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CHRONIQUE LITTERAIRE : L’indignation n’est pas un mode de pensée. - Par Daniel Schwall - Librairie Quartier Latin Nice

Il y a des sujets auxquels le chroniqueur ne peut pas se soustraire. Il y a eu la polémique sur Houellebecq, qui a fait long feu.. il y a maintenant le déchaînement médiatique autour de Stéphane HESSEL, qui n’en mérite assurément pas autant.

Rappelons les faits : dans un opuscule de 30 pages (vendu 3 €, pas cher, n’est-ce pas, mais à la page c’est quand même un des livres les plus chers du moment) mais dont le texte ne fait que 19 pages, l’ancien résistant (93 ans) et collaborateur à la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme, fait état d’une compassion étendue et d’une révolte acerbe face aux grands sujets de société : Israël et la Palestine, la politique gouvernementale, la crise financière etc….

Et sous la plume d’un tel homme, les Roms, les sans-papiers, le gouffre entre pauvres et riches, les marchés financiers tout-puissants deviennent autant de raison de s’indigner, plus encore (formulation prudente empruntée à « Actualitté »). On imagine bien le discours genre « café du commerce haut de gamme » pour ne pas résumer davantage la chose ici.
Comment d’ailleurs résumer un libellé aussi bref ? Tiré à 500 000 exemplaires, avec 430 000 exemplaires en retirage actuellement, c’est le bestseller de l’année, loin devant le Goncourt, si l’on veut bien le ranger dans les objets d’édition.

En librairie, il n’est pas rare d’en voir acheter dix à la fois, pour le distribuer autour de soi en guise de bréviaire .. ou de liste de résolutions de début d’année ?

Mon propos, qui rendra sans doute la lecture inutile aux yeux des uns, mais indispensable aux yeux des autres, est de vous rapporter quelques perles des multiples réactions que la chose a suscitée. A commencer par le Premier Ministre, excusez du peu, qui s’est senti la nécessité de nius dire que « la complexité du monde actuel réclame d’abord de la lucidité, de l’exigence intellectuelle, parce que tout ne s’écrit pas en noir et blanc, mais elle réclame aussi et surtout des actes. » Il est vrai que la politique gouvernementale est au centre du collimateur de Stéphane Hessel.

Le Monde y est allé récemment de deux pages sur lesquelles toutes sortes de gens de qualité s’indignaient de toutes sortes de choses et Marianne n’est pas resté en reste en faisant du sujet sa Une. Des personnalités surfent sur la vague.
Boris Cyrulnik : « J’ai beaucoup de tendresse, d’admiration, pour Stéphane Hessel avec qui j’ai beaucoup de concordances de vue mais je m’indigne qu’on nous demande de nous indigner parce que l’indignation est le premier temps de l’engagement aveugle. Il faut nous demander de raisonner et non de nous indigner. »

Eric Le Boucher de Slate.fr, Pierre Assouline , Stéphane Rozès, y vont de leur analyse sociétale. Philippe Bilger déplore un succès qui s’expliquerait davantage par la personnalité de l’auteur que par ses écrits, qui révèlent une indignation qui ne pose sur le monde qu’un « regard délibérément mutilé ». Dans sa chronique quotidienne du Figaro, Luc Ferry fustige l’indignation programmée de Stéphane Hessel comme une « facilité » qui permettrait à tout un chacun de s’offrir un supplément d’âme et de « s’offrir sans effort des poses de moraliste ».
La liste est longue, et elle s’allonge tous les jours. En définitive, ce pamphlet exutoire est un révélateur inespéré de ce qui nous mine, Français, Européens.
La disparition de la morale dans un monde fait de rapports de force et où les seules valeurs spirituelles qui s’expriment encore nous sont résolument hostiles. La culpabilité devant le silence, devant l’oubli, devant l’indifférence.
Il fallait assurément plus de 19 pages , et plus d’un ancien Résistant au-dessus de tout soupçon pour traiter ces sujets fondamentaux de notre époque.
Mais ne boudons pas notre chance : les bouches s’ouvrent, les esprits aussi, ira-t-on espérer. Et l’intérêt du livre sera donc dans le débat qu’il suscite .. dont peut-être un jour quelque thésard de Sciences-Po nous fera, en un grand pavé, une analyse socio-psychologique de notre temps. Rudement nécessaire sans doute.
Mais sans prise sur les choses, bien sûr.

Stéphane Hessel, « Indignez-vous », « essai », Indigène Editions, 29 p., 3€ (actuellement difficilement- disponible, en réimpression permanent)

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