtenstein, Warhol et Wesselman. « Martial m’avait montré une fois une revue où un peintre américain travaillait sur une toile à même le sol. Cela nous avait bluffé on ne connaissait pas cette pratique. Et pour cause, nos ateliers faisait 10m2, eux ils avaient des lofts de 200m2 ». Un handicap qui n’empêchera pas le petit frenchy de se retrouver quelques années plus tard avec ces géants anglo-saxons dans le grand catalogue de The Mayor Gallery (Londres) à l’origine du Pop art.

Et l’artiste sort de sa coquille

En1968 alors que la rue gronde, Claude s’engage dans un travail en rupture avec sa période de bois colorés. « La coulée c’était l’anti Matisse. Je voulais aller plus loin. J’ai trouvé la non couleur avec le plexiglas » ; Après l’apparition de la colle, ce nouveau matériau bouscule l’art plastique lui permettant de réaliser les premiers sculptures transparentes et tableaux fantômes. Mais Claude découvre en 1967 qu’une artiste américaine l’a précédé. Dépité, il décide de passer à autre chose.

C’est en traversant le marché du Cours Saleya qu’il aura la révélation en voyant des gastéropodes se carapater de leur boite. Gilli invente sa peinture anthropomorphique. Klein avait ses femmes pinceaux lui se servira d’escargots qu’il trempe dans la peinture et lâche sur la toile. Ces « agressions d’escargots vivants » font sensation lors d’une exposition parisienne. L’artiste se retrouve aux fameuses actualités de la Gaumont dans les salles obscures puis sur le petit écran chez Philippe Bouvard où il réalise un happening. Toutes les revues internationales se précipitent dans son atelier du quartier latin. « Les télévisions anglaises, italiennes, nippones ont débarqué. J’ai fait le tour du monde. Je suis même passé dans le Journal de Mickey. Mais j’en ai vite eu marre qu’on me prenne pour le peintre aux gastéropodes. Je me suis fâché, les médias déformaient tout, pour faire un scoop destiné à tourner en ridicule l’art contemporain ».

Pour l’artiste c’est une période intense d’expositions internationales dont celle qui coupe le ruban en 1977 du Centre Beaubourg avec « L’École de Nice ». Alors qu’il sait depuis une dizaine d’années qu’il est touché par la maladie, Claude constate le développement de celle-ci qui le conduira dans les années 80 à se déplacer en fauteuil roulant. « La maladie s’est déclenchée au moment où j’avais envie de bouffer le monde. Je devais partir à New York avec Arman, comme assistant : c’est Venet qui a pris ma place. Ce fut difficile à accepter mais je me suis dit il y a en d’autres avant moi qui ont travaillé malgré l’infirmité : Renoir, Matisse, Hartung. Cela m’a aidé à franchir ce cap ». Depuis qu’il est handicapé Claude n’a jamais autant travaillé adoptant le principe de l’atelier d’artiste comme César. En 1985 il réalise ainsi sa première œuvre monumentale à Acropolis initiant ses premières sculptures métalliques boulonnées, « démontables pour être facilement transportées ».

Parmi ses 78 expositions personnelles (dont la majeure partie à l’étranger) celle de 1999, au MAMAC marquera l’enfant du pays : « 100 œuvres y furent présentées. Jean-Louis Prat m’a dit c’est superbe mais il y a juste un tableau en trop. Il avait l’œil ! ». Pierre Restany aussi. Dès ses débuts le critique d’art soutiendra l’artiste dans une carrière qui lui vaut d’être représenté à Paris (Galeries Alain Matarrasso et Laurent Strouk), en Angleterre (James Mayor), en Belgique et à Vence (Guy Pieters) ainsi que dans les plus grandes collections privées du monde et dans une dizaine de collections publiques dont Le MAMAC, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et celui des Beaux-arts de Bruxelles. « Mon amitié avec Pierre remonte avant son manifeste du Nouveau réalisme. Un courant qu’il tua à Milan en 1977 en notre présence. C’est ce qu’aurait dû faire Alexandre de la Salle avec L’École de Nice qui a connu son âge d’or il y a 50 ans. Cette longue agonie est inutile. Aucun mouvement n’a duré plus de 20 ans. Le monde change et l’art avec lui ». En attendant Claude Gilli qui travaille et vit toujours à Nice avec son épouse Nicole, au cœur de ville, là où il fit ses débuts, continue d’exposer partout en Europe.

(c) Toutes photos sauf mention autrement Hugues Lagarde

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