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"Parler du monde, c’est parler littérature, et vice-versa"

Il y a des festivals du livre un peu partout en France : Paris bien sûr, "Étonnants voyageurs" à Saint-Malo, "Le Festival des mots" de la Charité sur Loire...et il y a le Festival du Livre de Mouans-Sartoux.

Un festival qui dès l’origine s’est fait le porte parole des questions de société, qui aborde - de l’écrit à l’écran- les thèmes qui d’année en année questionnent, bouleversent, menacent la vie quotidienne de ses concitoyens. Et le public en redemande d’année en année, se pressant toujours plus nombreux, acteur conquis ou conquérant des partis pris de ce Festival engagé !
Cette année encore malheureusement le climat économique et social local et mondial offrent aux organisateurs du Festival une riche matière à réflexions..Il y aurait même "états d’urgence", comme l’indique le titre retenu pour cette édition 2010.

Marie-Louise Gourdon, Directrice du Festival, Adjointe à la culture de la Ville de Mouans-Sartoux a pris le temps entre deux urgences professionnelles de nous expliquer les thèmes forts de cette édition.

En 2006 les "hommes et les femmes étaient en quête de liberté", en 2008 ils entraient en "résistance pour trouver l’origine du futur" : en 2010 ils sont en états d’urgences : Vous avez toujours mis en avant la notion d’espérance dans les titres du Festival : cette année est donc si particulière que l’on ne trouve plus de voie d’espoir ?

(c) Jch Dusanter

Marie-Louise Gourdon : Nous n’avons pas trouvé dans le titre de résonance positive, on a eu du mal à mettre à côté de ce titre fort des" états d’urgences" quelque chose de positif, mais bien sûr les gens que nous avons invité ont chacun des propositions, des messages d’espoir, des solutions, des pistes nouvelles ! C’est bien pour cela que nous faisons le Festival, sinon ce serait terrible ! Néanmoins, on se sent, cette année, dans certains domaines au pied d’un mur. C’est pour montrer cela que nous avons choisi le visuel de l’affiche de cette édition qui s’inspire d’une œuvre sculpture de Bernard Pagès "L’échalier", qui a été exposée tout l’été à la Médiathèque de Mouans-Sartoux et sur laquelle nous avons donc eu le temps de méditer ! Il a présenté cette œuvre comme un escalier, pour arriver à passer un mur, à passer derrière. Pas à s’échapper mais à surmonter.
Cela m’a plu comme symbole pour cette édition du Festival : même si on est au pied du mur, le festival peut être une partie de cet "échalier" qui nous permet d’avoir une aide pour passer derrière le mur !

Ce qui est frappant cette année, c’est que l’on est déjà très engagé dans les problématiques du réchauffement climatique, etc., et que l’on ne peut que constater que les solutions avancées lors des grands sommets internationaux ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il faut faire plus vite aujourd’hui, il y a "états d’urgence" : il est temps maintenant d’explorer, d’utiliser d’autres solutions qui nous permettront de passer de l’autre côté du mur !

Le Festival est comme chaque année grand ouvert sur le monde et sur les grandes thématiques qui remettent en cause le devenir de la planète : il proposera une très grande variété de débats, des éclairages sur le nucléaire, la crise, la pauvreté, la montée des extrémismes, l’Histoire...
Il pose en outre cette fois une réflexion profonde sur la violence faite aux femmes dans le monde : pour quelle raison avoir choisi ce thème sensible cette année ?

- Marie-Louise Gourdon : On a toujours abordé lors des précédents festivals des thèmes sur l’égalité homme-femme, sur le droit des femmes, mais cette année il y a eu des événements terribles portés à notre connaissance : des événements individuels ou des événements collectifs monstrueux qui sont arrivés aux femmes PARCE QU’ELLES sont femmes, être une femme est un délit...C’est le cas en 2001 de ces femmes à Hassi Messaoud en Algérie qui essaient de se faire une vie indépendante, de travailler qui ont fait l’objet d’un lynchage abominable ; c’est le cas en Turquie de cette jeune femme immolée par son ami avec qui elle ne voulait plus rester mariée ; c’est le cas au Pakistan où des jeunes filles ont été enterrées vivantes...et sans aller si loin, c’est aussi le cas chez nous où une femme meurt tous les deux jours et demi du fait de violences qui leur sont faites.

C’est le cas de toutes ces femmes qui sont considérées comme une sous humanité, qui n’ont aucun droit, aucune éducation...moi je n’y arrive plus...

Il faut les considérer comme des êtres humains qu’on leur donne leurs droits et libertés, et il faut y travailler en urgence :
Il y a trois remparts, trois axes sur lesquels œuvrer en priorité :
- l’éducation des filles et des garçons pour prendre conscience de cette inégalité
- la laïcité à renforcer là où elle existe ou à instaurer dans les pays où elle n’existe pas, et faire en sorte que la religion - quelle qu’elle soit- n’interfère pas dans la laïcité.
- la loi : il y a des lois dans des pays qui existent mais qui ne sont pas respectées, des lois qui n’existent pas dans certains pays et même des lois "contre les femmes" dans d’autres qui les rendent légalement soumises... trois chapitres sur lesquels il faut travailler pour que cette liberté et dignité minimale aux femmes soit donnée.

J’ai donc posé à Françoise Héritier, anthropologue, professeur au Collège de France qui a travaillé depuis des années sur ces questions hommes/femmes la question "Qu’est ce qui est à l’origine de cette violence de certains hommes envers les femmes, une violence qui a l’air d’être lointaine, instinctive, presque considérée comme naturelle par eux et par elles ?.

Elle va répondre à cette question sur le petit livre que le Festival édite chaque année via notre collection "Voix Libre" et qui s’intitule "Ces yeux qui te regardent et la nuit et le jour, la violence envers les femmes dans le monde".

Et ce sera l’objet d’un débat sur le festival pour parler de ce sujet : avec notamment pour invités deux des jeunes filles ayant été témoins et victimes du lynchage à Hassi Messaoud et dont Nadia Kaci a recueilli le témoignage dans le livre "Laissées pour morte...à Hassi Messaoud" ; aussi Sabatina James qui est une jeune pakistanaise qui a subi pas mal de choses difficiles et qui aujourd’hui en exil et vivant sous un faux nom pour échapper à une fatwa ; et des jeunes filles d’ici qui ont connu l’excision, l’immolation..
Ce débat est important pour montrer que ces histoires ne sont pas que des mots dans des livres : ces sont des réalités, des douleurs quotidiennes de femmes qui les vivent réellement.

Comment pouvez-vous mesurer ce qu’apportent ces débats, ces réflexions croisées organisés par le Festival d’une année sur l’autre ?

- Marie-Louise Gourdon : La première des choses c’est de voir que le public suit et qu’il est même de plus en plus nombreux d’année en année.

C’est le signe que l’on ne tombe pas à côté, les gens via internet nous en redemandent : il y a un vrai besoin, un vrai appétit de ce type de rencontres, avec ce type de personnes.
Car ce ne sont pas les grandes voix que l’on entend sur les grandes chaines de radio ou de télé tous les jours, ce sont des gens qui apportent quelque chose de nouveau, qui réfléchissent autrement. Bien évidemment il y a toujours des invités que tout le monde connait, on a par exemple invité cette année Florence Aubenas ou martin Hirsch, Patrick Pelloux, Geneviève Azam, Thomas Legrand : ce sont des voix qui ont pleine autorité et sont pointus dans leur domaine et leur point de vue. Nous au festival, on les confronte les uns avec les autres, et ce n’est pas forcément des personnes qui ont l’habitude de parler avec des écrivains, des philosophes ou des sociologues, dés économistes.. : tous ces gens ont un discours et des idées intéressantes mais ce discours est encore plus intéressant lorsqu’il est confronté avec d’autres discours ! Les gens ne peuvent plus avoir de discours convenus, il y a une confrontation incontournable sous les yeux du public qui lui-même intervient et interpelle, propose ses idées.

Ce qui est certain, c’est que le Festival met en avant la réflexion en commun pour l’avenir et que même si on n’ a pas toutes les réponses pour franchir le mur, on y travaille !

Le Festival mélange les genres aussi et surtout pour n’exclure personne : de l’écrit à l’écran, cinéma, littérature, des sciences et des animations : le Festival veut toujours être populaire, que tout le monde puisse y venir, y trouve un intérêt !

Sur la page d’accueil du site du Festival, vous mettez en première lecture une lettre de Gustave Flaubert à Georges Sand où il est question d’un campement de bohémiens....

- Marie-Louise Gourdon : Le Festival présente toujours des questions de société, c’est notre engagement. Parler de littérature, c’est parler du monde. Et parler du monde c’est aussi parler de littérature. On a pourtant toujours évité d’être dans des questions d’actualité brûlantes, mais cette année il nous a semblé que ces expulsions, dans l’urgence, violentes, de Rroms, femmes, enfants devaient être présentées, c’est un état d’urgence...


23e Festival du Livre de Mouans-Sartoux 1 – 2 – 3 octobre
envoyé par YoanBOSELLI. - L’info internationale vidéo.

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