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LA SEYNE SUR MER : Veronique Bigo, la voleuse d’objets

Du 7 mai au 19 juin 2011, Véronique Bigo présente ses œuvres à la Villa Tamaris dans le cadre d’une vaste exposition rétrospective intitulée :
« Une peinture méta-physique, histoire de taches »

L’artiste invite le public à parcourir son univers pictural à travers les quatre grandes périodes qui ont rythmé son œuvre : l’Antiquité, les objets, l’organique et les parcours. Une centaine d’œuvres sera présentée.

Le sac Kelly de Chantal S ©Jean-Christophe LETT

Décryptage

Artiste atypique, Véronique Bigo s’approprie l’histoire des objets pour la retranscrire, en donner sa propre vision et questionner le spectateur. Ses œuvres interpellent ne laissant jamais sans réponse celui qui les regarde. Les degrés de lecture sont multiples dans ses compositions : à chacun de décrypter les objets, leur sens et d’assembler les éléments narratifs et picturaux pour interpréter l’histoire qu’ils racontent.
Totalement libre et indépendante, Véronique Bigo bannit les frontières temporelles et refuse les distinctions entre art, design et production, les trois sphères étant, pour l’artiste, étroitement liées.
L’objet de consommation est regardé, analysé et devient ainsi le sujet du portrait, comme magnifié, « starifié ». "J’aime faire le portrait d’objets chargés de leur propre vécu" confie Véronique Bigo. Images connues ou reconnues de notre mémoire collective –telles les images de Man Ray, Mapplethorpe, Starck…- toutes sont interprétées et posent la question de l’identité et du sens de l’image.
La composition dépouillée de ses toiles, l’utilisation du noir et l’objet isolé sur toile de lin brut apportent puissance aux formes et subliment l’objet. Dissociant parfois dessin et couleurs, l’artiste appose une bande de vibrations chromatiques, sorte de graffitis, comme un clin d’œil au sujet.
Brice d’Antras, critique d’art et de design évoque son art : "Cette manière apparemment distanciée et analytique, de poser son sujet constitue la pierre angulaire de toute l’œuvre de Véronique Bigo. En fait généreux, ce processus nous amène à laisser vagabonder notre imaginaire et nous approprier librement le sujet qu’elle nous suggère".

Les parcours

Depuis les années 2000, Véronique Bigo étoffe sa « mise en scène » en élaborant des parcours.
"A travers l’histoire de personnages, de lieux, je raconte dans mes peintures ces histoires à travers les objets qu’ont eu ou qu’auraient pu avoir ces personnages. L’ensemble des tableaux propose une histoire en partie fictive, en partie réelle. Chaque tableau existe aussi seul". A partir d’un élément, d’un objet, Véronique

Bigo se fixe un axe créatif avec cette volonté d’interactivité avec le spectateur. L’interrogation est constante sur la narration, tant à l’intérieur du parcours que dans les toiles elles-mêmes : véritable questionnement métaphysique. Objets, indices matériels, traces et faits divers sont placés et indiqués de façon discontinue, permettant ainsi l’investigation, la découverte autrement d’un lieu, d’une ville, d’un musée et l’envie de développer un récit.

Les commandes

Outre la fréquence des expositions personnelles et collectives auxquelles l’artiste participe, et l’acquisition de ses œuvres dans une quinzaine de musées, Véronique Bigo répond à de nombreuses commandes, qui, pour elle, donnent une autre vie au tableau. Curieuse et ingénieuse, l’artiste a cette capacité d’intégrer les « données », d’un lieu, d’une personne et d’en donner sa propre interprétation, toujours libre, forte et chargée de sens.
Des commandes d’entreprises sont aussi faites auprès de Véronique Bigo, qui, toujours créative, répond à la volonté de celles-ci de trouver de nouvelles alternatives pour communiquer, améliorer voire renouveler leur image.

Objets décoratif

Stickers : Pensant que l’œuvre n’est pas unique et donc reproductible, Véronique Bigo décline son art ; conçus pour l’aménagement de la maison, l’artiste développe depuis peu, des séries originales et ludiques de stickers grands formats (2,60 x 0 , 80 m).

Meubles : Artiste polyvalente et ouverte aux échos de chaque art, elle propose également une série de mobilier. "De plus en plus souvent, je crée des meubles pour les espaces que je décore et que j’invente en essayant de composer des éléments d’un décor entrevu selon ma sensibilité et les besoins et usages des habitants du lieu »

Peintre du temps présent, Véronique Bigo est une anthropologue imaginative de notre modernité et construit une œuvre qui nous questionne sur les objets éphémères de notre société.

Biographie

Diplômée des Beaux Arts, Véronique Bigo obtient en 1970 une bourse à Rome et s’installe dans la ville éternelle jusqu’en 1986. Depuis, elle vit entre Marseille et Paris où elle enseigne à l’école d’Architecture de Paris la Villette. « Elle est l’une des meilleures représentantes de la deuxième génération de la nouvelle figuration en Europe » constate le critique d’art Jean-Luc Chalumeau dans son ouvrage Comprendre l’art contemporain.
Le site officiel de Véronique Bigo :
www.bigoveronique.com

Une archéologie du détail. Robert Bonaccorsi

Le Bracelet de Marie B (2009) ©Jean-Christophe LETT

Au départ, il y a le jeu. Le goût de l’évidence, le plaisir de la dissimulation. Dans les dessins et
peintures de Véronique Bigo, tout se trouve apparemment dit, montré, écrit, représenté… En fait,
tout apparaît pour mieux disparaître dans un clignotement de lanterne magique, dans les reflets
de miroirs kaléidoscopiques. La fantasmagorie ne s’avoue t-elle pas comme une technique, l’art
de faire voir des fantômes par illusion optique, un procédé visuel et rhétorique que Véronique
Bigo transforme en procédures artistiques. Une démarche développée en séquences thématiques
depuis l’origine : l’Antique (de 1970 à 1986), le Design (jusqu’en 1995), les Fleurs, les Légumes
(2001), Port Royal (2002), Libéral Bruant (2004), Explosions (2005), l’Annonciation (2006). L’histoire,
les lieux, les objets se croisent une nouvelle fois dans ce travail sur et autour de Marius Michel qui
fut élevé à la dignité de Pacha pour avoir construit cent vingt phares et balises et les quais de
Constantinople, en trente tableaux et cinquante dessins. Une partie permanente de cachecache
temporel qui évoque par bien des aspects les "rêves d’histoires", décrits récemment par
Philippe Artières. Objets, pratiques et traces "comme autant de tiroirs à tirer, de cartons à ouvrir,
d’enveloppes à décacheter"(1). Pour l’historien, il s’agit de recomposer le récit historique, de bâtir
"une histoire de l’ordinaire". Véronique Bigo inverse la problématique. Partant d’éléments historiques
avérés, elle crée une fiction en élargissant par les moyens visuels, le champ du possible, en
construisant une archéologie du détail. Qui dit fiction, dit récit. Certes, le langage pictural n’est
pas celui de la narration, la photographie elle-même ne raconte rien, mais la fable existe, s’insinue,
se développe à l’intérieur du cadre. Véronique Bigo découpe, inscrit la discontinuité comme
vecteur de sens, donne à voir des objets et des faits divers. Les articles décrits deviennent
autant de supports propices à l’envol de la fiction. Les sacs de l’arrière arrière petite fille de Michel
Pacha, les Ottomanes (comprises comme étoffes ou sièges), La chaussure de la petite-fille
de la gardienne du Phare de Fehner Bahge, qui posait pour Courbet. L’objet crée la fiction en
s’inscrivant dans l’histoire, petite et grande. Vies quotidiennes et histoire(s) de l’art se télescopent
et se superposent. Michel Pacha aurait pu connaître le diplomate turc Khalil Bey, commanditaire
de l’Origine du Monde. Edmond de Goncourt découvrira l’oeuvre en 1889 dissimulée derrière un
panneau extérieur représentant une église de village dans la neige. "Devant cette toile que je
n’avais jamais vue, je dois faire amende honorable à Courbet : Ce ventre, c’est beau comme la
chair d’un Corrège"(2). Dans le même mouvement, Le Sommeil (ou les deux Amies, ou Paresse et
luxure, ou les Dormeuses) s’inscrit dans un sac à main. Une prière d’insérer réflexive. Ici l’histoires’incarne dans la représentation : les Phares, l’Anneau échangé entre Soliman le magnifique et
François 1er. Les lieux sont identifiés et identifiables. Les derniers vestiges de la station climatique
d’hiver voulue et réalisée par Michel Pacha : la Villa Tamaris, les résidences, le Centre de Recherche
Océanographique… Les dessins fonctionnent comme des palimpsestes où le souvenir des
bâtiments disparus : hôtels, casinos, (Khalil Bey fut un joueur impénitent qui dispersa sa fortune sur
les tables de jeux, bien avant la création de Tamaris) apparaît en filigrane. Les mots dans le dessin
sont tout à la fois des notes, des références, des précisions. Une pratique scripturale inédite dans
son propos qui prolonge sa réflexion sur la description et la fable. "L’autre sac de la mariée. Le
phare de la mariée". André Breton, dans le texte éponyme, n’affirmait-il pas que la main était la
grande coupable : « comment accepter d’être esclave de sa propre main ». Et pourtant Véronique
Bigo dessine et peint avec une tranquille assurance qui permet à la virtuosité de ne plus être
une condition nécessaire et suffisante. La vérité est ailleurs, au-delà de l’image, dans un rapport,
une construction entre le spectateur et le tableau. "Une peinture n’est rien d’autre que ce que
nous projetons", écrit Véronique Bigo sur l’un de ses dessins. Et cet échange ne relève pas uniquement
de l’émotion (qui existe toujours fort heureusement), mais de la découverte progressive, discontinue,
dynamique de significations multiples grâce à la maîtrise plastique de l’illusion. Nous retrouvons
ici les mécanismes subtils de ces machineries baroques qui donnaient à voir les chimères.

Série Stickers : Kusama ©Jean-Christophe LETT

Etienne Gaspard Robert (dit Robertson) imagina ainsi dès la fin du XVIIIe siècle de multiples systèmes
optiques de projection (le Phantascope, la Danse des sorcières, la Nonne sanglante) qui évolueront
progressivement aux travers des phénakistiscopes, choreutoscopes, praxinoscopes et kinétoscopes
pour devenir le cinématographe. Parallèlement, la littérature populaire affirmait son hégémonie
en inondant le marché de milliers de pages où des fictions débridées se développaient
dans de perpétuels glissements chronologiques et géographiques. Un vaste puzzle que le lecteur
devait pouvoir connaître, maîtriser et interpréter. Ces aboutissements formels et le déploiement
médiatique qui trouvent leur apogée de la fin du XIXe siècle à la première guerre mondiale, reflètent
et influencent à bien des égards ce qu’il est convenu d’appeler la modernité. Véronique Bigo
s’y réfère en jouant, non sur la nostalgie mais sur l’usure des traces du temps. L’illustration (vocable
qui en soit n’a rien de péjoratif) n’est pas de mise. En témoigne son utilisation de la technique des
tâches. Elles ne sont pas ici le fruit du hasard, mais le résultat d’un geste maîtrisé qui se dissimule.
Pour Véronique Bigo, le procédé ne relève pas de la faute ou de l’erreur assumée, mais bien d’une volonté d’exprimer la violence, la douceur et l’érotisme. L’utilisation exclusive du noir s’avoue
comme une contrainte permettant à l’imagination du spectateur de se déployer en préservant
l’effet de surprise. Pierre Louÿs, qui fit de Tamaris l’un de ses lieux de villégiature favori, écrivait en
1898 : " Il ne faut pas que j’ai le temps d’imaginer ce que je puis voir parce qu’alors la comparaison
est trop inégale"(3). Le spectateur apporte son imagination, ses connaissances, sa prise en
compte de l’objet peinture ou dessin dans un rapport égalitaire de "co-intelligence des contraires"
pour citer Marcel Duchamp (4). A de multiples reprises, Véronique Bigo insiste sur l’importance
du cadre, donc de la découpe, du discontinu et par-là même de la suture et du montage.
Problèmes pratiques qui s’incarneront au coeur de l’industrie du cinéma et de la représentation
contemporaine. Un travail qui aurait pu être simplement commémoratif et donc quelque peu
anecdotique trouve ainsi une concrétisation plastique totalement aboutie. Le destin de cette
série polysémique que Véronique Bigo a bien voulu réaliser pour la Villa Tamaris se joue désormais
dans l’échange des regards. Les jeux sont faits, la partie peut commencer.
- Robert Bonaccorsi

www.villatamaris.fr Villa Tamaris – Centre d’art
Avenue de la grande maison
83500 La Seyne sur Mer

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