| Retour

Halle Spada : l’Entre-Pont & Robert Matthey sur les traces des bâtisseurs

La Caisse d’Epargne Place Masséna à Nice vous propose jusqu’au 18 septembre de découvrir une exposition photographique d’importance : intitulée "Sur la trace des bâtisseurs" elle présente des photographies réalisées par le photographe Robert Matthey d’anciens ouvriers de la halle Spada. Une mémoire du passé industriel de Nice à redécouvrir sans attendre.
Occupant la halle Spada depuis 2004, l’Entre-Pont avait à cœur de réaliser un événement artistique sur et dans la halle Spada : c’est ainsi que naquit le projet protéiforme et pluridisciplinaire de "Sur la trace des bâtisseurs" avec pour objectifs :
- reconstituer la mémoire ouvrière et industrielle de la halle et aboutir à la constitution d’un fonds d’archives écrites et audiovisuelles sur ce terrain peu connu des activités niçoises.
- partir de l’immigration de la famille Spada puis des vagues successives d’immigration dans le secteur du bâtiment pour reconstituer l’histoire d’une humanité en mouvement à Nice
- inventer de nouvelles formes d’occupation de ce patrimoine industriel par les artistes, nouveaux occupants de la halle spada
- proposer une relecture de l’histoire de ce lieu, une passerelle entre la mémoire ouvrière de la halle et l’actualité en friche artistique et culturelle.

Nous avons rencontré Hélène Baisecourt de l’Entre-Pont et Robert Matthey pour un tour d’horizon complet de cet événement artistique : l’occasion aussi de faire un point sur le projet de réhabilitation de la Halle Spada.

Le point sur le projet avec Hélène Baisecourt de l’Entre-Pont

L’Entre-Pont occupe la Halle Spada depuis 2004, et a été sollicité par la DRAC de Nice dans le cadre du réaménagement en lieu culturel. C’est à l’initiative de l’Entre-Pont que le projet "Sur la trace des bâtisseurs" a vu le jour.
Ce projet retraçant la mémoire du lieu était-il important pour comprendre ce que tend à devenir la Halle Spada aujourd’hui, à savoir une friche artistique et culturelle ? Etait-ce une façon d’éclairer le présent par le passé tout en prenant soin de préserver l’âme architecturale du lieu ?

- Hélène Baisecourt : Les équipes artistiques (Diva - Le Hublot / Divine Quincaillerie / Le Grain de sable) qui gèrent collectivement l’Entre-Pont, lieu de résidence et de création spectacle vivant, avaient à coeur depuis leur installation au sein de la halle Spada de travailler sur la mémoire de ce lieu, emblématique du patrimoine industriel.
Il s’agissait, dès lors, de bâtir à notre façon la mémoire des ouvriers de l’entreprise Spada qui ont vécu et travaillé au sein de ces locaux avant nous et qui ont construit notre lieu de travail : partir du vivant pour mettre en images, en sons et en mots ce patrimoine et reconstituer ainsi son histoire. Au-delà de ce travail de mémoire, il était très important d’impliquer les artistes travaillant régulièrement dans les locaux de l’Entre-Pont afin qu’une passerelle entre mémoire ouvrière et actualité artistique du lieu existe ; l’enjeu étant de mieux comprendre grâce à ceux qui ont fait "ici et avant" ce que nous faisons "ici et maintenant".

Le projet Sur les traces des bâtisseurs a été pensé comme un projet protéiforme et pluridisciplinaire (tous les médias artistiques ont été convoqués : vidéos, performances, tables rondes, cirque, musiques, arts plastiques,..). Cette volonté rejoint celle de l’Entre-Pont de faire de la Halle Spada un espace culturel polyvalent et non pas monolithique : pour quelles raisons souhaitez-vous diffuser toutes les pratiques artistiques culturelles ?

- Hélène Baisecourt : L’Entre-Pont est un lieu de résidence et de création pluridisciplinaire, il est donc normal que nous ayions voulu mettre à l’honneur des artistes de disciplines aussi variées que le théâtre, la danse, le cirque, la musique, les arts plastiques, numériques ou multimédia lors de la visite-spectacle proposée le 14 avril dernier. Nous nous sommes également associés à Yvan Gastaut, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Nice Sophia-Antipolis pour proposer une double lecture des sources recueillies : artistique et scientifique.

L’Entre-Pont est le seul lieu de ce type à l’échelle du département. Il est donc important de croiser un maximum les démarches et les pratiques artistiques afin de favoriser un brassage entre les artistes venus d’horizons différents ; cela est sans contexte une des richesses du lieu.

Y en a t-il certaines en danger de disparition ou sous représentées dans le département selon vous ?

- Hélène Baisecourt : Il est difficile pour la création contemporaine dans son ensemble d’exister dans le département et un outil comme l’Entre-Pont permet, à sa mesure, de rendre les conditions de production un peu plus faciles en permettant aux compagnies de pouvoir bénéficier, entre autres, d’espaces de travail gratuits (salles de répétitions, atelier de construction).

Lors de la restitution publique des témoignages vidéos et photos recueillis en AVRIL 2010, la Halle Spada était ouverte exceptionnellement au public : le public était-il au rendez-vous justement ?

- Hélène Baisecourt : Les visites-spectacles ont affiché complet, soit 210 personnes lors des trois visites organisées le 14 avril dernier sans compter les personnes venues visiter les espaces d’exposition en accès libre. Nous pouvons donc dire que le public a été au rendez-vous sur cette journée au vu des jauges imposées par les normes de sécurité, de même que lors des tables rondes organisées lors des Journées Européennes du Patrimoine 2009 ou du 6 avril dernier. Les ouvriers et leurs familles étaient certes nombreux mais il y avait également des artistes, des habitants du quartier Saint-Roch, des Niçois curieux de leur patrimoine et nos partenaires locaux et régionaux.

Est-ce que cet événement laisse entrevoir une ouverture prochaine au public du lieu ?

- Hélène Baisecourt : L’Entre-Pont œuvre en ce sens depuis son installation à la halle Spada en 2004 mais la décision finale ne nous appartient pas... Nous espérons que le bon déroulement de l’événementiel artistique du 14 avril fera avancer les choses plus rapidement que jusqu’à présent !

Où en est justement aujourd’hui le projet de réhabilitation de ce patrimoine industriel en espaces de créations et de diffusions artistiques : peut-on dire pour le moment que la Halle Spada est un lieu de résidence et de soutien d’artistes ?

- Hélène Baisecourt : Il est important de bien distinguer le projet de l’Entre-Pont - gestion collective d’un lieu de résidences et de création spectacle vivant - du lieu où le projet se développe actuellement, à savoir la halle Spada. Le projet de l’Entre-Pont est actuellement en plein développement : hormis le projet "Sur les traces des bâtisseurs" qui a permis de collecter quarante heures de témoignages, près de 3000 photos d’archives, a réuni 25 artistes et plasticiens lors de l’événementiel et verra un livre-DVD voir le jour en 2011, l’Entre-Pont accueille près de cinquante compagnies et jusqu’à quatre résidences accompagnées par an - Latypique cie (théâtre visuel - marionnettes - son), L’Attraction cie (théâtre) & la Cie Reveïda (danse) en 2010. Ce dispositif d’accompagnement artistique, technique et administratif a été mis en place en 2008 en partenariat avec une dizaine de programmateurs des Alpes-Maritimes et de Monaco. Ainsi une meilleure circulation des productions créées à l’Entre-Pont dans le département est facilitée.

Quant au projet de réhabilitation de la halle Spada par la Ville de Nice, il ne semble plus être à l’ordre du jour...

Le regard humaniste de Robert Matthey

Comment est née votre collaboration à ce travail de mise en mémoire de la Halle Spada ?

Voir le monde tel qu’il est pourrait être ma devise. Robert Matthey

Robert Matthey : C’ est un appel à projet “Identité, Parcours, Mémoire“ initié par l’ Acsé et la Drac PACA. Nicole Enouf de l’Entrepont qui occupe une partie des lieux de la Halle Spada, a répondu à cet appel en proposant “La mémoire des bâtisseurs“ . Elle m’a contacté pour réaliser la partie collectage, interview vidéo et portraits des anciens ouvriers de l’entreprise Spada. Ce travail a duré 2 ans.

Vous avez choisi de réaliser ces portraits en couleurs et non en noir et blanc pour quelles raisons ?

- Robert Matthey : Lorsque j’ai pris les rendez-vous avec les ouvriers, je voulais qu’ils soient les plus naturels possible, qu’ils portent leurs vêtements de tous les jours, qu’ils se sentent à l’aise. La couleur restitue le réalisme de ces prises de vue et redonne vie aux lieux dans lesquels les photos ont été prises.

Comment se sont passées les prises de contacts avec les anciens ouvriers de la Halle Spada : ont-ils tous accepté facilement de se laisser photographier ?
Les photos ont eu lieu chez eux ou à la Halle Spada ?

- Robert Matthey : Il y a eu une période exploratoire de quelques mois, puis lorsque le projet a été vraiment cerné, tout s’est déclenché. Je voulais avoir la diversité des métiers chez Spada, depuis le manœuvre jusqu’au PDG de l’entreprise. Je les ai photographiés in situ, dans la Halle ; certains n’y avaient pas remis les pieds depuis 20 ans. Les murs du bâtiment n’ont pas changé depuis leur départ, ils semblent imprégnés de l’âme de l’entreprise. Les carriers, eux, ont été photographiés sur leur lieu de travail, c’est-à-dire, les carrières de Saint-André-de-la-Roche. Je voulais également avoir accès aux archives personnelles des ouvriers, les photos qui sont dans leur portefeuille, ces documents ont une authenticité inégalable.

Avez-vous ressenti de leur part un réel besoin de se souvenir, de transmettre, de partager leur mémoire industrielle ?

- Robert Matthey : Lors des entretiens, ils ont raconté leur métier, ils étaient tous passionné par leur métier, décrivant les différents postes , techniques et chantiers auxquels ils ont participé. Ils étaient également très fier des réalisations de l’entreprise. Certains n’hésitaient pas à promener le dimanche leur famille devant les chantiers en cours pour montrer l’avancement des travaux. Les anecdotes sont très nombreuses, ils se connaissaient tous la plupart par leur surnom. Leur histoire est aussi l’histoire de l’immigration, des techniques du BTP, de l’évolution des conditions de travail, du syndicalisme dans l’entreprise, de la médecine du travail... l’ histoire de l’entreprise est également celle de la côte d’azur.

Y a t-il eu un moment ou des moments particulièrement forts lors de ces prises de vues ?

- Robert Matthey : J’ai rencontré des femmes, petites filles à l’époque, dont le père a passé la vie à l’intérieur de l’entreprise. Ces hommes sont morts aujourd’hui. Ces récits de femmes racontant leur père au travail étaient empreints de grande émotion, cela se finissait souvent par des larmes. Les travailleurs du BTP étaient de véritables “héros“ pour leurs enfants. La rencontre avec les mineurs de St André a également était émouvante. C’est Jean Spada qui les a fait venir d’un petit village du Piémont proche de Limone. Ils étaient bûcherons et se sont retrouvés à St André. Ils ont parlé le niçois avant de parler français, ensuite ils se sont mariés, ont eu des enfants et le dimanche, ils ont construit leur maison sur la commune. Une vie bien remplie...

Lors de la première mostration des photos à la Halle Spada en avril 2010, comment s’est passé le retour de ces ouvriers dans cette halle qu’ils n’avaient, pour la plupart, pas revue depuis des années ?

- Robert Matthey : Il y a eu plusieurs étapes intermédiaires avant la restitution d’avril 2010. Certains étaient déjà revenus lors des étapes précédentes. Lorsqu’ils se retrouvaient en groupe, les souvenirs sur des points ou des endroits précis fourmillaient. Il y avait aussi la joie d’être conviés à un événement dont ils étaient les acteurs principaux, le bonheur aussi d’être reconnu pour leur travail. Le milieu ouvrier est un milieu très humain dans lequel personne n’est indifférent à autrui.

L’exposition de vos photos actuellement en cours à la Caisse d’Epargne est quasiment l’étape finale de ce projet de longue haleine : un livre DVD viendra finaliser le processus de mémoire en 2011 : qu’est ce que ce projet vous a apporté personnellement ?
Que souhaiteriez vous que les gens en retirent en lisant ce livre témoignage ?

- Robert Matthey : Je ressens de l’admiration pour ces gens qui travaillaient 50, 60 heures voire plus par semaine. Je n’ai jamais entendu quelqu’un se plaindre. À cette époque, la sécurité dans le bâtiment était rudimentaire , les accidents de travail étaient nombreux , les conditions de travail difficiles et pénibles. Beaucoup sont morts avant la retraite ou peu après. C’est un témoignage sur une époque industrielle révolue, il y a eu jusqu’à 1500 personnes qui ont travaillé à Spada. Ce travail fait partie du maigre patrimoine industriel niçois, il est important de le faire connaître auprès des générations futures. C’est à eux que ce travail est destiné.

Plusieurs de vos projets artistiques (Portraits de rue avec Médecins du monde, Les Pénitents de France et d’Italie, Les rivages méditerranéens ...) ont nécessité un même travail de fond, de contacts avec les gens et traitaient tous de sujets identitaires : rendre leur vérité humaine à ces personnes est votre souhait, votre quête ?

- Robert Matthey : Je travaille essentiellement sur des sujets dont l’humain est la matière première. Voir le monde tel qu’il est pourrait être ma devise. Je viens de finir un livre sur les Gitans de l’Ariane qui m’a occupé plus de deux ans, j’ai suivi les Pénitents pendant presque cinq ans, il m’arrive de continuer encore aujourd’hui. Les sujets qui me portent sont authentiques et rarement anecdotiques.

Le mois de Septembre approche à grands pas : vous êtes le créateur du Festival Sept Off : quelques mots sur la programmation 2010 et sur les événements marquants de ce festival photo incontournable ?

- Robert Mathhey : La thématique du Sept off 2010 est “Errances“ images d’un monde en mouvement. C’est une thématique à tiroirs, qui permet aussi bien de positionner la jeune création et les problématiques du photographe que d’aborder des sujets de société. Le sept off, c’est plus de quarante événement pendant 1 mois. Le vernissage d’ouverture aura lieu le 24 septembre à l’Avant scène au Pôle St Jean d"Angély.

Autres moments forts : A St Paul de Vence , hommage à Bob Willoughby grand photographe américain disparu il y a un peu plus de six mois et le 15 octobre à l’Espace Magnan une soirée conviviale avec performances et projections de portfolios.

Sans oublier le 25 septembre , le cinquième PhotoMarathon de Nice : 12 heures, 12 thèmes, 12 photos. Rendez-vous au Museaav place Garibaldi.
Infos : www.sept-off.org et www.7off-marathon.org.

Voir les archives déjà collectées, en savoir plus sur le projet :
http://memoirehallespada.over-blog.com

www.lehublot.net/entrepont

pub