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Alfons Alt : Ne pas se fier aux certitudes…

Définir le travail d’Alfons Alt n’est pas chose simple. À la fois photographe-plasticien, digne héritier d’une technique qu’il a lui-même améliorée, l’Altotype ; reporter émérite et globe-trotter invétéré, l’artiste mélange les genres, entre cliché et peinture. De par son ‘Altothèque’ il donne à voir figures humaines, paysages, faunes et flores, comme autant de témoignages du réel. Une production qui dure depuis bientôt 15 ans, et qui donne lieu aujourd’hui à une rétrospective en deux parties, « Effondrement des certitudes » au Centre d’Art La Malmaison, et « Itinéraire Africain », à l’Espace Miramar à Cannes.

Les deux Soeurs - Alfons Alt

Humana, Bestia, Hortus… On croirait entendre les borborygmes du Capitaine Haddock. Et pourtant, derrière ces étranges mots latins se cache un tout autre genre : à la fois bestiaire étrange décliné en thèmes et catégories de l’Altothèque (une collection de ses propres clichés que l’artiste donne à voir sur alfons-alt.com), l’ensemble se définit comme un catalogue rigoureux de tout ce qui figure le « réel » , l’Alt-(er), ce qui se voit à travers nos yeux et qui n’est pas « soi ». Mais cette « réalité » que l’on perçoit à travers ces images somme toute assez banales ne représentent qu’une façade de l’œuvre d’Alfons Alt, artiste s’épanouissant aux frontières de l’hybridation des genres, entre photographie et peinture.

Et pour voir au-delà, il faut chercher la « petite bête ». Le meilleur exemple, c’est de visiter en ce moment même l’exposition intitulée « Effondrement des certitudes » au Centre d’Art La Malmaison. On y voit certaines œuvres de l’Altothèque, et judicieusement, les thèmes correspondent aux salles : figures humaines, du simple bustier au portrait de famille ; faune, à l’image de ces bovins, éléphants ou primates malicieux ; flore abondante (dahlia, pissenlit) ou bestiaire mythologique (Minautore…), peuplant ainsi l’imaginaire débridé du photographe bavarois… Et n’est pas en reste le béton froid des buildings new-yorkais puisqu’une grande partie de l’exposition y est consacrée, la « Structure » étant, dans l’œuvre classifiée d’Alfons Alt, un important sujet d’étude. Globe-trotter dans l’âme, en passant de la Grosse Pomme à Barcelone, ses destinations l’ont d’ailleurs conduit aux quatre coins de la planète et notamment aux portes de l’Afrique, dont on pourra voir l’itinéraire (encore une catégorie de l’Altothèque !) en clichés lors de la seconde partie de l’exposition à l’Espace Miramar.
Beaucoup de bêtes, certes, mais où chercher la petite, alors ?... En observant, patiemment. Au gré de l’exposition, les intentions se dévoilent. Là où réside le mystère se joue l’œuvre toute entière, entre ces coups de « pinceaux » que l’on ne devine pas. Les clichés sont emplis de couleurs étranges, qui couvrent entièrement le sujet : chaque teinte correspond à une atmosphère, un visage, un paysage, qu’il soit sauvage ou bétonné. Ce lien délicatement inscrit sur la toile entre pigment de couleur et sujet photographié, voilà toute la beauté des œuvres d’Alfons Alt. Cet artiste franco-allemand, aujourd’hui installé au cœur de la Friche La Belle de Mai à Marseille, saisit l’instant du geste pictural en apposant une touche de peinture sur le papier photographique.

Une technique révélatrice

Bell Atlantic - Alfons Alt

Pour comprendre l’étrange création qui naît de ce mariage entre photographie et peinture, il faut aborder la technique si personnelle qu’Alfons Alt développe et améliore depuis de nombreuses années, l’Altotype. Drôle de nom, d’abord. L’Altotype remonte à la racine du nom « Alt », évidemment. Cette Technique photographique prend sa source au début du XIXème siècle : la résinopigmentyte, dont les balbutiements se sont faits grâce à l’inventeur Louis-Alphonse Poitevin, repose sur la faculté de la gélatine (résino) à se durcir au contact du soleil. En fonction de son exposition lumineuse, la gélatine finit par être totalement inaltérable. Et avec un lavage à l’eau froide, la matière, dont le papier photographique est imprégné, dévoile mystérieusement le cliché en absorbant les pigments de couleur (pigmentyte) qu’Alfons Alt saupoudre à l’aide d’un simple pinceau.

Un procédé qui fait ainsi naître de la révélation de véritables œuvres d’art. Alfons Alt réussi à faire surgir de son imaginaire un bébé métissé qui produit un double sens : montrer le réel pour le réel et transfigurer le réel pour faire émerger, timidement, l’Art. La technique de l’Altotype donne un aspect ancien à l’œuvre. Troublés, nous le sommes, lorsque nous observons ces tableaux : les clichés sont modernes, mais l’on ressent cette étrange fatalité du temps qui passe. Cette dimension funeste nous prend aux mots à la manière d’un daguerréotype antique, évoquant ainsi les émouvants débuts de l’argentique.

L’exposition intrigue, donc. Entre impression étrange de nostalgie et beauté d’un paysage tout en couleur à la manière d’un Turner, l’effondrement des certitudes est bien présent. Plus qu’une exposition photographique, une expérience photographique, par l’alliage de deux arts qui différent au premier abord mais qui, une fois assemblés, permettent de nous interroger sur cette hybridation des genres. Ce que nous pensions n’être qu’une expo photo se révèle être tout autre : cela n’était certainement pas l’idée première, mais nos certitudes en prennent un bon coup. Tant mieux.

Voyage au cœur de l’Afrique

Bakery Delivery - Alfons Alt

La deuxième partie de l’exposition située à l’Espace Miramar (non loin du Centre d’Art La Malmaison) expose de magnifiques clichés, proposant la découverte, ici, d’un monde africain. L’itinéraire tient une place centrale dans l’Altothèque de l’artiste, puisqu’ici tous les thèmes se mélangent pour n’en former plus qu’un, univers prenant, intense. Entre les différents portraits d’hommes et de femmes qui se prêtent au jeu de la ‘caméra’ évoluent faunes africaines, paysages de baobab, flores étranges. Agrémenté d’une dizaine de statues africaines particulièrement belles, ce deuxième volet consacré au berceau de la civilisation n’est en aucun cas à négliger. Un récit de voyage qui complète en beauté l’ensemble de la rétrospective et que vous ne tarderez pas à voir, puisque l’exposition se clôture cette semaine.

Informations Pratiques

- Jusqu’au au 28 Mars 2010, au Centre d’Art La Malmaison, 47, La Croisette- Cannes

Ouverture tous les jours sauf les lundis et jours fériés 10h-13h/14h-18h
- Jusqu’au 28 Février 2010 à l’Espace Miramar, Angle Rue Pasteur et boulevard de la Croisette- Cannes

- Commissaire de l’Exposition : Frédéric Ballester
- Tél. renseignements 04 97 06 44 90

- Crédit Toutes Photos de cet article : ©courtesy Centre d’Art La Malmaison

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