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LYON : Biennale 11, Une terrible beauté est née

Conçue par la commissaire argentine Victoria Noorthoorn, la 11e Biennale de Lyon rassemble 70 artistes du monde entier, venus principalement d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine, dont les œuvres sont exposées sur 13 000 m² dans quatre lieux : La Sucrière, la Fondation Bullukian, le Musée d’art contemporain de Lyon et l’Usine T.A.S.E. La Biennale de Lyon, est une exposition internationale accompagnée de deux plateformes, Veduta et Résonance.

11e Biennale de Lyon 15 Septembre > 31 Décembre 2011 Journées professionnelles : 13-14 septembre 2011 Une terrible beauté est née* *Yeats, 1969 Commissaire invitée : Victoria Noorthoorn Directeur artistique : Thierry Raspail www.labiennaledelyon.com/art Victoria Noorthoorn, Commissaire © Cristiano Sant’Anna, 2008

Pour la 11e édition de la Biennale de Lyon, historiquement une biennale d’auteur, j’ai
choisi de faire ce que font les artistes – de tâtonner dans l’obscurité sans savoir si celleci
s’éclaircira ou non au cours de ma progression, pas à pas et d’oeuvre à oeuvre, de me
laisser influencer par mes obsessions, mes intuitions et mes frayeurs, et d’être guidée
J’ai voyagé et fait en sorte que cette exposition parle tout à la fois de
l’incertitude du présent et de son proche avenir, qu’elle parle de la condition de l’artiste
et de la nécessité de l’art, tout en restant ouverte au doute, à la contradiction et à la
perplexité, au changement et au mouvement. Cette exposition est née des convictions
et interrogations suivantes :

1 L’imagination est le pilier de la connaissance.

Nous partageons avec
Oscar Wilde chacune de ses célèbres
épigrammes : « la fonction de l’artiste
est d’inventer et non d’enregistrer » ; « le
plaisir suprême de la littérature est de
réaliser l’inexistant » ; et « je plaide pour le
mensonge dans l’art ». Cela signifie que l’art
doit prendre ses distances à l’égard du réel
pour exister en tant que tel – en tant que
construction artificielle – et pour répondre en
retour, et avec éloquence, à la complexité
du réel

2 L’imagination permet au rationnel et à l’irrationnel de cohabiter avec la plus grande productivité.

L’artifice de l’art se
crée en réunissant ou en opposant des
méthodologies très diverses, qu’elles
soient rationnelles (ainsi, le retour aux
notions modernes de sciences et
d’encyclopédie) ou irrationnelles (ainsi,
l’appel au mysticisme, à la fantasmagorie, à
l’hallucination, au délire, au jeu et au hasard,
jusqu’à l’abandon).

3 L’imagination permet à l’individu de prendre des risques, de repousser ses limites et d’explorer avec ou sans intention intellectuelle les gestes et les pratiques qui sont autant d’alternatives au présent – et donc de construire des utopies alternatives.

4 L’imagination est la première des émancipations.

5 La liberté peut prendre différentes formes dans l’art

l’interrogation du
présent, la création d’un monde alternatif,
la destruction constructive des discours
et des langages établis. Cette destruction
constructive rejoint l’imagination et fait de
l’absurde, du délire et de l’humour des outils
d’émancipation du langage.

6 Dans son poème Pâques, 1916, le poète W. B. Yeats s’interroge sur son propre présent et analyse avec la plus grande incertitude la révolte des Irlandais revendiquant leur émancipation du joug britannique.

A première vue, le poème
semble célébrer les martyrs qui donnèrent
leurs vies pour l’indépendance. Mais en y
regardant de plus près, il est évident que
le narrateur doute. Comme l’affirme Carlos
Gamerro dans l’essai qu’il publie pour le
catalogue de la Biennale de Lyon 2011, le
poème, troublant, oscille entre affirmation,
interrogation et négation, sans jamais
prendre partie. Cette Biennale est pénétrée
de ce sentiment qui nous laisse incapable
de juger de l’évidence d’un présent.
Nous préférons répondre, deviner et nous
contredire en toute liberté.

7 Une terrible beauté est née, le fameux vers du poème de Yeats qui donne son titre à la Biennale, rassemble deux notions apparemment opposées – c’est cette contradiction productive qui nous intéresse ici.

8 Pourquoi est-il nécessaire d’interroger une fois encore cette notion de beauté ?

La beauté est depuis toujours l’un des
paramètres les plus violents et les plus
arbitraires de la pensée occidentale.
Interrogeons-nous : la Beauté – au sens de
R. M. Rilke – est-elle toujours le début de la
terreur ? Y’a-t-il une beauté qui ne soit pas
terrible ? L’émergence de la beauté adoucitelle
la brutalité du réel ou n’en renforce-t-elle
pas au contraire les horreurs ?

9 Cette Biennale est une réponse à ces questions et ces mécanismes en ce qu’elle orchestre les tensions, les vides et les excès sur lesquels s’appuient les artistes en réaction au présent.

Dans sa
mise en scène, la Biennale emprunte à la
philosophie, au théâtre et à la littérature. La
scène, le jeu, le dévoilement, la dissimilation
ou le déguisement s’infiltrent partout dans la
Biennale. La charte graphique conçue pour
elle par l’artiste Erick Beltrán en est d’ailleurs
un exemple. L’exposition invite ainsi la
fiction à se développer et à commenter les
contradictions du présent.

10 Cette Biennale entend l’actuelle confusion de l’art, à une époque où celui-ci est principalement considéré comme un produit de marché.

Ici, nous cherchons à
élaborer une exposition conçue comme
un réseau au sein duquel les oeuvres
communiquent entre elles, en créant du
sens et en prenant position à l’égard du
monde.

11 A la suite de Wilde, cette exposition ne cherche pas à témoigner ; elle distingue l’art du journalisme.

12 Elle distingue également l’art de la communication.

Cette Biennale s’efforce
de résister aux modes de communication
courants qui exigent d’une exposition qu’elle
soit soumise à un communiqué rédigé sur
le même ton et empruntant un vocabulaire
commun aux quatre coins du monde.
Nous résistons à la nécessité d’expliquer la
densité. Si des textes doivent être publiés
dans le cadre de la Biennale ou dans son
catalogue, ils le seront au titre d’oeuvres
d’art et pas en tant que textes étroitement
explicatifs.

13 Depuis l’Antiquité, les mots étaient par-dessus tout des images et les images, des mots.

Ecrire, c’était faire image. Les
unes et les autres incarnaient un sens et une
action. La création d’une image suppose
dorénavant la possibilité d’une action qui
prenne place dans le réel. C’est cette action
performative que nous souhaitons susciter.

14 Chaque image a un effet, et cette exposition est conçue comme une réflexion sur ces effets.

Nous partageons les
réflexions de W. J. T. Mitchell en choisissant
de nous interroger sur le désir et le faire
des images, sur ce qu’elles véhiculent
et comment, plutôt que ce qu’elles
représentent. Nous souhaitons montrer le
pouvoir des images, un pouvoir capable de
modifier de façon radicale l’ordre établi. A
cet égard, nous croyons à l’importance de
la création de l’image – aussi fictionnelle,
rare ou travestie qu’elle puisse paraître – en
tant qu’action qui permet à son créateur
de mettre en scène sa propre position
idéologique.

15 Nous souhaitons nous interroger sur le pouvoir de la ligne en tant qu’outil de démarcation du territoire et représentation d’une position dans le temps, dans l’espace et dans l’idéologie.

16 C’est ainsi que nous souhaitons répondre à la confusion croissante entre art et politique.

Pour nous, l’artiste est avant
tout un sujet politique et l’art est politique.
Nous n’avons aucune intention de faire de la
politique au sein de l’espace d’exposition ;
un tel désir serait redondant.

17 La 11e Biennale de Lyon a été conçue à Buenos Aires, en Amérique du sud, pour et avec Lyon.

Les artistes exposés ont été
conviés durant de nombreux voyages de
recherche en Europe et en Afrique au cours
de l’année écoulée et ont été choisis pour
leurs qualités personnelles et non en tant
que représentants de leurs pays ou régions
d’origines – faut-il le préciser ?
18 Dans de nombreux cas, les artistes
ont été invités à répondre les uns aux
autres. Il leur a été ainsi demandé de
résoudre des problèmes spécifiques
et de participer à un dialogue avec
d’autres artistes. Cette exposition est par
conséquent le fruit d’une conversation
permanente, d’un modus operandi qui croit
au pouvoir du dialogue dans l’élaboration de
tout projet.

19 La 11e Biennale de Lyon a l’ambition d’être vivante. Si elle pouvait être considérée comme un animal ou une créature vivante, elle choisirait de l’être.

Si elle peut entrer
en guerre contre elle-même et répondre
au caractère inexplicable du présent et à la
puissance de l’art, elle ira le faire.

La 11e Biennale de Lyon rassemble 60 artistes du monde entier, venus principalement
d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine, et dont les oeuvres sont exposées sur 14 000
m² dans quatre lieux : La Sucrière, la Fondation Bullukian, le Musée d’Art Contemporain
de Lyon et l’usine T.A.S.E.
Le catalogue de la Biennale est conçu et dirigé par une équipe éditoriale résidant
à Buenos Aires, dont font partie les écrivains Carlos Gamerro et Rubén Mira, le
dramaturge et metteur en scène Alejandro Tantanian, et moi-même. Conçu et publié en
étroite relation avec Franck Gautherot aux Presses du Réel, ce catalogue est un projet
éditorial autonome plutôt qu’une tentative de représentation de la Biennale en soi.
- Victoria Noorthoorn
Buenos Aires, 12 avril 2011

Commissaire invitée : Victoria Noorthoorn
Directeur artistique : Thierry Raspail
www.labiennaledelyon.com/art

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