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PARIS : Esther Shalev-Gerz au Jeu de Paume

L’exposition « Ton image me regarde » que le Jeu de Paume consacre à Esther Shalev-Gerz atteste de la forte autonomie de ces œuvres toutes fondées sur « le mode d’interaction le plus démocratique » qui soit : le dialogue et la prise de parole, destinés à faire « émerger l’Autre ». Du 09 février au 06 juin 2010.

- L’art d’Esther Shalev-Gerz est un art de commande et un art in situ, selon l’artiste, pour qui le lieu s’entend dans toutes ses dimensions, tant spatiales, qu’institutionnelles, culturelles, sociales, ou historiques. Ce qui rend a priori improbable une monographie quasi rétrospective, qui ne peut présenter que des œuvres hors sol, en quelque sorte.
Pourtant, l’exposition que le Jeu de Paume consacre à Esther Shalev-Gerz atteste de la forte autonomie de ces œuvres toutes fondées sur « le mode d’interaction le plus démocratique » qui soit : le dialogue et la prise de parole, destinés à faire « émerger l’Autre ». Pour autant la parole n’est qu’un moment de processus toujours complexes, qui s’appliquent à séparer, fendre, isoler pour les réagencer, sons, images, mots, visages, silences et temporalités. C’est que, fait remarquer l’artiste, le réel regorge de ces écarts entre les choses et les mots qui les désignent.

- Ainsi ce « paysage industriel » de Norrköping, en Suède, conservé à titre de patrimoine. Un paysage qui n’a plus rien d’industriel puisque les usines textiles, désaffectées et restaurées, sont désormais propres et silencieuses, ni d’un paysage, puisque tout, jusqu’à la rivière, a été redessiné comme un décor, et nettoyé de toute scorie.
Esther Shalev-Gerz, intervenant pour le Musée d’art de la ville, conçoit Sound Machine, un dispositif qui se nourrit de cette artificialité : des machines animées sont recréées en 3D à partir de plans retrouvés dans les archives, mais incomplets, leur bruit de cliquetis est recomposé par un musicien et l’artiste, et séparé d’elles, puisque c’est au-dessus du grondement de la circulation, à l’extérieur du Jeu de Paume, que flotte cette mécanique incongrue.
Esther Shalev-Gerz avait par ailleurs demandé à des femmes ayant travaillé dans ces usines, alors qu’elles étaient enceintes, de témoigner de leurs conditions de travail, et d’écouter ce bruit en compagnie de leur fille désormais adulte. Elles apparaissent à l’écran, côte à côte, devant cette forêt de machines en action, silencieuses et improductives.
Entre l’écoute et la parole, ce sont leurs corps et leurs visages, leurs regards qui se cherchent ou s’indiffèrent, qui disent la mémoire qu’elles ont gardée l’une et l’autre de cette époque.

Entre l’écoute et la parole

- C’est aussi le titre d’une œuvre produite à l’Hôtel de Ville de Paris en 2005 pour le soixantième anniversaire de la libération d’Auschwitz.
Soixante survivants y témoignaient, dans des entretiens vidéo, de leur expérience des camps ainsi que de leur vie avant et après l’internement et aujourd’hui. Pour le Jeu de Paume, Esther Shalev-Gerz n’a conservé que le triptyque vidéographique qui surplombait la salle de consultation des témoignages. Composé d’un même film, diffusé avec un léger décalage, il est un montage « des “inter-dits” de ces enregistrements, les moments entre la question posée et la réponse, afin de faire le portrait de ces témoins à partir de leurs silences ».
Moments singuliers de la saisie d’une question, et de l’introspection nécessaire à la formulation d’une réponse, où le témoin fait retour sur un vécu invisible, sinon indicible. Le passé dans le présent. Tel un double flux temporel, celui que mesure l’horloge des Anges inséparables, à double cadran, l’un pour le temps qui recule, l’autre pour celui qui avance. Entre la mémoire et l’oubli.

- De Buchenwald, pas de témoins, mais des objets, non pas ces amoncellements terrifiants qui ont symbolisé l’horreur des camps, mais ceux, uniques, que les prisonniers, au prix de risques invraisemblables, ont confectionnés : peigne soigneusement taillé dans une règle, subtilisée dans un atelier, alors même que les détenus allaient têtes rasées ; fer à repasser, pour venir à bout de la vermine ; calendrier gravé sur de petits bouts de métal, n’indiquant que les mois, pas les jours, sans doute trop semblables, etc.
Pas tant les objets eux-mêmes donc, que la vie nouvelle que leur insufflent les mains et les mots des professionnels — historien, photographe, restauratrice, etc. —, qui travaillent à leur conservation, devant la caméra de l’artiste.
Au mur, des diptyques photographiques montrent les objets dans ces mains qui les présentent sous deux angles distincts. C’est dans cet intervalle que réside la possibilité de sens, à rebours de toute sacralisation figée. La loi du deux, dit Jacques Rancière. Cette séparation, ce décollement, sont encore à l’œuvre dans White-Out, comme dans les autres dispositifs : ici une femme suédoise et saami, répond à une série de clichés ou de lieux communs sur les relations des deux peuples, auxquels elle appartient...

Informations Pratiques

- Jeu de paume
1, place de la Concorde
75001 Paris 1er
- T. 33 1 47 03 12 50
- [email protected]
- http://www.jeudepaume.org

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