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Nymphomaniac - Volume 1 et Volume 2

Films de Lars von Trier, en salles depuis le 1er janvier (volume 1) et le 29 janvier (volume 2)

Sexe, confessions et idéaux

Œuvre bilan, où Lars von Trier revisite la plupart des thèmes évoqués dans ses précédents films, Nymphomaniac est un "film somme" en deux parties (volume 1 et volume 2) d’une longueur totale d’à peu près 4 heures où le pire côtoie le meilleur.

Précédé d’une réputation sulfureuse, Nymphomaniac devait être, selon son auteur, le premier film de circuit traditionnel, à intégrer avec succès des scènes pornographiques.

Or, ce pari n’est pas tout à fait réussi sans pour autant être totalement raté.

Il est vrai que le cinéaste danois dégage curieusement toute responsabilité de la version censurée actuellement projetée en salles (promettant la vision prochaine d’une version non expurgée...) par l’insertion de l’avertissement suivant en début de film : "cette version a été réalisée avec le consentement de l’auteur mais sans son implication".

Etrange dualité qui caractérise parfaitement Lars von Trier et qui imprègne ainsi tout le film en générant à son sujet des sentiments contradictoires.

L’histoire prend pour prétexte le récit de la vie d’une femme de sa naissance à l’âge de 50 ans (Joe) respectivement incarnée par la jeune actrice britannique Stacy Martin (Joe jeune) et par Charlotte Gainsbourg (Joe mature) qui se déclare "nymphomane" à un vieil homme célibataire et puceau dénommé Seligman (le bien heureux en yiddish) qui la recueille avec hospitalité et bienveillance lorsqu’il la retrouve rouée de coups dans la rue.

Celle-ci progressivement mise en confiance par ce vieil ermite apparemment inoffensif et asexué déroulera devant lui les péripéties et misères de sa vie passée et de sa quête de jouissance impossible.

Film très littéraire, découpé en 8 chapitres, Nymphomaniac n’a rien d’un récit érotico-pornographique affriolant mais nous parle de sexe triste, de frigidité, d’addiction, de tentative de sevrage sexuel, de perversion et de déviances.

Mais pas seulement !

Au moyen de brillantes digressions et de flash-back habiles, Lars von Trier illustre son propos philosophique et ses idéaux par des scènes magistrales (notamment la scène d’ouverture du volume 1 sur fond de musique du groupe allemand "Rammstein" ou sur la visite de la forêt avec le père de la protagoniste).

Il dénonce également par la bouche de Charlotte Gainsbourg la bien-pensance et l’intolérance de la société actuelle qui, en ayant peur d’appeler "un chat, un chat" porte atteinte, selon lui, aux fondements mêmes de notre société démocratique.

Lars von Trier règle ses comptes en brossant en réalité le tableau goguenard de nos mœurs, de nos frustrations et de nos hypocrisies.

On ne peut qu’aimer ou détester tant de lucidité et de franchise.

Filmé caméra à l’épaule, Nymphomaniac multiplie à dessein certaines scènes provocantes et blasphématoires mais jamais gratuites puisqu’elles ont pour but de souligner que nous sommes tous faits d’humeurs, de sang, de désirs inassouvis, de pulsions malsaines qu’il faut juguler et canaliser en affrontant tristesse, violence, douleur et solitude.

A cet égard, on peut noter la montée d’un orgasme en écran split sur fond de musique de Bach, une scène de triolisme frustrante entre Joe et deux Africains, des séances sadomasochistes, une fellation sur un pédophile latent, une pathétique défloration recto verso en trois temps, deux mouvements, autant d’illustrations et digressions érotiques bien évidemment filmées avec prothèses, postiches et doublures corps...l’honneur des acteurs est sauf !

Lars von Trier parle ainsi à nos têtes plus qu’à nos tripes.

Il nous parle surtout de lui à travers ce portrait d’une malade de l’amour dont le rapport pathologique au sexe et à la vie souffre de l’égoïsme, de l’immoralisme et de la trahison des Autres.

Ou de soi-même en tant qu’Autre pour un artiste aux tendances schizophrènes.

L’incroyable dénouement du volume 2 nous rappelle que l’on n’est jamais trahi que par ses proches.

Brûlot pour certains, navet pour d’autres, Nymphomaniac volume 1 et volume 2 n’est assurément pas un film divertissant mais une œuvre intelligente et particulièrement intéressante pour qui veut décrypter la filmographie de son auteur.

Photo de Une : Affiche du film- volume 2 © Concorde Filmverleih GmbH

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