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Philippe Pastor, invité d’honneur d’ARTMONACO’10

Mettre clairement l’écologie au cœur du débat sur la création contemporaine, tel est le parti pris de la manifestation Art Monaco’10 qui s’engage, dès sa première édition, à consacrer un « Prix d’excellence pensée écologique » et à nommer comme invité d’honneur Philippe Pastor. Rien d’étonnant, l’artiste n’en est pas à son coup d’essai. Autodidacte et insoumis, Il a su s’imposer sur la scène internationale cette dernière décennie avec un travail résolument tourné vers la sauvegarde de l’environnement.
Les oeuvres exposées au Grimaldi Forum proviennent de la série Les Quatre Saisons. Bien que ce travail s’inscrive dans la continuité de la série du Ciel regarde la Terre, exposée lors de la dernière Biennale de Venise, ou encore la série des Coeurs, il semble que le dialogue avec la nature soit ici porté à son paroxysme. Révolté par la destruction de l’environnement, Philippe Pastor frappe fort et décide de créer directement dans la nature, avec la nature. Il place d’immenses toiles à même le sol et définit des compositions chromatiques singulières. Ces toiles se destinent à rester plusieurs mois en plein air, et, tels des « works in progress », évoluent au gré des intempéries et autres érosions naturelles : l’homme et la nature interagissent, jusqu’à créer une harmonie sensible. Ainsi, plus encore que de saisir le rythme successif des saisons dans leur déroulement, il s’agit pour l’artiste d’aménager les termes d’un accord fondamental entre l’Homme et la Nature.

Approche frontale.

Qu’est-ce qui vous a poussé à sortir du carcan de l’atelier pour travailler en pleine nature ?

Mon travail se préoccupe tellement de la nature que je n’envisage pas d’autres solutions que de créer dans la nature, au milieu des éléments. C’est hyper important pour moi : le froid, la pluie, les intempéries...Il fallait que je sois en contact direct avec ces éléments. Après, c’est toujours difficile d’aller chercher le pourquoi du comment. C’est une question très approfondie, à la fois réfléchie et toujours spontanée. Cela faisait longtemps que je voulais travailler dans la nature, mais il fallait prendre en compte les questions de logistique, choisir le bon lieu, le bon moment, c’est toujours difficile, le passage à l’acte...

Philippe Pastor, Les Quatre Saisons, 2009

Vous avez créé différentes installations à travers le monde, du Kenya à Singapour, afin de dénoncer la destruction de l’environnement. Y a-t-il un endroit particulier où vos souhaiteriez intervenir ?

Aujourd’hui, si vous regardez bien ce qu’il se passe dans le monde, il n’y a plus un seul endroit véritablement préservé de toute cette pollution générale. Partout, on est submergé par cette hyperproduction…. Le seul endroit où j’aimerais aller, un jour ou l’autre, c’est en Patagonie.
C’est un endroit qui reste sauvage, éloigné des grands centres industriels, avec des réserves d’eau. Mais le grand paradoxe, c’est que même là, ils détruisent tout avec des techniques de production insensées. C’est quand même incroyable de voir que partout dans le monde aujourd’hui, il y a tant de destruction. C’est mal barré, et mon travail est basé là-dessus, sur cette prise de conscience, et sur le travail proprement dit des pigments. À force de pratiquer, j’arrive à obtenir des effets nouveaux, à enclencher de nouveaux mouvements.

Vos toiles restent in situ pendant plusieurs mois. À quel moment décidez-vous d’interrompre ce processus ?

Philippe Pastor, Les Quatre Saisons, in situ, La Garde-Freinet, 2009

Je les laisse environ trois, quatre mois pour qu’il puisse y avoir un échange intéressant. Pas plus, sinon la toile craque, et il faut trouver le juste équilibre entre l’échange et la ruine ! Tout est une question d’équilibre. L’effet du temps est suffisant. Je voudrais que lorsque l’on regarde une toile, on retrouve ce sentiment que l’on a en marchant dans la rue, à la vue des traces sur le sol, d’une ancienne porte en ville, d’un sol de pavés… L’usure du passage des gens, ça creuse à l’intérieur. C’est l’usure qui m’intéresse, l’usure par les gens, l’usure par la société, l’usure par la nature…C’est mon mode de vie. Ce n’est pas pour rien que je vis dans une ancienne ferme à la Garde-Freinet, chauffé au feu de cheminée tout l’hiver, c’est ma vie. Je n’ai pas envie d’autre chose.

Et concernant cette étape ultime, où vous découpez « une toile dans la toile »…

À vrai dire, si j’avais le choix, je ferais des toiles de 7, 8 m de long sur 3, 4 m de large ! Cela permettrait une lecture de la toile vraiment très intéressante, alternant les parties de douceurs et les pics d’intensité. Elle pourrait se lire comme une série de montagnes, un océan, dans son intégralité. Mais c’est une question de marketing aujourd’hui, ce n’est pas autre chose, on ne nous demande plus d’exister à travers un travail et de nous exprimer, mais de vendre. Je suis quand même emmerdé, moi, de découper ces toiles à un certain moment, alors j’essaie de le faire au mieux, de révéler la partie la plus intense, celle qui est le mieux à même de rendre compte du processus général. Mais bon, je ne suis pas le seul artiste à subir ça.

Philippe Pastor, Les Quatre Saisons, 2009-2010

Art Monaco’10 vous invite à remettre le « Prix d’excellence pensée écologique » à la galerie qui présentera l’œuvre la plus forte en relation avec la thématique environnementale. Pensez-vous que, grâce à l’art, il puisse y avoir une véritable prise de conscience générale ?

Dans l’absolu, je voudrais bien, mais je reste très sceptique à l’idée que l’on puisse traiter de sujets aussi graves. Les gens ne se sentent concernés par rien, juste par leur nombril. Donner un prix pour cet événement, c’est positif, mais ça fait pas mal d’années que je suis à la recherche de cette « peinture-environnement ». Aujourd’hui, je l’ai tellement pratiquée que je ne me rends plus compte de ce que ça représente pour la majorité. C’est peut-être devenu un peu à la mode, et donc si c’est à la mode, c’est peut-être que ça fait du chemin aussi… mais je ne suis pas persuadé qu’il y ait une prise de conscience de quoi que ce soit sur quoi que ce soit aujourd’hui…Moi je n’aime pas le progrès, cela me fait frémir… Quand on pense à toute cette hyperproduction, hyperpollution, surpopulation, c’est terrible. Le monde est en train de se casser la gueule et je veux montrer à ma manière ce qu’il se passe autour de moi. Je me sens véritablement concerné par la pollution, les guerres, la destruction. Aujourd’hui, personne n’est concerné par rien. Même pas par l’Autre. L’Autre, c’est déjà trop loin dans la conscience des gens…

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