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CRITIQUE CINEMA : ONCLE BOONMEE... (Apichatpong WERASETHAKHUL) Festival de Cannes 2010 - Par Robert Ceresola pour Art Côte d’Azur

"Le monde magique d’Apichatpong ou la Palme d’Art"

Apichatpong WERASETHAKHUL ne signifie pas "abracadabra" en Samoan Occidental ou "casse-toi pauv’ con" en dialecte francilien mais c’est bien le nom du lauréat de la Palme d’or 2010 du Festival de Cannes pour un film au nom aussi alambiqué que le patronyme de son réalisateur, Oncle Boonmee...

Disons le de suite :
Bravo à Tim BURTON, Président de la 63ème édition du Festival de Cannes, d’avoir osé choisir ce film qui se démarque réellement des films de la sélection officielle 2010.

Véritable film asiatique, au rythme lent et aux cadrages épurés, Oncle Boonmee est l’antithèse des nouveaux films hongkongais, coréens, japonais et taiwanais que l’ont voit de plus en plus souvent distribués sur nos écrans et que l’on croit à tort, représentatifs de la cinématographie asiatique.

Plutôt que d’épouser les codes narratifs occidentaux, pour ne pas dire américains, comme le font de nombreux cinéastes asiatiques, soucieux de mieux exporter leurs films en Europe et aux ETATS-UNIS, Apichatpong WERASETHAKHUL a choisi de nous parler de la Thailande d’aujourd’hui à la manière d’un thailandais d’autrefois.

A travers le prisme de la mort prochaine d’oncle Boonmee, un ermite dialysé et veuf qui convoque les membres de sa famille à son chevet, le réalisateur nous parle de la Thailande ancienne, de ses croyances, de ses mystères et de sa philosophie.

Oncle Boonmee voit des apparitions, des fantômes de sa femme et de son fils réincarné en singe aux yeux rouges, dimension fantastique et parti pris esthétique qui a surpris bon nombre de festivaliers épuisés et "speedés" par le marathon cannois habituel.

Une majorité de mauvais élèves avait d’ailleurs fait l’impasse sur ce film jugé trop lent et diffusé en fin de Festival au désarroi quasi unanime de la presse et des médias qui critiquent ce film sans l’avoir réellement vu.

 ?

Apichatpong WERASETHAKHUL nous parle en réalité de ce qu’était la Thailande ; à savoir l’univers de l’oncle Boonmee vivant loin de la capitale (BANGKOK) dans un univers constitué de forêts, d’animaux, de visions, d’apparitions, d’esprits, d’éléments spirituels, traditionnels et de ce que ce pays est devenu aujourd’hui (symbolisé par les membres de sa famille) où le décor occidental climatisé (avec télévision et eau chaude à tous les étages) imprègne progressivement le mode de vie des habitants.

L’image du jeune moine bouddhiste pressé d’abandonner sa robe pour prendre une douche chaude est emblématique de la société moderne thaïlandaise gangrenée au sein même des ses représentants les plus traditionnels ( les moines bouddhistes) par le mode de vie occidental.

Le film est bien évidemment en résonance avec l’actualité récente de la Thaïlande et des protestations violentes que l’on a pu voir dans les médias sans pour autant en être le sujet.

En effet Oncle Boonmee n’est pas un pamphlet politique.

Moins réactionnaire que nostalgique d’une époque qu’il sait sur le point d’être révolue Apichatpong WERASETHAKHUL réussit à notre avis un film inspiré, magique et pour tout dire hypnotique qui nous permet, l’espace d’une projection de cinéma, d’appréhender les composantes d’une culture asiatique qui se meurt inexorablement.

Il faut bien évidemment voir ce film, de préférence en salle, pour pouvoir plus facilement s’immerger dans l’univers du réalisateur ce qui sera plus difficile en visionnant le DVD ou le film à la télévision où le téléspectateur forcément impatient et distrait, armé de sa zapette flingueuse aura tout loisir de s’extirper de cet énigmatique chef d’oeuvre.

On l’aura compris "Oncle Boonmee" n’est pas un produit cinématographique de grande consommation mais une réelle oeuvre d’art.

(dr)

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