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CINEMA : Le Premier Homme - De Gianni Amelio

Sortie le 27 mars 2013

Dès sa parution, Gianni Amelio désirait adapter Le Premier homme, livre autobiographique d’Albert Camus, resté inachevé à cause de la mort accidentelle de l’écrivain. Le réalisateur trouvait des similitudes avec sa propre enfance, comparant la misère à Alger à celle de la Calabre de l’époque. Le caractère autobiographique de cette rédaction initiale aurait sans doute disparu dans la version définitive du roman, mais c’est justement le côté autobiographique qui reste précieux aujourd’hui, avec les mille détails sur l’absence du père tué dès le début de la Première Guerre, de sorte que le fils sera le « premier homme », l’enfant des quartiers pauvres d’Alger, dans un milieu démuni et illettré.

En août 1957, un célèbre écrivain d’une quarantaine d’années, Jacques Cormery, revient à Alger – la terre de son enfance - pour rendre visite à sa mère (Catherine Sola, et, jeune, l’émouvante Maya Sansa). Des souvenirs resurgissent évoquant une vie difficile entre une mère toute d’amour et une grand-mère, tyran qui gère les difficultés pécuniaires. C’est en Bretagne, sur la tombe de ce père jamais connu, que commence le film qui enchaîne aussitôt sur Alger, sa casbah, son quartier misérable de Belcourt. Cormery, alias Camus, se souvient de ses amis d’école, Européens et Algériens, mais aussi, et surtout, de son instituteur (Denis Podalydès) dont l’intervention miraculeuse l’aidera à poursuivre des études qui le conduiront au plus haut de l’échelle sociale, puisqu’il obtiendra le Prix Nobel de littérature.
Le film parle davantage de ce qu’était l’homme que de l’écrivain dont la pensée ici se fond dans le grand tout d’une expérience à la fois intime et collective. Dans Le Premier homme, en acceptant de se colleter avec la réalité de sa propre vie, de son enfance, du monde algérois grouillant et brutal qui était le sien, Camus s’était libéré de toute obsession de message. Il accédait à sa véritable maturité romanesque, en rupture avec celle du moraliste nihiliste. Mais il n’a pas eu le temps de terminer ce qu’il estimait être son premier roman, jugeant n’avoir fait jusqu’alors que des gammes. Revisitant en flash back son parcours, les dimensions publique et privée s’imbriquent fortement. La pensée d’un homme serait donc, avant tout, sa nostalgie.

Quoique prétendu roman, Le Premier homme, du fait d’être autobiographique, exigeait plus de respect dans l’adaptation en film, sans la liberté autorisée par tout roman qui ne sert souvent que de base. Amelio a développé certaines parties du livre plutôt que d’autres, afin d’éclairer des événements de l’enfance par rapport au temps présent, celui de l’adulte incarné par Jacques Gamblin (convaincant, sans chercher une imitation de cet homme empli de doutes). En fait, il ne s’agissait pas d’illustrer la vie de Camus, mais de réaliser un film sur les racines, l’attachement au lieu de naissance, guerre ou pas guerre. Camus a toujours revendiqué d’être algérois et français et le film exprime cette double appartenance. Être italien évitait à Gianni Amelio d’être taxé de parti pris patriotique, ce qui a vaincu les dernières réticences de la famille de Camus. Malgré sa musique envahissante et sa facture très (trop ?) classique, le film résonne longtemps dans la mémoire, chargé de l’émotion qu’il procure et de son soleil écrasant.

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