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FOCUS - BANDE DESSINEE : Autour des bulles, des métiers de passion - Reportage réalisé par Alina Gavril pour Art Côte d’azur

Le 30 Janvier dernier, le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême fermait ses portes après quatre jours dédiés à la bande dessinée, aux bédéphiles et aux nouveaux personnages qui animent ce paysage devenu impitoyable. Les fans se sont arrachés les autographes de leurs auteurs favoris installés un peu partout dans la ville. Mais faire des bulles ailleurs qu’à Angoulême est-il envisageable ? Tandis que le marché national en albums publiés reste un 9ème Art qui se porte bien, le chiffre d’affaires global de cette filière est en forte baisse. Qu’en est-il de la BD en Provence Alpes Côte d’azur ? Ne cherchez plus les traces du festival d’Antibes, il appartient d’ores et déjà à l’histoire. Aujourd’hui, la BD se présente à nous à travers les yeux et les tablettes graphiques prometteuses de quelques auteurs installés dans la région.
Suivez le fil d’une Ariane contemporaine dans le labyrinthe de la BD locale.

Cachés la plupart de leur temps derrière les planches blanches ou derrière les écrans géants d’ordinateurs, les scénaristes, les dessinateurs et les coloristes se font discrets : on ne les croise pas dans les vernissages. Trois artistes créateurs réunis qui pourtant assemblent et forment l’objet de collection le plus lu actuellement.

Taxilolloy 1 (c) Cyril Saint Blancat

À Nice, un des lieux de rencontre où la plupart des bédéphiles se côtoient est BD Fugue. Cette librairie spécialisée en bandes dessinées et produits dérivés dispose de plus de 10 000 références : Un amalgame de tous genres et d’horizons différents, européennes, manga, comics, le tout associé à un espace café. C’est un lieu de prédilection et de dédicaces pour les auteurs locaux et pour Luc Oreve, consultant et scénariste BD qui nous apporte ses précisions sur le monde de la BD. « Tout le monde lit la BD mais pour bien vivre de leur talent, les auteurs doivent enchainer les albums en contrat et ce n’est pas chose facile à Nice ». Car il faut encore convaincre une maison d’édition, souvent réticente et submergée de scénarios reçus. « Il est important de comprendre que la BD est spécifique à chaque région. Un scénario à succès à Paris ne se traduit pas obligatoirement avec un contrat signé à Nice » ajoute notre consultant.

Alors comment devient-on professionnel de la BD, quelles formations existent pour aider les jeunes créateurs à percer ?

Etonnamment il n’y pas d’écoles apprenant ces métiers et dédiées uniquement à ces pratiques : Les auteurs sillonnant les couloirs de BD Fugue sont issus de formations diverses, le plus souvent de formations dispensées par l’Institut Saint-Luc en Belgique.

Pourtant à Nice, il se passe des choses et il y a une association-école Mediterranice qui mérite de se faire connaitre !

« Mediterranice est née d’un constat » explique Olivier Lagrange, le fondateur. Aucune structure, aucune vision économique de l’industrie BD ne permet dans la région niçoise aux jeunes auteurs de se former et de créer leurs premières planches. L’un des objectifs majeurs de Mediterranice est d’accompagner ces jeunes auteurs durant leurs premières années de formation, de les encourager. « Toutefois, dans notre proposition aux jeunes auteurs nous insistons sur le côté ludique de la démarche car peu d’auteurs BD vivent de leur art ». Pour les 12 étudiants suivant les cours chaque mercredi, Mediterranice étoffe la culture, renforce la technique, muscle l’écriture et détermine au bout de quelques mois le profil du jeune auteur. Par la suite, l’école propose des animations comme cette année à Valberg en février dernier, au Festival Bulles de Neige.

Les dessinateurs en pleine création à Meditérranice !

Et cette année Olivier Lagrange et son équipe se réjouissent d’ un autre coup de pouce aux auteurs : le magazine Gilou numéro 1 paraitra en milieu d’année. « Après la sortie du numéro pilote en Janvier 2010, nous nous sommes aperçus qu’il manquait un grand magazine BD régional. Ce magazine sera un vrai tremplin pour les jeunes auteurs qui auront une vraie carte de visite ». Après trois ans d’existence de cette école à croquer, Olivier Lagrange voit l’avenir en grandes lettres BD : Mediterranice poursuivra sa détection d’auteurs, sa culture du mouvement et se positionne sur la création de nouvelles histoires à formater au besoin de l’industrie graphique voire cinématographique. « L’apport de l’Internet jouera aussi un rôle important dans le développement de l’école de la BD. Communiquer nos savoir-faire au- delà du département sera l’objectif 2013. Dans l’attente, il faut continuer le travail de qualité sur le plan local… »

Jean-Frédéric Minéry, Scénariste à tout faire

Une fois formé, le bédéiste doit subvenir à ses besoins. Théoriquement, il envoie ses planches aux maisons d’édition dans l’attente d’une réponse de publication. Dans les faits, celle-ci même si elle est négative tarde à être retournée à l’expéditeur. Pour pallier à ces barrières et à la concurrence, les professionnels varient leur art, d’où la définition d’un Art polyvalent. La preuve en couleurs, avec Jean-Frédéric Minéry à la fois scénariste et éditeur à la tête de la Maison Ange. Factotum bénévole de service, il a créé sa propre maison d’édition en 2006 à Nice. « Je suis passionné de bandes dessinées depuis le plus jeune âge. Après quelques refus légitimes de projets BD par des éditeurs historiques, et désirant surtout développer un type de BD très personnel (aventure humoristique mêlant histoire, patrimoine et culture) qui n’aurait sans doute trouvé écho nulle part, j’ai décidé de me publier. Comme j’avais déjà dans l’idée de publier d’autres auteurs, j’ai opté pour la création d’une maison d’édition au lieu de me mettre en auto édition ».
Sans hésitation, il se caractérise comme téméraire à l’heure actuelle, quand 3 811 BD ( strictes nouveautés) ont été publiés en 2010 . « C’est téméraire de se lancer dans l’édition tout court ». Mais il donne ainsi la chance à tous ceux qui ont un projet personnel abouti et qui « en veulent ». Le reste est question de finances, de lignes éditoriales et des possibilités des diffuseurs. Tous les jours il y a 14 ou 15 nouveautés. « Les libraires sont saturés et ne prennent pas tout, donc souvent, les livrent restent en stock. Et quand un livre a la chance d’arriver en librairie, il y reste dans un coin à peu d’exemplaires et en plus n’y reste pas longtemps car d’autres livres arrivent, donc retour à l’envoyeur ».
En résumé, quand on est jeune éditeur, avec des jeunes auteurs et qu’on a un petit diffuseur, on a peu de chance de réussir. Ajoutez à ça, la crise qui frappe dur. « Mais on n’est pas à l’abri d’un succès local ! » ajoute Jean Frédéric Minery. Déjà pour « Frenchy et Fanny » on a dépassé les 8 000 familles lectrices. Les tirages sont au ras des pâquerettes pour des cartonnés couleurs. À savoir entre 1 500 et 4 000 exemplaires. « On réédite au besoin. On équilibre flops et succès ». Des auteurs connus commencent même à venir sonner à sa petite porte. Après Mancini, la Maison Ange intègre le grand Jean-Yves Mitton. Et depuis peu de temps, un nouveau tome signé lui Minery est imprimé. « Entre deux eaux » c’est une histoire intimiste, un brin psychologique, qui accessoirement se situe à Nice. Une rencontre qui ouvre les yeux sur nous et le monde qui nous entoure. « J’en suis le scénariste et Audrey Bussy, jeune diplômée de l’EMCA en est la dessinatrice. C’est un bel album en couleurs avec des jolies scènes aux ambiances très différentes. Un conte moderne à lire absolument ! ».

Alexis Robin, Auteur complet !

Alexis Robin
(c) A.Gavril

Pour Alexis Robin, c’est l’imagination qui redonne le moral. Après ses études à l’Institut Saint-Luc de Bruxelles, il s’installe dans la région parisienne avant de sortir son premier album « Si j’ai bonne mémoire » en tant qu’auteur complet. Après quatre d’autres succès, il fait partie aujourd’hui des auteurs les plus reconnus au niveau local. Alexis Robin a misé énormément sur ses personnages fantastiques, il veut « imaginer des histoires, et non pas les raconter ». Son grand succès, « Nathaniel » sorti en 2006, est basé sur l’idée des films des années 60-70 sur la paranoïa de l’anti-communisme. Le jeune Nathaniel est le seul à pouvoir les voir, ces créatures à formes humaines qui se consument lorsqu’elles meurent. Tout lycéen qu’il soit, il va devoir les combattre. Encore un album qui fait vivre une drôle d’expérience à celui qui ne serait pas préparé. Le scénario de Robin jongle de la consternation à l’éclat de rire avec une imagination débordante qui crée des personnages qui l’ont habité depuis « son plus jeune âge ».

Nathaniel Planche 28 -

Alexis Robin est conscient que même dans la BD il y a des tendances à suivre : depuis l’apparition du Décalogue de Frank Giroud entre 2001 et 2003 et comportant dix tomes auxquels ont participé dix dessinateurs différents, c’est la BD concept qui remporte le plus nombreux lectorat. Pour cela, les Éditions Delcourt viennent d’accepter sa contribution à un grand projet dont la sortie est prévue en libraires en 2012. Dans un concept identique à celui de Giroud, Alexis Robin signera le tome 4 de cette série encore secrète, mais il gardera sa dose de fantastique dans un décor des États-Unis de nos jours, autour des signes du zodiaque…
Plus proche actualité, en Avril 2011, le tome 4 de « Borderline » sortira dans les bacs avec un scénario d’Alexis Robin et le dessin de Nathalie Berr. Un album qui alliera expressivement image et texte dans seulement quelques mois : De retour à Paris, Fernando Villa, l’auteur dont les écrits sont prémonitions, aperçoit un homme qui explose avant de se jeter dans la Seine. D’après les informations télévisées, cet homme répondait au nom de Jalil Lamouri, un radicaliste religieux ayant basculé vers le terrorisme. C’est alors que Fernando entre à nouveau en transe pour écrire le récit de la vie de Jalil, une source inespérée de renseignements pour remonter la piste jusqu’à une secte d’intégristes catholiques, dont il faudra déjouer les projets. Un beau succès donc pour cet auteur azuréen !

Cyril Saint-Blancat, Coloriste, et quoi d’autre ?

Cyril Saint Blancat
(c) A.Gavril

Comme Alexis Robin, Cyril Saint-Blancat a plusieurs tomes à son actif, dont notamment « Groom Lake », « Ceci et mon corps » ou « Taxi Molloy ». Pratiquant un métier qui manque totalement de reconnaissance dans le milieu, coloriste, il nous livre quelques unes de ses convictions quant à l’avenir. Lui aussi issu d’une formation à l’Institut Saint-Luc de Belgique, Cyril Saint-Blancat a découvert sa passion après avoir connu le travail de Franck Miller ou celui d’Andréas dans « Capricorne ». Son premier projet en tant que coloriste il le doit aux Éditions Bamboo, pour la collection « Ado Adulte ».

Sienna fourreau (c) Cyril Saint Blancat

Depuis, il enchaîne les collaborations, mais dans le décor d’un métier souvent mal considéré. « C’est le seul métier où la clientèle impose son prix » pour une planche colorée allant de 75 à 90 euros. Un métier solitaire qui ne dispose d’aucun syndicat, pour faire valoir ce que de droit. Sauf qu’en 2009, l’association des Coloristes de Bande Dessinée a été créée pour une dynamique permettant la reconnaissance artistique de ce travail . Comme Cyril, les coloristes sont ceux qui mettent la touche de couleur obligatoire aux planches vides d’âme. Sans eux, oublions l’image d’un travail artisanal, les décors tourmentés de couleurs rigoureusement choisies. De même, rares sont les occasions où les libraires ou les organisateurs de festivals invitent le coloriste à rencontrer les lecteurs aux séances de dédicaces. La plupart des coloristes ne touchent qu’une somme en avance pour la mise en couleur de l’album. Si celui-ci devient un succès, cela ne leur rapporte rien de plus. « Sans syndicat, le pourcentage n’a pas augmenté depuis presque 30 ans » souligne Cyril Saint-Blancat.

(c) Cyril Saint Blancat

Dans un communiqué, l’association AdcBD explique ses objectifs : « Parce qu’il n’est pas l’initiateur des projets sur lesquels il travaille, le coloriste est-il pour autant un exécutant ? Pourquoi n’est-il pas considéré comme « co-auteur » de l’œuvre, ou « auteur de ses couleurs » ? Les avis divergent et les esprits s’échauffent dès que la question est posée. Au sein de l’association, nous revendiquons juste une généralisation d’un droit d’auteur (qui existe déjà pour certains) en tant qu’auteur des couleurs ». Quant aux modalités de travail, Cyril Saint-Blancat reconnaît avoir recours à l’ordinateur, pour plus de rapidité et sécurité. « J’essaie de garder la même technique qu’à la main, avec les petites imperfections d’un travail artisanal ». D’un métier de l’ombre, lui aussi envisage de mettre sa signature sur un album en réalisation complète. Très prochainement…

(c) Cyril Saint Blancat

Le chemin vers la découverte est long, mais nos jeunes talents locaux ont l’outil de la guerre…ils ont les personnages, le décor, les couleurs pour faire vivre avec fantaisie et succès la BD en Méditerranée !

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