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Livre : "Le baiser de l’infini", témoignage d’Isabelle Bourgeais

Ce récit autobiographique, Isabelle Bourgeais le raconte en disant « elle » et non « je ». Déroulant sa vie sans mièvrerie, elle parle d’elle-même à la troisième personne, mettant une distance avec les faits et les émotions. Elle évite ainsi de manipuler le lecteur en l’apitoyant. Son histoire familiale est suffisamment triste en elle-même. Le terreau de son écriture est d’énoncer seulement les faits sans jugement et sans ajouter de mots sordides à des drames qui le sont déjà.

Il lui a fallu construire un long chemin pour atteindre ces mots qui disent l’indicible en grappillant des éclats de vie intense. Elle en fait le tour comme d’un trou noir par lequel toute son existence a failli être avalée. Le texte est implacable. Tout lecteur reçoit comme un coup de poing cette douleur à fleur de mots, ce témoignage indispensable de l’insupportable.
Ecrire ce récit a-t-il permis un véritable apaisement ? Une incitation irrésistible à tracer sa propre voie ? Ce retour sur des événements essentiels de sa vie était certainement nécessaire pour Isabelle et que ce soit connu de tous.

D’abord, il y a la mère qui met au monde cette petite fille, Isabelle, alors que le père est déjà parti vers d’autres horizons.

Puis, vient un petit frère dont le père (un autre !) est absent, lui aussi. La mère jongle en tenant un minuscule commerce de quartier à Paris afin de nourrir tout ce monde. Aussi se réjouit-elle de voir un homme qui lui semble gentil s’intéresser à elle et vouloir le mariage pour prendre en charge toute la famille. Par la suite, ils auront un fils ensemble « qui lui n’est pas bâtard puisqu’il a un père  » Cependant, après s’être laissée embobiner, c’est un tyran domestique que sa mère a épousé : il n’a de cesse de martyriser femme et enfants. Manipulateur et violent, ce beau-père est «  tout à la fois Dr Jeckyll et Mister Hyde », écrit Isabelle.
Comme un animal blessé, sa mère est vite prise au piège de ce champion de la manipulation. Il l’humilie, la dévalorise, la brutalise. Chacun craint ses sautes d’humeur, ses colères, ses réflexions blessantes, ses coups brutaux.

Malgré une certaine fragilité, Isabelle a aussi beaucoup de force et de résistance pour protéger ses frères, les tirer au maximum des griffes de l’ogre. Pour cela elle doit se résigner à subir les maltraitances sexuelles qu’il lui inflige. D’abord, des attouchements pervers du sexe dur de l’homme contre son corps d’enfant de sept ans, puis la pénétration totale à douze ans, alors qu’il lui fait du chantage concernant ses frères dont elle se sent responsable.
Elle devient une marionnette que ce beau-père manipule à sa guise et elle subit sans consentir.
Dénuée de toute maturité, mais instinctivement, elle apprend à se dissocier. «  Il y aura l’amour d’un côté, le sexe de l’autre »... «  Je donnerai mon corps, mais pas mon coeur. »
Terrifiée, Isabelle ne dit rien, elle endure les gestes sans bien comprendre ce qu’elle accepte de supporter jusqu’à ce que le scandale éclate qui aboutira à la mise en prison de cet homme. Tandis que les enfants, écartés, séjournent dans des Centres de l’Assistance Sociale où ils sont séparés par leur âge et leur sexe.

Pas question de travestissement dans ce récit qui vient des tripes.

Poser en mots l’horrible cauchemar de sa vie a sans doute libéré Isabelle du poids de ce passé qu’elle trimballait « comme un animal traqué  », dit-elle. Comme si la peur éprouvée et l’horreur vécue durant ces jours-là étaient encore présentes. Pourtant elle ne se révolte pas et ne s’apitoie pas sur elle dans une complaisance de plaintes.

Dans cet univers intériorisé, mental, où le chagrin et la colère sont dissimulés et refoulés, la vie va pourtant renaître.

Isabelle Bourgeais fait apparaître un instinct plus fort que tout, une sauvegarde d’elle-même et une protection qu’il s’agit de déployer pour elle et de pouvoir également donner à ses frères. Sans estime d’elle-même et facilement réfugiée dans la culpabilité, elle souffre bien sûr de dépendance affective que l’impuissance de sa mère et l’immensité de la douleur n’ont pu combler.
La recherche spirituelle a été un recours et une aide pour Isabelle, avec l’urgence d’une barre d’appui pour tenir debout. Ainsi, elle exprime sa reconnaissance envers ceux qui l’ont aidée, la première partie de son texte le prouve. Etait-il nécessaire de déployer quatorze ans plus tard ce travail fait sur elle ? Pour Isabelle sans doute, cela a pu la secourir de son enfance perturbée avec ces souvenirs de maltraitances sexuelles de 7 à 15 ans, pour lesquelles son beau-père a été ensuite condamné, en Cour d’Assises, à 9 ans de prison ferme. Pour le lecteur, ce dernier chapitre, ajouté longtemps après, semble inutile et loin du style alerte et attachant de l’ensemble de son récit. Tentant d’exprimer son cheminement thérapeutique, à la fois spirituel et analytique, elle mêle le tout - il lui a fallu frapper à de multiples portes pour s’en sortir – et si cela a sens dans sa tête, tout lecteur sensible à son histoire reste y alors imperméable.
L’exploration sensible de cette vie familiale, Isabelle la transmet dans une écriture directe et efficace, à la fois puissante et délicate, présentant plusieurs textures comme un timbre de voix.
Ce timbre de voix tellement important pour Isabelle puisqu’elle est devenue chanteuse lyrique et comédienne. Chanter lui a permis de rebondir et lui a redonné goût à la vie !
Caroline Boudet-Lefort


Dédicace à La Sorbonne à Nice

Isabelle Bourgeais sera à la libraire niçoise La Sorbonne (23 rue de l’hôtel des Postes) le lundi 14 novembre à partir de 16h
- Lecture d’extraits par l’auteur
- Signature, dédicaces, échanges jusqu’à 19h30.

« Le Baiser de l’infini » - Témoignage d’Isabelle Bourgeais
Editions « Les Presses du Midi »
(17 euros)

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