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CHRONIQUE : Nice-arts 2000 +

La Victoire "turquoise"

Véronique Champollion, Victoire turquoise
DR

Description

La Victoire "turquoise", dont le titre fait une allusion évidente à la couleur dominante du fond de l’oeuvre, s’inspire librement de la Victoire de Samothrace. Comme La statue, en marbre blanc, la peinture représente une femme, la déesse de la Victoire ailée, et vêtue d’un chiton pour la poitrine, en tissu très fin, laissant apparaître les formes alors que le bas du corps est recouvert par l’himation enroulé à la taille et plaqué par le vent contre le corps, un pan s’envolant à l’arrière.
Le personnage, comme la Victoire, est représentée au moment où elle se pose sur le pont du navire, les ailes déployées, le pied droit à peine posé : la main droite, contrairement à l’original, tient une couronne de laurier. Mais les références ne sont que superficielles : peu de contorsions dans l’attitude, la pose est davantage maniérée et le sourire semble prendre plaisir à conforter le spectateur.
Et pourtant ce stéréotype de la sculpture hellénistique s’impose par la prégnance des couleurs et l’audacieux détournement des supports qui le composent : le typique tissus provençal et la peinture acrylique qui le recouvre. L’osmose entre ces deux parangons de la culture populaire -la Victoire, maintes fois reproduite dans les matériaux les plus divers et souvent les moins nobles en format minuscule, et les tissus provençaux qui trônent dans les supermarchés- provoque l’étincelle propre à inscrire cette oeuvre dans le répertoire de l’art Kitsch ; mais pas seulement...

Morphologie

Les courbes et contre-courbes de la Victoire animent la représentation en lui conférant un dynamisme évident ; les mouvements des bras, les drapés et les ondulations de l’aile reprennent en écho les motifs curvilignes du fond, mais on est loin cependant des contorsions maniéristes qui sont le propre de la sculpture originale. Cette Victoire reste davantage statique et semble poser comme un modèle vivant ; en ce sens le personnage s’éloigne de l’idéologie première qui accordait une grande place à l’anecdote et à la position suprématiste de la figure de proue.
De plus l’effet de mouvement est scandé par les bandes verticales du décor arrière, comme si une grille indéterminée rythmait la composition : effet de ralenti, arrêt sur l’image... On pourrait voir dans cette dualité droite/courbe la métaphore des effets séquentiels chers à l’artiste, qui privilégie constamment les procédés narratifs. La légère contre-plongée du personnage renforce son attitude pour lui donner plus de poids et l’inscrire dans l’actualité.

Chromatisme

La couleur dominante ne peut-être que celle que nous révèle le titre de l’œuvre ; présente sur les bandes du fond, elle rehausse le drapé par de petites touches et se magnifie sur la couronne de lauriers. Mais cette couleur-référence nous amène déjà dans le décoratif ou l’artifice, puisque le "turquoise" n’est ni une couleur primaire ni secondaire dans la peinture traditionnelle, mais plutôt une fabrication "déco" qui abonde sur les objets de consommation "kitsch". Cet indice nous met en présence de l’essence même de l’oeuvre, soit le détournement d’un original très sérieux, inscrit dans les archives de l’histoire de l’art pour le faire atterrir sur un fond de tissus provençal où le turquoise est roi !
Et les rehauts de rouge ou d’orangé, en guise de couleur complémentaire, ne font qu’attiser le paroxysme des contrastes. Pastiche ou citation, l’humour reste prioritaire dans cet amalgame volontaire de noble et de populaire, d’héroïsme et de trivial.

Pour relire l’intégralité de la chronique cliquez ici :

- Première partie

- Deuxième partie

- Troisième partie

Artiste(s)