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CHAPITRE 7 (part III) : Chronique d’un galeriste...

Suite de la chronique d’Alexandre De La Salle...

Frédéric Altmann – La plus grande partie de ceux qui s’expriment sur Chubac considèrent son œuvre comme un facteur d’équilibre. En 1968, quand tu l’exposes, l’art est considéré par certains comme devant refléter la violence de la société (Jouffroy, Gassiot-Talabot etc.)…

Catalogue « Ecole de Nice … » (1987) Galerie Alexandre de la Salle
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Alexandre de la Salle – Mais ce n’est pas pour rien qu’au début des années 50 Albert ait participé au Salon des Réalités Nouvelles, ou exposé chez Denise René. L’abstraction cherche à un autre niveau que celui du contingent, semble-t-il. La proximité de Chubac avec Mondrian et Aurélie Nemours est flagrante, sauf que ceux-là cherchaient le nombre d’or, l’absolu, la formule du monde, la disparition de tout accident, tandis qu’Albert semble avoir pris la chose à l’envers, dans une sorte de modestie de cour d’école, où la simplicité des moyens – une économie dans tous les sens du terme - le forcerait ipso facto à une sorte d’artisanat cosmique à la poursuite des forces de vie, et du jeu qui les sous-tend ? Tout cela étant un choix à la fois instinctif et très élaboré au sein de sa connaissance de la peinture, de son immense culture ? Je le crois. Le plus difficile est de se débarrasser des références, et Albert a parfaitement réussi, il s’est vraiment libéré. C’est pour cela que son travail est magique, et que beaucoup de gens, même sans analyser – et peut-être surtout parce qu’ils n’analysent pas – se retrouvent à espérer de la vie, de la gentillesse, de la lumière, de l’écartement de la violence : cela s’appelle la paix. Ce qui ressort assez bien d’une sorte de biographie réduite qu’Alain Amiel a articulée dans le « Chubac » de Z’Editions, à coups éclairages intimistes donnés par Albert lui-même :

CHUBAC : Ayant perdu ses parents assez jeune, Chubac a dû très tôt se prendre en charge : à 16 ans, il entre aux Arts Déco... des études sans grand intérêt... Puis les Beaux Arts, où il se passionne enfin.
« Très tôt j’ai assumé la façon que j’ai eu de vivre. Pas de rupture, des choses très progressives  ».
Une rencontre avec deux professeurs qui va être déterminante : initié à la musique, au théâtre, il découvre la peinture.
Au début, très proche des abstraits, surtout De Staël...

 : invitation de l’exposition « Chubac, œuvres récentes » à la Galerie Alexandre de la Salle en août-octobre 1991
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«  Très barbouilleur, très couleur, sans influence des constructivistes  ».

A la fin de ses études, Chubac voyage : Italie, Espagne, Grèce, Egypte, Algérie... et Nice. Partant pour quelques mois, il y reste des années.
La Grèce, son passé, mais surtout la Grèce actuelle et son peuple.

« Un atelier à Mykonos où je travaille jour et nuit : œuvres sur papier, images, transparences... presque des aquarelles, très stylisées, un peu mystiques (j’écoutais beaucoup les chants grégoriens des églises grecques) petits chemins et personnages, tâches, suggestions.... réalisées sur un papier de boucher...  »

Article de Frédéric Altmann dans Nice-Matin
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Athènes, où il fait sa première exposition au Zappiom en 1949, gagne de l’argent ... et un Grand amour grec...
Le Mont Athos où il passe un mois en compagnie d’un poète américain avec qui il réalise un livre illustré.
L’Egypte dont il se sent très proche... et fait des rencontres marquantes un père jésuite, un prince Egyptien, riche propriétaire qui va l’accueillir dans sa maison blanche de Haute Egypte.
Les pyramides visitées à dos d’âne... Fresques de la Vallée des Rois,... les grands aplats de couleur dans ce grand silence vont le marquer.
L’Espagne où il séjourne plusieurs mois dans le village d’Artigas.
Aspremont, 1952, Chubac achète une maison... un cabanon sans route, sans eau, sans électricité.
Actif mais contemplatif, Chubac aime les périodes où on peut travailler et ne rien faire a besoin de prendre du temps, flâner…

« J’aime la campagne mais j’ai besoin de la ville  ».

L’hiver à Paris, quartier Montparnasse, rue Littré, rue de Rennes, chez Madame Loo ...

« J’allais aux Tuileries et au Luxembourg faire des petits tableaux de couleur, des vendeurs de ballons  »...

D’une rencontre avec un riche collectionneur américain qui lui achète de nombreux travaux, naît une exposition aux USA (premier de l’Ecole de Nice à y exposer)
Puis retour à Paris où il cherche un atelier dans le 14 ème.
Ne le trouvant pas, il revient à Nice et décide de construire un atelier. Des rencontres importantes, des amitiés : Raysse (qui lui montre ses premiers travaux), Gilli, Ben, Alocco, Serge III, Venet ...

« On a été assez à l’aise entre nous de suite, on se sentait très proche. César venait de Paris. On se voyait tout le temps au Provence ou au Félix Faure. A part eux, ici, c’était le désert intellectuel et matériel : pas de galeries ! On partait à Paris pour essayer de vendre mais surtout pour exposer ».

« Nouveau réaliste », il en a vite assez des objets bruts, des trouvailles de poubelle.
Se libère de l’objet et commence à peindre à la bombe.
En vient à la forme pure... puis commence à construire des objets avec des aplats de couleur.

« Les choses viennent intérieurement avec des tas d’influences mais souvent indirectement, elle était sentie avant. Je n’ai jamais décidé de changer de langage, c’est venu progressivement. Mes aplats sont nés en Egypte, un déclic extraordinaire a mis en recul le côté peintre impressionniste abstrait  ».

Avec le temps, bleus et rouges deviennent plus tendres, moins brutaux, plus nuancés.
Une période plexi (Viallat l’amène chez Vernassa)... le côté modifiable.... qui s’arrête en 70.

Art Jonction 1993
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Retour au carton et au bois... Ses éléments dans l’espace, ses sculptures en bois sont toujours colorées.

« Je fais du géométrique par simplicité, on n’est pas pris par les formes mais par l’esprit...
Ce qui se dégage des couleurs, des mobiles. Toujours un décalage. L’évolution de mon travail n’a rien à voir avec Mondrian. Je suis venu au constructivisme par mon travail, pas par intention directe. Très vite j’ai eu le désir de faire avec le minimum de moyens. La vie modeste que j’ai menée on la retrouve dans la simplicité de mon travail. Ce qui m’intéresse, c’est de faire au plus simple
 ».
Très ouvert, très sociable, Chubac a besoin de communiquer, de parler.
Unité de la personne, de son œuvre et de son cadre de vie. Joie sereine, pureté ; un travail qui semble contraire à la nature mais qui est en vraie harmonie en contrepoint. Une satisfaction du minimum. Un Univers. (Alain Amiel)

Frédéric Altmann – Oui, il a raison de dire : un univers.

Alexandre de la Salle – Et toi, le 15 septembre 1991, n’oublie pas ce que tu avais écrit dans Nice-Matin : « Avec Chubac, l’art est un pacte de non-violence. Une œuvre en forme de cerfs-volants, prêts pour des départs dans l’azur bleu, en parfaite communion avec la nature et la liberté de vie. Son parcours est exemplaire, d’une grande rigueur et loin aussi des remous de la ville. Son appartenance à l’Ecole de Nice (un des premiers) est aussi un parcours de souvenirs. Martial Raysse, Claude Gilli, Ben, Marie Raymond … les amis de son errance fin des années 50, une foule de souvenirs dans un désert d’incompréhension et souvent de vaches maigres. Une très longue attente pour un artiste qui jongle avec la couleur en projetant un arc-en-ciel dans le ciel bleu, à rendre jaloux Yves Klein. (Frédéric Altmann)

A suivre...

Albert Chubac et Alexandre de la Salle à l’atelier d’Aspremont
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- Pour relire la première partie de cette chronique.

- Pour relire la deuxième partie de cette chronique.

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