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CHAPITRE 41 (part V) : « Le Paradoxe d’Alexandre » ou Le Parcours d’un Galeriste

Suite de la chronique consacrée aux correspondances d’Alexandre de la Salle et cette semaine ses échanges avec Frédéric Altman.

Pour écrire son texte sur Berthe Sourdillon, André Verdet a eu en main le texte de Raymond Charmet écrit pour une exposition à la Galerie du Vieux-Colombier et reproduit dans un catalogue de l’Hôtel des Ventes de l’Isle-Adam, c’est là qu’il l’a pris, c’est de là qu’il l’évoque.

Hôtel des ventes - l’Isle-Adam
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Voici la suite du texte : …Je détache ici quelques passages de ce que Raymond Charmet écrira sur la vie et l’œuvre de l’énigmatique Berthe Sourdillon en guise de présentation lors d’une vente d’atelier des œuvres de l’artiste à l’Hôtel des ventes de l’Isle Adam le 30 octobre 1988 : " Ce dépaysement systématique, mais spontané et toujours enthousiaste, se reflète dans l’évolution même de la peinture de SOURDILLON. Partie d’un naturalisme sobre, aux tonalités sourdes, elle peignit d’abord des toiles précises et exactes, des paysages rustiques, des figures aux lignes longues et enveloppantes. Vers 1948, son lyrisme contenu a éclaté dans de vastes natures mortes, débordantes de dynamisme, de couleurs vibrantes, déployées en des perspectives plongeantes. Dès lors, son art se libère de plus en plus complètement. Pour elle c’est la lumière qui créé la couleur. Elle travaille le matin, très tôt, devant le ciel tout blanc et blême, et plus encore le soir, où les tons avant de mourir atteignent à leur suprême rayonnement. Les formes s’assemblent, se déplacent, se poursuivent, dans la souplesse de leurs rythmes musicaux qui dévorent les accidents et composent des symphonies plastiques d’une audace surprenante. Ainsi les silhouettes rouges des roches d’Agay, jaillissant de la mer bleue, deviennent un paysage mythique suggérant les épopées légendaires.

Les roches rouges
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Vus de loin, les gratte-ciel sont un ruissellement de tons précieux, dont les traînées glissent sur le ciel d’orage. Dans les grandes compositions que lui inspire le Mexique, les couleurs s’enchevêtrent en une fête de rêve où les temples antiques revivent une existence féérique. L’art devenu la traduction plastique des émotions les plus palpitantes, les plus frémissantes, tel est le message de cette artiste vibrante et profonde qui nous enseigne le bonheur".

Lorsque mon ami Alexandre de la Salle, qui a dirigé deux importantes Galeries d’Art Moderne et d’Art Contemporain, l’une à Vence puis l’autre à Saint Paul de-Vence, et qui a proposé plusieurs expositions de l’Ecole de Nice, m’a parlé d’une mère peintre, et qu’il a étalé devant moi, dans son vaste appartement de Nice où il s’est retiré avec sa femme France, essayiste d’art, une nombreuse suite de tableaux de Berthe Sourdillon, sa mère, j’ai été envahi par un soudain enthousiasme (qui n’est pas près de s’éteindre !) tant la facture plastique intrinsèque des œuvres atteignait à l’acmé d’une grandeur sans concession. Devant cette révélation, je me suis pris à songer à cette femme, pleine de mystères existentiels, disparue sans qu’elle eût réellement les honneurs officiels de la célébrité... Et par pudeur, et du fait qu’il était marchand de tableaux, son fils Alexandre de la Salle a longtemps, longtemps, hésité et encore aujourd’hui à montrer au grand public les tableaux de cette mère quasi insaisissable qui fut errante et productive. Il eut pourtant en permanence, à partir de l’ouverture de sa Galerie à Vence, Place Godeau, des toiles de Berthe Sourdillon, et il en montra aussi dans sa Galerie de Saint-Paul de-Vence.
Qui fut le père d’Alexandre, qu’eut il comme métier, qu’en fut il de son union avec Berthe, j’ai préféré demeurer sur le pont d’une énigme, et d’un secret. N’ai je pas raison, lecteurs ? je dirai simplement que le mari de Berthe, père d’Alexandre de la Salle, Uudo Alexandre Einsild, marchand d’art lui prédisait, conjointement avec sa femme Berthe « tu seras peintre ou graveur ». Or, c’est la sœur, Edmée de la Salle, qui est devenue artiste, non pas graveur mais céramiste, sculpteur et peintre. Quelque part dans les collines tourrettanes, elle modèle en force de poignet de gros blocs de terre dans la plus complète et volontaire solitude méditée.

Donc, quand mon ami Alexandre de la Salle, dans les galeries duquel j’ai eu la joie d’exposer mes tableaux conceptuels, me fit découvrir les œuvres de sa mère, je fus véritablement bouleversé : une œuvre majeure et majorante, tableau après tableau, du petit au grand format, une œuvre subjuguait mon regard jusqu’à un envoûtement incantatoire... Et quel bonheur de découverte ! Toute la force de l’expressionnisme, toute la violence du fauvisme, mais avec des douceurs d’ange ! Devant tel portrait je m’exclamais : « C’est aussi fort qu’un Modigliani ! » Devant tel paysage : « Il y a là la magie agreste d’un Bonnard ! Cette même perspective donnée par le seul jeu des ombres et des lumières et non par la géométrie... » Devant tel Grand Nu je retrouvais la superbe hauturière d’un Pascin, la vigueur d’un Soutine... Et pourtant j’avais devant mes yeux l’œuvre personnelle d’une Berthe Sourdillon, qui rayonnait dans son propre pouvoir l’attirance magique. Son secret ? Avoir su faire siennes les meilleures acquisitions de certains maîtres réputés ou oubliés, oui, de les avoir su faire siennes au creuset de son propre génie, et de les avoir ainsi rendues incomparables. Comme j’aurais aimé rencontrer cette femme singulière au beau visage énigmatique, cette aventurière de la peinture...

Berthe Sourdillon allongée et fumant
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Cette femme qui, dans le fond, a, en quelque sorte, su jeter un défi à la peinture et à la vie étroitement mêlées... Cette femme qui parlait six langues . le français, l’italien, l’allemand, l’anglais, le russe, l’espagnol...Mais il me semble que du fond même de ses paysages et de ses portraits, elle me parle... A voix basse ou à voix haute... Devant tel paysage où la perspective semble s’être élargie vers l’arrière, ou devant un autre où il me semblerait qu’après ce fond d’horizon s’enfuirait un autre horizon... Voilà, il me semblerait avoir trouvé quelque chose d’important dans les œuvres de Berthe Sourdillon : un sens du cosmique qui transcende la belle sensualité de sa matière picturale, surtout quand son chromatisme est poussé à ses extrêmes de vertige et que la forme architecturale ordonne l’ensemble. Salut, Berthe Sourdillon, je te dis au revoir et non pas adieu ! (André Verdet, Juillet 2003)

Frédéric Altmann – Quel texte magnifique, quel dommage que l’exposition n’ait pas eu lieu du vivant d’André !

Alexandre de la Salle - Oui. Mais les œuvres de ma mère ont toujours été présentes dans mes deux galeries, admirées, et je sais qu’elles sont présentes dans de nombreuses collections dans le monde. D’autre part, elle admirait beaucoup qu’en héritier de mon père, si je puis dire, à partir de l’ouverture de ma galerie place Godeau à Vence, trois années durant, j’aie montré des artistes de l’Ecole de Paris (Atlan, Bissière, Gromaire, Soutine, Modigliani, Kikoïne, Krémègne, Tatin, Sourdillon, Wols, Magnelli, Derain, Dufresne, Picasso, Yankel, Vlaminck, Kisling, et bien d’autres ... ), et que très rapidement, ayant fait la connaissance de quelques artistes de ma génération, Tatin, Eppelé, Malaval, je me sois mis à les exposer. Jusqu’au 17 mars 1967, où j’ai, comme a dit Arman, « fédéré » l’Ecole de Nice. Mais ceci, c’est pour un prochain chapitre…

Frédéric Altmann – Pour boucler la boucle, dans « le Paradoxe d’Alexandre », tu avais écrit un texte sur elle ?

Alexandre de la Salle et Frédéric Altmann un jour de vernissage à la Galerie
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Alexandre de la Salle – Oui, et là aussi, je suis d’accord avec ce que je disais à l’époque : « Parler de ce peintre, qui est ma mère, est œuvre impossible. Trop de souvenirs, trop d’émotions, et toujours l’image de cette grande dame, allant chercher SON paysage, quitte à franchir les plages de galets ou les sentiers escarpés, avec tout son attirail de peintre, pour atteindre enfin le lieu idéal. Ainsi, jusqu’à plus de 75 ans, noces de feux, de couleurs, avec la mer, avec la montagne. Jusqu’aux frontières ultimes, où, fondus, les éléments, lui disaient la vérité et le mystère des ici du monde.... Je n’ai jamais vu de peintre négligeant si souvent sa palette, pour, avec trois couleurs au bout de son pinceau agile, du tableau lui-même faire cette flamboyante surface, où, heureusement mêlée, chacune de ces couleurs conservait tout son éclat, et le projetait sur les autres ! Et quelle portraitiste ! D’êtres dont les regards s’en allaient tous, vrais et droits, vers d’ineffables lointains... Et ce pur talent est passé dans les veines de ma sœur, le peintre et sculpteur Edmée ».

Sculpture d’Edmée de la Salle
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Frédéric Altmann – Dans l’interview filmée que t’a faite Pierre Marchou à l’occasion du « Paradoxe d’Alexandre », tu expliques bien comment ce qui te restait de l’Ecole de Paris, tu l’as investi pour défendre de jeunes peintres inconnus, Eppelé, Malaval, Ben, Gilli., etc. Puis l’Ecole de Nice et tant d’autres novateurs inconnus…

1er février 1960, inauguration de la Galerie Alexandre de la Salle, place Godeau, Vence, avec des œuvres de Modigliani, Kisling, Soutine, etc.
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Alexandre de la Salle – Oui, comme je l’ai écrit, encore une fois : « Ces expositions furent toutes portées par le même désir, le même enthousiasme, toutes comportaient leur part de découverte, et permettaient, elles aussi, de pénétrer d’autres champs, de soulever d’autres voiles, et d’entrer différemment dans l’espace clos/ouvert de la Création contemporaine... »

Fin.

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