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Au-delà des ruines, le futur d’Haïti...

Lorsqu’un désastre survient, toute l’attention se porte sur les vies humaines, le reste est superflu. Rappelons-nous : quand le tremblement de terre a frappé Haïti en Janvier dernier, les télévisions internationales se sont immédiatement -et légitimement- concentrées sur les faits chiffrés, dénombrant morts et disparus, miraculés et villes réduites à néant. Derrière cette news pourtant s’en cachait une autre, et pas des moindres : celle d’une destruction sans précédent du patrimoine artistique haïtien.

STRONG SPIRIT “Ezili Danto,” a female voodoo deity, by the sculptor André Eugène in Haiti. ©Leah Gordon

Tandis que ces derniers mois, l’effervescence médiatique retombe peu à peu, une constatation - qui avait été minimisée par les événements passés - vient frapper la capitale : l’une des plus grandes fiertés culturelles haïtienne -la Cathédrale Épiscopale de la Sainte Trinité basée à Port-au-Prince a tout simplement disparue. Détruite lors du séisme, avec elle se sont effondrés quarante ans de murs ornés des plus belles peintures Haïtiennes de la période dite Renaissance Haïtienne.

No more art ?

- Philomé Obin, Castera Basile, Rigaud Benoit, Wilson Bigaud, Prefete Duffaut...Les images qu’ils peignaient alors de leur pays, ces paradis verdoyants aux couleurs fruitées et tropicales attiraient en masse et achevaient de faire de cette nation à la gouvernance volatile une destination touristique prisée. Voilà l’art Haïtien devenant ainsi une "industrie" exportable de grande valeur.

- Le Centre d’Art où ces artistes, reconnus à leur juste valeur, côtoyaient André Breton, Aimé Césaire, ou Wilfredo Lama... a également été endommagé, au même titre que le Musée d’Art Haïtien.

- Dans son malheur, la plupart des 12 000 œuvres haïtiennes réunies durant plus d’un siècle et exposées au Musée/Galerie d’Art Nader ont été perdues lorsque le bâtiment, qui abritait la famille même s’est désintégré. Les œuvres intactes retrouvées dans les décombres du Centre d’Art et du Musée d’Art Haïtien ont été entreposées dans des containers. Tout ce qui reste devra être précieusement conservé...

- Et l’art qui n’était pas exposé entre les fragiles murs des musées ou sur les pages de la toile ? Il est bien plus difficile d’en évaluer la perte, bien que ces manifestations là aient été depuis longtemps connectées économiquement avec les États-Unis ou l’Europe. Il existait ainsi une certaine visibilité médiatique.

À titre d’exemple, en Décembre dernier, l’événement artistique " Biennale du Ghetto" tentait de se montrer sur la scène internationale : organisée dans les rues d’un quartier populaire de Port-au-Prince, la funky downtown Grand Rue, la manifestation -construite sur des standards d’organisations digne d’une biennale internationale mais à petite échelle-, cherchait à faire connaître plusieurs de ses sculpteurs haïtiens.

André Eugène in his workshop (Pic : © Leah Gordon)

Ces artistes formant le groupe "Atis Rezistans", étaient composé de trois seniors : André Eugène, Jean Hérard Celeur etFrantz Jacques, connu sous le pseudonyme de Guyodo. Ils travaillaient alors dans la Grand Rue, ce dédale de garages en folies servant -accessoirement- d’ateliers d’artistes. Châssis rouillés, volants et moyeux, vilebrequins cassés et autres filtres troués...Avec l’aide de jeunes assistants, ils transformaient ces débris industriels en d’immenses figures dignes du jugements derniers, dotées de corps aux difformités effrayantes. Et dont les têtes n’en restaient pas moins cauchemardesques : de grands crânes humains faits de plastiques achevaient de faire de ces œuvres des créations morbides et totalement originales.

Voodoo Art

© U.C.L.A Fowler D.R

Ces artistes, approchant pour la plupart la quarantaine, appartiennent à une génération internationalement reconnue et dont la valeur atteint des sommets une fois qu’ils sont exposés à l’étranger. Ils ont bien connu Haïti : de ses côtés néfastes ils en ont fait leur art, témoins de l’histoire d’une nation instable et violente. Leurs créations s’inscrivent ainsi dans une rupture, celle d’avec leur ainés, ces fameux artistes peignant d’immenses fresques idylliques dont la majeure partie des œuvres murales ont disparu dans les décombres.

Et pourtant loin d’être différents, tous ces peintres et sculpteurs partagent un héritage commun : d’origine plus ou moins proche, et de façon différente à chacun, la plupart de leurs créations prennent appui sur la religion vaudou Afro-Caribéenne - croyance majoritaire sur l’île -, une religion partagée, assurant cohésion sociale et culturelle pour tous.

© B.M.A D.R

Là où les peintres du Centre d’Art comme André Pierre (1915-2005) et Hector Hyppolite (1894-1948), tous deux prêtres vaudou, encensent les aspects les plus bénins de la religion par les représentations magnifiées de dieux issus de leurs croyances, le groupe "Atis Rezistants" en explore le côté sombre et déviant. Leurs sculptures dépeignent les macabres esprits déifiés nommés "Gedes" et leur figure parentale, le Baron Samedi, seigneur de la Mort à l’aspect pourrissant, grotesque et érotique...

- Lorsque le séisme s’est produit, une grande partie de la Grand Rue a été plongée dans le désespoir, la plupart des statues et œuvres sculptées du groupe "Atis Rezistants" ayant été martyrisées, broyées, détruites par la catastrophe. L’exception est restée celle du Baron Samedi, intacte et toujours érigée, comme en ultime témoin de l’épreuve subite. (...) Peu après vinrent des nouvelles de Port-au-Prince rapportant qu’un magnifique temple "Gede", dont la construction avait été supervisée par le prêtre vaudou Akiki Baka (ou Empereur Sonson) et situé à quelques pas de la Grand Rue -épicentre du séisme- était resté indemne.

Le Vaudou Show de Donald J.Cosentino

- Ainsi, du désastre surgit l’Art.

En d’autres termes, naît le projet d’une exposition internationale "Le Vaudou Show" et dont la forme et le fond sont, comme la vie en Haïti, une préparation à l’imprévisible. L’événement est prévu début 2012 et le nom "Haïti in extremis : After the Apocalypse" - modifié suite au séisme - évoque l’espoir et le renouveau. Créée par Donald J. Cosentino (professeur à l’U.C.L.A) cette exposition sera organisée par le Fowler Museum d’Histoire de la Culture au sein de l’U.C.L.A. Un show sans précédent qui rendra ainsi hommage à l’art haïtien dans toute sa splendeur mortuaire...

- Mais d’ici là, il reste deux ans, deux ans qui pourraient être ou ne pas être : il faudra alors prier et s’en remettre aux volontés divines des seigneurs Gedes.

Article original sur http://www.nytimes.com/2010/03/18/a...

- Informations Supplémentaires sur : http://www.fowler.ucla.edu/incEngin...

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