Loin de la récupération commerciale, un hommage artistique
Dans ses œuvres, aucun logo ni nom de marque : seuls les détails esthétiques des cadrans permettent d’identifier les modèles. Pourtant, Rolex reprochait à l’artiste plusieurs atteintes présumées, notamment l’intitulé de certaines œuvres associant le nom ROLEX à une capitale, l’usage du hashtag #rolex sur les réseaux sociaux, et la mention de la marque dans une vidéo retraçant son processus créatif. Le Tribunal a interdit à l’artiste d’utiliser le nom ROLEX et son logo pour, selon la juridiction, « promouvoir » ses créations. « Taguer une marque, pour moi, c’était une forme de transparence, voire un appel à la collaboration, se défend le plasticien. J’ai peut-être été naïf. Mais dans l’art, on ne calcule pas tout. » Cette série, née de la rencontre entre deux passions — l’art et l’horlogerie — a pourtant reçu un accueil bienveillant de la part d’autres maisons prestigieuses. Des marques comme Quinting ont salué la démarche de l’artiste.
Johann Perathoner regrette l’image d’opportuniste que le procès a pu lui donner : « Je ne vends ni produits dérivés ni éditions en série. Je suis un artiste, pas un commerçant, clame-t-il. Mes œuvres, pièces uniques exposées dans des lieux reconnus, rendent hommage à l’urbanité et à la société de consommation. Comme l’horlogerie, c’est un travail de minutie : j’y remplace l’heure par des villes en trois dimensions, rêvées, idéalisées. Mon savoir-faire s’en rapproche. »
Protection des marques : les libertés de création artistique et d’expression des artistes sous haute surveillance
L’affaire questionne : jusqu’où va la protection d’une marque, et à partir de quand empiète-t-elle sur la liberté de création et d’expression ? Le jugement jette un froid dans un monde artistique pourtant de plus en plus habité par les croisements entre art et marques et interconnecté par les réseaux sociaux. De Warhol et ses boîtes Campbell à Wesselmann et ses canettes de Coca-Cola, le pop art a toujours puisé dans l’imaginaire des marques pour interroger la société de consommation. Cette pratique perdure : jerricans siglés Hermès, pilules Chanel, sculptures LVMH… « J’ai même vu une batte de baseball siglée ROLEX sur Artsper ! », relève Johann Perathoner. À ses yeux, les marques sont omniprésentes dans notre quotidien et s’imposent à nous, notamment sur les réseaux sociaux. Les détourner devient alors un acte de création : « C’est une démarche artistique à part entière, même dans la promotion. On peut aimer ou non, mais censurer un artiste pour son inspiration ou son expression, dans ses œuvres comme sur ses réseaux, revient à porter atteinte à la liberté de création. » Bien qu’il refuse de céder à la peur, l’artiste reconnaît la violence de la procédure. « J’aurais pu être brisé par cette affaire, confie-t-il. Elle m’a profondément ébranlée, mais heureusement, sans remettre en cause ma faculté de création. Pour un jeune artiste moins solide psychologiquement ou seul, ce genre de procès peut tuer une vocation, réduire sa créativité à néant. »