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CHRONIQUE : Jacques au Grand Cœur

Avec « le Grand Cœur » Jean-Christophe Rufin renoue avec sa veine des grands romans historiques après s’être, un moment, aventuré dans le réalisme contemporain, non sans succès , mais en déroutant ses anciens afficionados. Et pour un retour aux sources c’en est un, puisque Rufin nous conte cette fois-ci la vie du grand Argentier de Charles VII, Jacques Cœur, comme lui natif de la belle ville de Bourges, où son palais (celui de jacques Cœur) fait point d’attraction.

Palais qui est également un des personnages principaux de ce roman (tant il est vrai que le personnage de Jacques Cœur est peu connu et permet donc, autour des points biographiques, de broder une peinture d’époque). Palais symbolisant, comme la personne même de Jacques Cœur, le passage du Moyen-Age à la Renaissance française. Sans faire de son héros l’artisan principal de cette irruption des nouvelles idées sur l’Art, Rufin en profite cependant pour glisser une réflexion passablement profonde sur ce glissement majeur de civilisation.

Il n’existe pas de portait de Jacques Cœur, aussi étonnant que cela puisse paraître. Autant de licence en plus dont use Rufin pour nous conter un destin hors du commun. Et, survenant à un moment de crise économique systémique, à un point de rupture entre l’Est et l’Ouest au niveau des flux de commerce international, ce roman peut donner lieu à une intéressante lecture de second degré. Jacques Cœur a inventé, pour la France au moins, le libre échange, le commerce avec l’Orient, l’échange des biens avec lequel est venue la libération des idées. Et c’est comme si aujourd’hui, au moment où Rufin nous rappelle ce destin extraordinaire, une page se tournait à nouveau, comme si un livre se refermait sur la doctrine libérale de l’échange tous-azimuts. Rufin n’est peut-être pas innocent de cette seconde lecture du roman, encore qu’on ne puisse pas lui imputer une doctrine à cet égard.

Raison suffisante donc pour s’intéresser, à travers ce roman à comment tout a commencé. On a pu lire ou entendre des réticences sur la qualité artistique de Rufin. Votre chroniqueur s’inscrit en faux : l’écriture de Rufin est élégante, profonde mais non maniérée. Elle chante de mots justes, de mots de notre époque (ce qu’on peut lui reprocher, mais pourquoi donc un roman actuel mettant en scène la fin du Moyen-Age devrait-il absolument user de ces faciles jeux de faux-vieux Français à la manière des « visiteurs » ?) une écriture limpide mais non simpliste, qu’on aime suivre et poursuivre. 500 pages bien sonnées qui, sans jouer le moins du monde sur le mode du suspens, nous enchaînent : ce livre est un bonheur de lecture en lui-même.

Le grand Cœur, roman biographique, Jean Christophe Rufin, Gallimard, 500 pages
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Le grand Cœur, roman biographique, Jean Christophe Rufin, Gallimard, 500 pages

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