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Odile CHAPEL

Directrice de la cinémathèque de Nice, fondatrice du lieu et responsable de la Direction cinéma de la ville, Odile Chapel voue une passion sans limite aux films du grand écran et la fait partager. Panoramique sur les multiples activités et actions que propose la cinémathèque à travers une rencontre…

Odile Chapel © Rodolphe Cosimi

Comment a débuté l’aventure de la cinémathèque de Nice ?

Je vivais à Paris pour y faire mes études et j’allais très souvent à la cinémathèque française pour y voir les films dont j’avais besoin pour ma formation. Il m’est apparu étrange qu’il n’y ait pas de cinémathèque partout ailleurs en province. De là est venue l’idée de créer une cinémathèque à Nice.
Cette idée a plu immédiatement mais il fallait trouver un lieu et mettre en place juridiquement l’ensemble du dispositif. C’est en collaboration avec Henri Langlois et la municipalité de l’époque, en présence de Dennis Hopper lors de l’inauguration, que tout cela s’est monté. La cinémathèque est donc à l’origine une délégation permanente de la cinémathèque française. J’ai dirigé l’antenne locale jusqu’à ce qu’elle devienne une régie municipale considérée comme service public. Cela dépend maintenant d’une Direction du Cinéma.

C’est une cinémathèque à multiples vocations que vous dirigez aujourd’hui ?

Oui. Il existe en son sein, un département diffusion avec une programmation mensuelle qui fait place à des films classiques mais aussi des films récents avec 400 films par an. Il y a également un département conservation et restauration et enfin un pôle formation et édition.

Quel a été l’accueil du public lors de la création de cette cinémathèque ?

L’accueil a été immédiat car il y avait un manque bien sûr. Le public a suivi tout de suite. A l’époque, les films du patrimoine n’étaient pas aussi diffusés qu’aujourd’hui sur différents supports. De nos jours, ces films sont accessibles notamment sur les chaînes thématiques. Il y a quelques années, ce n’était pas le cas. Il y avait bien des ciné-clubs à Nice qui faisaient un travail formidable, mais ils n’avaient pas toujours accès aux films de la cinémathèque française. Le fait qu’il y ait eu une délégation a permis de programmer des films à Nice qui ont été conservés.

© Cinémathèque de Nice

Ces chaînes thématiques justement, ne font-elles pas de l’ombre à la cinémathèque aujourd’hui ?

Il est vrai que depuis les années 80, l’arrivée des cassettes, puis des DVD et chaînes ont permis d’apprécier des films formidables. Mais il y a encore des gens qui ont envie de voir les films sur grand écran, de partager des émotions, qui ont encore ce besoin d’authenticité et qui font cette démarche vers quelque chose de particulier. L’accueil de la cinémathèque n’est pas le même que celui d’un cinéma. Il n’y a pas cet aspect commercial. Tout d’abord, on est membre et on nourrit une relation avec ce public qui vient régulièrement.

La cinémathèque de Nice possède sans doute des particularités qui font toute la différence ? Notamment un aspect fortement pédagogique.

La cinémathèque de Nice met effectivement en place un certain nombre d’accompagnements de l’ensemble de l’image animée à travers des « leçons de cinéma », des « leçons de scénario », des « conversations », des « classes images », etc.... Il y a une vraie valeur ajoutée.

Que sont donc ces « leçons de cinéma » ?

On invite un cinéaste contemporain qui vient nous proposer la rétrospective la plus complète de son œuvre. Il évoque sa carrière, il rencontre le public. Nous lui demandons de sélectionner des séquences de ses films qui sont projetées et sur lesquelles il va faire des commentaires. C’est un grand moment !

Costa Gavras © Cinémathèque de Nice

Et la liste des personnalités que vous avez pu recevoir dans le cadre des activités de la cinémathèque peut faire rêver plus d’un amoureux du cinéma…

C’est vrai. Nous avons été heureux d’avoir pu accueillir Sydney Pollack, Ken Loach, Ettore Scola, Bertrand Blier, Peter Greenway, Claude Sautet, Stanley Donen, Arthur Penn, Zulawski et tant d’autres. Pour « Last but not the least », nous avons reçu Robert De Niro en mars dernier !

Ces rencontres de personnalités rejoignent-elles votre passion du cinéma ?

Je crois qu’il est important de garder son goût personnel pour soi. Je programme avant tout pour faire plaisir au plus grand nombre, pour satisfaire un large public dans la diversité et la variété des goûts. Je ne dis pas que je n’ai pas d’affinités avec les uns ou avec les autres mais j’aime le cinéma, de la série Z aux chefs-d’œuvre.

Le cinéma est avant tout une histoire de rencontre et se traduit par des moments singuliers ?

Oui. Nous avons aussi des rencontres autour de « conversations ». Lorsqu’on reçoit un comédien par exemple, nous ne lui demandons pas de faire une « leçon de cinéma » mais plutôt de participer à un moment moins cérémonieux, plus adapté. C’est une forme de partage. Un metteur en scène lui, est amené à exposer sa vision du monde et son parti pris de la mise en scène. Lorsqu’on reçoit un technicien, il se met par essence, par la fonction même du métier qu’il exerce, au service du metteur en scène. Il est la courroie de transmission entre la vision du créateur et le public. Il peut converser alors avec nous pour donner un éclairage sur cette création. Il ne s’agit plus d’une leçon de cinéma mais ces conversations sont plus qu’instructives…

© Rodolphe Cosimi

En pleine période de Festival de Cannes, quels sont les échanges que vous nourrissez mutuellement ?

Il n’y a pas vraiment d’échanges car le Festival a sa propre dimension mais il y a de la part de la cinémathèque un hommage régulier chaque année qui est rendu. L’année dernière par exemple, il s’agissait du Prix d’interprétation féminine, comme nous l’avons fait il y a deux ans également, avec le Prix du scénario, etc..... Nous faisons toujours un retour sur ces moments importants pour que les Niçois, qui ont les yeux tournés vers Cannes, mais qui ne peuvent pas forcément assister aux séances, puissent profiter d’une petite « poussière d’étoile »…

Les rencontres que vous organisez invitent aussi à voir les films différemment…

Lorsqu’on parle de transmission, il y a depuis deux ans des soirées auxquelles je tiens beaucoup qui sont le ciné-club de Jean Douchet. Cet historien et cinéaste est une figure tutélaire de la critique du cinéma. Ami de Truffaut, de Godard, c’est quelqu’un qui embrasse une vision critique de l’ensemble du cinéma de façon très exceptionnelle. Une fois par mois, il choisit un film, qu’il soit du patrimoine ou plus récent, et il pénètre dans l’œuvre avec une analyse très brillante. Il est vrai qu’après l’avoir écouté, on ne voit plus le film de la même manière.

Lorsque l’on évoque l’accompagnement de la cinémathèque, on peut souligner le rôle important que vous jouez en faveur des écrivains, des scénaristes…

En ce qui concerne le scénario, c’est ma casquette numéro 2, celle de la Direction du cinéma, pour laquelle la ville met en place un certain nombre de dispositifs qui favorisent l’émergence de scénaristes et font en sorte qu’ils puissent travailler sur leur territoire. Il y a des ateliers dans lesquels on peut partager plusieurs heures avec des spécialistes, des résidences de dix jours encadrées par le Groupe de Recherche et d’Etudes cinématographiques pour 6 à 8 candidats qui peuvent ainsi bénéficier d’un accompagnement privilégié avec des professionnels du cinéma. Il s’agit d’une sorte de période de coaching qui les aide à créer un scénario pouvant être retenu par une production.

Atelier d’animation © Cinémathèque de Nice

Il y a un degré supplémentaire à ces ateliers…

Oui, avec un atelier de scénario assuré par John Truby, spécialiste du scénario américain, tant pour le cinéma que pour les séries télévisées. C’est ici 48 heures de travail intensif et un fond d’aide à l’écriture pour les professionnels. Ce sont plusieurs petites échelles qui vont permettre à un jeune écrivain ou créateur de gravir les étapes pour enfin tourner un film…

Revenons justement aux films que la cinémathèque possède.

Oh, il y en a beaucoup… car nombre de gens veulent se dessaisir de leur pellicule. Et la pellicule est le seul retour fiable dans le temps. La seule pérennité de l’image à ce jour et depuis un siècle, c’est la pellicule. La cinémathèque a pour vocation de les garder. Et pour cela, il y a un département conservation avec des films que l’on acquiert, que l’on achète, qui sont donnés par des distributeurs, des ayants-droit, des collectionneurs, des amateurs. Nous gardons tous ces films et nous essayons de les mettre en valeur.


Existe-t-il un trésor de la cinémathèque de Nice ?

Je les aime tous, car conserver une image du passé, c’est faire vivre des fantômes, faire revivre des paysages qui n’existent plus, une histoire, une société. A chaque fois, je reste émerveillée. C’est un voyage dans le passé et j’en suis toujours bouleversée.


Si l’on met en regard les films du patrimoine et les grosses productions cinématographiques, que pensez-vous de la création actuelle ?

L’histoire du cinéma, l’esthétique du cinéma a toujours été liée aux techniques du cinéma. Lorsqu’on est passé du muet au parlant, c’est tout un pan de la création qui a été revu parce que, tout d’un coup, il a fallu travailler le son, on a trouvé qu’il y avait une force dans l’accompagnement des images. Lorsqu’on est passé du noir et blanc à la couleur, ça a été de même. De l’argentique, nous sommes passés au numérique. Aujourd’hui, nous vivons une petite période de flottement mais avec des choses extraordinaires quand même. Avec le temps, le regard est différent. Il y a un côté sociologique et historique qui devient très intéressant.

Quel public reste-t-il à conquérir par la cinémathèque ?

Le jeune public bien sûr. Les jeunes représentent de nos jours la génération de l’image, les plus petits sont habitués très tôt à l’ordinateur. Les générations précédentes étaient celles de l’écrit, comme pour vous et moi. Il faut absolument les ramener dans le cercle du cinéma afin qu’ils ne consomment pas les images n’importe où et surtout n’importe comment.

Et pour cela, pensez-vous que les œuvres du patrimoine ont cette capacité ?

Nous faisons des animations scolaires tous les lundis, avec des enfants du primaire, pendant les périodes scolaires. 250 enfants le matin, 250 l’après midi, 7000 écoliers en tout, je peux vous dire que lorsqu’on leur passe Charlie Chaplin, on ne peut pas imaginer le bonheur de les entendre rire. Ils sortent avec des étoiles dans les yeux. Le pouvoir d’un certain cinéma reste essentiel. Il faut les aider à le découvrir et leur expliquer. Ce travail d’accompagnement est nécessaire.


La participation aussi ?

Oui. La création d’un petit film lors des « classes images » est idéale pour cela. Comme les classes vertes ou les classes de neige, les enfants viennent du primaire accompagnés par leur professeur et sur quatre jours, ils réalisent un film d’animation à l’atelier de dessins animés. C’est vrai que le film d’animation, c’est très facile. Il ne faut pas beaucoup de moyens et c’est une technique qui laisse libre cours à l’imagination la plus débridée. Papier, gomme, crayon de couleur. Il suffit de pas grand-chose pour que tout soit possible.

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