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CHRONIQUE LITTERAIRE : Petites scènes de la vie quotidienne - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

D’aucuns se souviennent du « Monde de Sophie » de Jostein Gaarder où une jeune adolescente menait correspondance avec un inconnu la titillant de questions philosophiques mettant en scène les grands penseurs enseignés en classe de philo. Au-delà du roman initiatique, il y avait là un effort de mise à la portée de tous de quelques-uns des grands débat philosophiques qui a fait le succès du livre : des millions d’exemplaires vendus dans le monde, un des best-sellers de tous les temps. Et cela montra bien combien notre société, réduite à un système de valeurs de plus en plus matérialiste et consumériste garde cette fascination de l’infini et de l’indicible…

« Petit déjeuner avec Socrate »

« Petit déjeuner avec Socrate » est l’œuvre d’un professeur de philosophie…et chroniqueur à la BBC, Robert Rowland Smith, dont nous ne connaissons pas d’autre ouvrage. Un livre de journaliste presque, mais avec un étalage de culture assez inouï, quoique dispensée d’un ton presque badin, jamais prétentieux, et toujours dans une langue accessible au moindre lettré d’entre nous. La même idée de base que dans « le monde de Sophie » : mettre la philosophie à la portée de tous, approcher le quotidien avec un œil neuf, s’interroger sur nos gestes routiniers comme sur nos grandes pulsions.

Le ton est humoureux, léger, mais toujours empreint d’une certaine gravité. Il ne s’agit pas de se moquer, ni du penseur, ni de l’homo post-industrialis. Il s’agit de points de vue décalés. Quand la journée commence, le réveil est l’objet d’une réflexion sur la conscience, le réveil vu comme une manifestation de la vie tant est qu’on puisse considérer le sommeil comme une manifestation temporaire de la mort de la conscience…. Et le livre continue sur ce mode : surprenant à chaque page par la réflexion que peut induire le moindre acte quotidien, la contemplation ordinaire, le cours du temps et le fil des choses.

Il n’y a pas de name-dropping abusif, pas de notes en bas de page, pas de renvois bibliographique, juste un discours qu’on écouterait bien, une fois n’est pas coutume, en audio-livre, tant on a envie de se laisser porter, de manière quasi gratuite, par cette pensée sympathique et revigorante. Chaque page donne une envie d’arrêt sur image, mais autant envie de reprendre le fil du discours… un ravissement continu.

Rowland Smith est plus « moderne » que Gaarder : aux philosophes il mêle les psychologues, les neurosciences, quelques écrivains, des cinéastes, cultive le coq-à-l’âne de la pensée, nous donne une sorte de livre d’heures, qu’on peut ouvrir au hasard à n’importe quelle page pour quelque nouvelle gourmandise de la pensée. Ce n’est pas un dictionnaire amoureux, mais cela pourrait l’être. Le fait de la structuration en chapitres minimaliste de cette gigantesque digression protéiforme ajoute au plaisir de la lecture : on ne se sent à aucun moment « obligé » d’aller au bout d’un article ou d’un chapitre : le plaisir de lire et de penser est là, à portée de main, immédiat, mais profond, inspiré et inspirateur.

J’ai pris ce livre pour le chroniquer, j’ai envie maintenant de le garder, et si l’éditeur pouvait décider d’en sortir une version numérique, je le mettrais volontiers sur mon iPhone, mon ordinateur portable, ma tablette, histoire de juste pouvoir y revenir quand l’envie me prend : en faire, comme on dit platement, « mon compagnon ». Douce envie, d’une petite chose, d’un supplément d’âme et de pensée dans un « monde de brutes »… que vous dire de plus ? précipitez-vous !

Petit déjeuner avec Socrate, une philosophie de la vie quotidienne, Robert Rowland Smith (trad par Sylvie Taussig), 283 p, le Seuil, 18 €

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