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CHRONIQUE D’UN GALERISTE : Maggy Kaiser, peintre des Espaces - CHAPITRE 22 (part I)

Maggy Kaiser

L’œuvre de Maggy Kaiser, quatre-vingt-onze ans, va faire l’objet d’une Fondation en Allemagne, et peut-être aussi en partie chez elle à Valbonne pour accueillir des jeunes peintres allemands, et c’est intéressant, c’est comme si cela la reliait définitivement à l’art géométrique allemand, c’est-à-dire au Bauhaus.

Maggy Kaiser photographiée par Hans Hartung

J’ai connu Maggy quand elle venait voir les expositions de ma galerie de Saint-Paul, un jour j’ai vu son travail, et elle est venue prendre sa place dans mon panorama de l’art géométrique, qui, à un moment d’ailleurs, s’est incarné à travers des femmes, particulièrement dans « Entre femmes seules » de juin-juillet 1993. Je crois avoir déjà parlé de ce rapprochement séduisant entre Anna Béothy, Michèle Brondello, Marcelle Cahn, ma sœur Edmée, Alberte Garibbo, Jani, Aurélie Nemours, Nivèse, Maud Peauït… et Maggy Kaiser.
Maggy fut donc présente dans ma galerie jusqu’à mon exposition récapitulative au CIAC « Paradoxe d’Alexandre ». Dans le catalogue de cette exposition, sur elle j’ai écrit :
De Magnelli elle a appris l’esprit des formes, la rigueur des mises en page, la fougue d’une diagonale qui, plus qu’elle ne sépare, réunit les impossibles de la surface peinte. Des formes héritées du carré, du rectangle, du losange, elle passe maintenant à celle, plus matricielle, du cercle, des cercles et de leurs enlacements. Maggy est une artiste modeste qui jamais ne s’avance seule sur la scène, mais qui, résolument, jour après jour, année après année, constitue, déconstruit, et reconstitue un vocabulaire qui, à chaque fois, lui permet d’approcher du plus près possible la cible : le tableau parfait, rêvé, et réussi, ou se dit ce qu’elle voulait dire. (Alexandre de la Salle)
Elle a répondu :
Face à ma recherche précédente : lignes droites et angles brisés, qui créent une tension, le cercle, qui engendre le calme - est un cas à part parmi les trois formes originaires - carré - triangle - cercle. Des lignes droites ne sauraient produire le cercle, dont la surface est opposée au triangle.

C’est un mouvement vers l’avant lorsqu’aucune barrière ne se dresse - la voie est libre.
C’est une force qui pousse vers le haut. Détruire ces deux conditions empêche l’évolution. Mon travail consiste à déplacer ces barrières : on voit ainsi qu’au fond, ce n’est pas la valeur nouvelle qui est importante, mais la liberté de l’accueillir. (Maggy Kaiser, 1999)

Maggy Kaiser dans son atelier, avec Alexandre de la Salle, années 1990

La voie est libre

Déjà en 1999 elle annonçait que la voie était libre, et, quatorze ans plus tard, dans l’entretien (filmé) que nous avons eu chez elle le 9 juin dernier, elle insiste sur le fait que l’espace s’est définitivement ouvert, que les limites ont disparu, que son cursus – à partie de la contemplation première d’un tilleul et du vide entre ses feuilles – est en quelque sorte un passage entre station sur la terre (les « pieds sur la terre ») et accès au ciel, au cosmos, à l’infini.
Je suis très heureux que nous puissions, par ce film dont deux clips sont présentés avec les parties I et III de ce chapitre, entendre de sa bouche un témoignage sur la recherche serrée, pertinente, quoique non mentale, plutôt « pulsionnelle », qui a été la sienne, mais l’art géométrique nous a habitué à la merveilleuse ambivalence entre désir de libération de la forme et constitution d’un vocabulaire qui tente de s’en approcher.

Maggy Kaiser avec Albert Chubac à la Galerie Alexandre de la Salle (1999)

Née en 1922 à Mulhouse, l’enfant unique et solitaire qu’est Maggy dessine, invente ses jouets. A l’âge de 12 ans, en pension à Gstaad (Suisse), elle dessine des villages alsaciens. Après le Bac, au Musée de Mulhouse, elle prend des cours de dessins et peinture, et pressent que pour elle la peinture sera incontournable. A partir de là, en 1946-47, elle est aux Arts Déco de Strasbourg. Au Musée de Bâle, elle découvre Picasso, Juan Gris, et Chagall, c’est une grande émotion, et fin 1947 elle se retrouve à la Grande Chaumière, à Paris, où elle fait des rencontres déterminantes, Jacques Villon, Fernand Léger, Vieira da Silva. En 1948, elle passe un court temps dans l’atelier d’André Lhote, mais ce n’est pas ce qu’elle cherche, et ça marchera avec l’enseignement de Coutin, avec lui elle dit qu’elle apprend la Forme, et la Relation. La visite des musées et galeries pleins de formes nouvelles l’enthousiasme.

Pourtant l’été 1949 elle part à Saint-Rémy de Provence peindre sur les traces de Cézanne et Van Gogh, et appliquer l’enseignement de Coutin. Dans les Alpilles, elle peint, dessine, mais se décourage, comme si elle voulait en faire trop, tout peindre, que rien n’échappe. Elle va s’apaiser, mettre de l’ordre, construire.
Lorsque son père meurt dans un accident de voiture, la veille de la Toussaint, Maggy Kaiser retourne en Alsace, où elle va rester un an dans l’usine paternelle, tout en sachant que la grande aventure de sa vie c’est la peinture.
A l’automne 1950, elle retourne à Paris, se lie d’amitié avec Vieira da Silva, son époux Arpad Szenes, et Germaine Richier, et Alexandre Calder… Elle apprend la gravure avec Stanley William Heyter, qui vient de se réinstaller à Paris. En 1951, Maggy Kaiser s’installe au 18 de la Villa Seurat, se lie d’amitié avec Prassinos, Magnelli, Reichel. Mais en 1952, c’est un voyage capital en Toscane, deux mois à Florence, un mois à Sienne et Rome. Elle est marquée par le dépouillement de la peinture italienne, le symbolisme cosmique, la couleur de Giotto, et en tire deux idées qui l’accompagneront à vie, l’idée de cosa mentale, et l’idée de totalité.

Maggy Kaiser avec Esther Morisse à la galerie Alexandre de la Salle (14 septembre 1985), vernissage d’Esther Morisse
© DR

Cette année-là, l’année de ses trente ans, la Maison d’Art Alsacienne, rue Brûlée, de Strasbourg, lui fait une exposition personnelle, et le Musée de Strasbourg lui achète un dessin et une eau-forte. En 1954, à Carrare, elle dessine et peint dans les carrières de marbre, préoccupée par la forme, la structure et la lumière. De 1955 à 1959, elle réalise des gravures inspirées des dessins de Carrare, ainsi que des peintures d’architectures influencées par les prédelles italiennes et par Vieira da Silva. En 1957, elle expose avec un groupe à Galerie Stuecheler de Bâle. Et en 1959 elle quitte Paris, s’installe à Valbonne, où elle vit encore aujourd’hui. Elle s’y lie d’amitié avec Jean-Paul Van Lith, exécute des dessins figuratifs pour des écoles maternelles. En 1963 elle invente ses premiers dessins à petits cercles, et fournit sa première décoration murale en marbre de couleur découpé et incrusté de mosaïque vénitienne. Exposition personnelle à la galerie de la Vigna Nuova à Venise. En 1966, première peinture abstraite, et, dans l’atelier de céramique de Suzanne Ramié, Madoura, décoration de terre cuite pour l’école maternelle George Sand de Mulhouse. De 1966 à 1968, Biennale de Menton. En 1967 : deux décorations murales abstraites en terre cuite pour le Lycée Albert Camus de Mulhouse. En 1968, exposition personnelle de dessins, gravures et peintures abstraites à la Maison d’Art Alsacienne, à l’Ancienne Douane de Strasbourg. De 1968 à 1975, « Arts Contemporains » de Mulhouse. En 1969, première décoration murale dans les Alpes-Maritimes, à la Mutualité Agricole de Nice : marbre découpé, mosaïque de Venise et terrazo poli. Et aussi huit panneaux en grès et céramique pour le groupe scolaire Jean Zay de Mulhouse.
Et là Maggy part en Algérie (Gardaïa, le M’Zab). Elle écrit : « C’est un mode de construction qui dicte la forme, c’est une courbe naturelle qui vient de l’élan. Il y a là une grande source d’inspiration, comme la musique du désert. La musique avant le Conservatoire. La foi religieuse ».

Peinture récente, acrylique, sans titre

Parallèlement à toutes ses réalisations murales, sa peinture, abstraite, se dépouille et s’affirme. En 1971, elle réalise des décorations murales en marbre brut et ciment pour Molsheim (Bas-Rhin), et une école maternelle de Mulhouse. L’année suivante, une décoration en marbre brut pour une autre école de Mulhouse. Et en 1976, la galerie Candela, à Cannes, expose ses peintures et dessins abstraits. La même année, elle réalise une décoration murale en marbre et mosaïque pour une école maternelle de Valbonne. En 1977, elle crée un cercle de six mètres de diamètre en marbre brut et mosaïque pour le C.E.S Albert Camus de Miramas. En 1979, elle participe à la Première Quinzaine d’Expression Contemporaine de Draguignan, c’est une période « cercle », elle réalise des dessins (crayon Conté sur papier Canson noir) et des peintures sur bois. En 1981, sa peinture commence à s’éclater en facettes. En 1985 elle est présente dans la Rétrospective « 20 ans de Peinture à la Fondation de Sophia Antipolis » et aussi dans l’exposition « Femmes, Portraits et Nus » des Salons de la Malmaison, à Cannes. En 1986, elle expose pour la première fois à la galerie « Etage » de Münster, et aussi dans « Perspectives » au Château de Cagnes-sur-mer.

Dessin

Et en 1988 (3 mars-1er mai), je m’en souviens, c’est une très belle exposition à la Malmaison de Cannes « De la figuration à l’abstraction », avec Fritz Levedag et Jacqueline Diffring. J’ai moi-même exposé Fritz Levedag, peintre passé par le Bauhaus, et inventeur de la « Ligne illimitée », sur lequel France Delville a écrit un livre. Mais cette exposition à la Malmaison était très forte, et la préface de Frédéric Voilley dans le catalogue a été un beau morceau d’histoire de l’art géométrique. J’y reviendrai.

(A suivre)

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