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Centenaire de la naissance d’André Verdet

Les cahiers d’André Verdet : le dernier héritage.
Donc Françoise Armengaud et Luciano Melis connaissaient l’existence de manuscrits inédits laissés par André Verdet, et ils purent les retrouver dans les archives de la Mairie de Saint-Paul à qui André avait fait don de ses maisons, avec ce qu’il y avait dedans. Trois cahiers et une liasse de huit feuillets furent ainsi édités dans « Au-delà du seul à seul », avec un avant-propos de René Buron, maire de Saint-Paul, un texte d’André Brincourt, des textes de Françoise Armengaud, dont un récit sur « Les maisons d’André Verdet à Saint-Paul-de-Vence, une postface de Dominique Desanti, une courte biographie par Luciano Melis, mais, principalement, une sorte de journal, d’André, des notes, extrêmement vivantes. A un moment André écrit : « Ma chère Françoise Armengaud, vous ne m’enlèverez pas de la tête que l’Univers est né des stratégies du hasard stratégies faiseuses de chaos et les accidents en seront toujours porteurs de repères favorables ».
Et plus loin : J’avais posé par lettre à mon amie Françoise Armengaud l’énigme suivante : La philosophie d’aujourd’hui la plus drastique la plus en pointe qui soit en sa pureté de source hégélienne cette philosophie aurait elle réussi à se délester en sa pluralité globale de pensées et d’écrits oui à se délester de l’intervention plus ou moins magique il est vrai du mythe grec antique dont Héraclite fut sans doute le pre¬mier à s’écarter en prenant conscience corps à corps des évidences de la nature mère et en s’affermissant sur et dans elle pour établir les premiers constats d’un devenir efficient où la déesse fatalité lâchait peu à peu prise.

André Verdet avec Arman (Photo Frédéric Altmann)

Et voici la réponse de Françoise Armengaud :
Votre question est très vaste, c’est même une immense énigme ! Je vous reconnais bien là ! Quant à moi, j’avoue ma perplexité. Et d’abord, il m’est difficile de vous répondre en considérant la philosophie contemporaine comme un tout. Probablement pour des raisons qui tiennent à ma profession, puisque j’enseigne, et que donc j’essaie d’apprendre aux étudiants à faire des différences, je suis plutôt sensible aux grandes dispa¬rités, voire aux antagonismes, dans les principes, les méthodes et les finalités propres aux divers courants contemporains. Songeons par exemple à la phénoménologie et à la philosophie analytique (même si quelqu’un comme Ricœur a toujours été soucieux d’orienter la confrontation vers une conciliation). Pour revenir à votre question sur le mythe, je ne sais s’il faut définir la philosophie exclusivement par la rationalité de sa démarche argumentative. Mais des chercheurs que j’apprécie et admire comme Jean Pierre Vernant et Marcel Détienne nous ont appris que la pensée mythique (de même que la divina¬tion) est loin d’être dépourvue de rationalité. Lévi Strauss l’a bien montré dans d’autres domaines que la Grèce, dans ses Mythologiques. Il s’agit toujours de rendre intelligibles l’être, la nature, le destin, bref, tout ce qui affecte les humains, à quoi il faut donner des noms, consacrer des récits, fournir des expli¬cations. D’une manière ou d’une autre. Il s’agit également de rendre raison, de justifier et légitimer telle ou telle organisa¬tion de la société.

A propos de Platon, j’aimerais vous citer quelques lignes du livre de Jean François Mattéi, professeur à l’Université de Nice, intitulé Platon et le miroir du mythe. Selon lui, les traits de la parole mythique s’opposent, terme à terme, à ceux de la parole dialogique (expression à laquelle il ne confère toutefois pas la même portée que lui donne Francis Jacques dans ses Recherches logiques sur le dialogue). Voici ce qu’écrit Jean François Mattéï : « La forme logique du mythe est le monologue, et non le dialogue ; son procédé rhétorique tient à la narration, non à l’argumentation ; la médiation symbolique grâce à laquelle il opère est l’image, et non le concept ; sa finalité épistémologique repose sur la vérité, non sur la vérification ; enfin la référence ontologique à laquelle il renvoie, comme en miroir, est la totalité du monde, et non la réalité singulière de la « chose » à laquelle le logos est naturelle¬ment articulé ». D’après tous ces critères, oui, on pourrait dire qu’une partie de la pensée de l’humanité aujourd’hui n’est plus d’ordre mythique, et qu’une partie préserve le mode d’expression mythique. Mais attention, le clivage partage chaque culture, chaque société, et passe à l’intérieur de chacun de nous. (Françoise Armengaud)

André Verdet dans son atelier (Photo Frédéric Altmann)

André Verdet et le mythe grec
A cette même question, reprend André Verdet dans ses notes, Jean-François Lyotard lors d’une rencontre à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence quelques semaines avant sa mort me dit que le mythe grec persistait heureusement toujours à vivre mais que nous l’avons hélas dévoyé sinon perverti détourné de ce sens magique si nécessaire pour vivre dans une certaine accomplie. (André Verdet)
Et c’est plus précisément à propos de Jean-François Lyotard qu’André Verdet posa la question du mythe à France Delville. J’ai trouvé amusant de suivre les méandres de cette réflexion à trois, décalée dans le temps et dans l’espace, au fil des rencontres… Et, d’une manière très logique, France Delville les filma tous les deux, André et Françoise, en 1992, en train de méditer à haute voix, ce qui donne un dialogue très intéressant, que nous projetons ici et là, comme ce sera le cas, le 19 décembre prochain à la Bibliothèque Nucéra, en présence de Françoise je crois.
Et Luciano Melis présenta ainsi son livre « Au-delà du seul à seul » :
Je suis heureux d’offrir au public les derniers manuscrits d’André Verdet.
Ces textes d’André Verdet constituent à mes yeux le plus beau testament philosophique qui soit. Fidèle à ses indignations de toujours comme à ses constants émerveillements, le poète nous conduit jusqu’à l’extrême de ses multiples quêtes.
Dans ces ultimes écritures, qu’il s’agisse de musique, de peinture, d’astrophysique ou de politique, chaque pensée-poème éveille à neuf notre conscience, notre questionnement.
La subtile connaissance de l’œuvre verdetienne de Françoise Armengaud a permis de classer et choisir ces textes inédits. (Luciano Melis)

André Verdet avec Robert Tatin, Galerie Alexandre de la Salle, Place Godeau, à Vence en avril 1963

André Verdet, 100 années d’étoiles…
Question « Centenaire », il ne faut pas oublier de mentionner le travail de compilation, et de réunion de textes et de photos de Daniel Ziv pour composer un album sur André Verdet qui est très ludique. Il s’intitule « André Verdet, 100 années d’étoiles, en vrac et dans de désordre, 1913-2013 ». Il y a des textes d’une vingtaine de personnes, mais, pour boucler la boucle, je vais citer celui de Frédéric Altmann, avec qui André, au sein du Groupe Bételgeuse, a donné tant de concerts :

André Verdet avec Arman et Michel Magne, Galerie Alexandre de la Salle, Saint-Paul, en juillet 1975 (Photo Gomot)

A l’occasion du centième anniversaire de la naissance d’André Verdet, il était normal de rendre hommage à un artisan artistique de notre région ... je dis artisan ! … car Verdet était loin du monde artistique industriel. Il a parcouru son existence avec générosité, j’ai aussi beaucoup de respect pour le résistant, le rescapé des « camps de la mort » de Buchenwald à Auschwitz ... il a toujours défendu nos libertés, humaines et artistiques. J’ai été présenté à André Verdet par Jacques Lepage en 1962 à l’occasion d’un récital poétique à Nice. Verdet, fut un artiste libre de vivre intensément dans le monde de la poésie, de la peinture. J’ai parcouru en sa compagnie des sommets, en 1995, nous avons fait un séjour prodigieux dans un « Rio Camp » à Akoné à quelques cent mètres du Mont Fuji, André était en admiration devant la montagne magique. Encore un beau voyage grâce à l’Ecole de Nice, dont il est un partenaire depuis ses débuts en 1967. André Verdet, c’étaient des amitiés avec Picasso, Fernand Léger, Henri Matisse, Marc Chagall, Hans Hartung, Fernand Léger, Georges Braque, Joan Miro, Alberto Magnelli, Yves Klein, Ladislas Kijno, Karel Appel, Paul Mansouroff, André Villers, Atlan, Arman, César, Jean Fautrier, Manfredo Borsi .... amitiés et écrits avec Jacques Prévert, Paul Eluard, Pierre Restany, Jacques Lepage, Jean Giono... Avec son groupe musical Bételgeuse, nous avons réalisé des disques, compositeur Gilbert Trem, récitants : André Verdet et Frédéric Altmann. (…) Rendre compte en quelques lignes de la vie et de l’œuvre de Verdet, c’est mission impossible. Mais simplement ceci : il a eu la générosité d’offrir ses collections à Carros, à Cagnes sur¬-Mer, à Saint Paul-de-Vence, à Cordes sur Ciel. La très belle médiathèque de Carros porte son nom.

André Verdet avec Arman et Tobiasse (Photo Frédéric Altmann)

En 1999, j’ai exposé André Verdet au Centre International d’Art Contemporain de Carros sur le thème : « Verdet Univers »... Une mini rétrospective des nombreuses facettes d’André Verdet. Autre couronnement : en décembre 2002 il reçut de la SACEM « Le Grand Prix des Poètes ». A l’occasion de son centenaire de nombreux livres et expositions sont en cours de réalisation, marques d’affection à l’édifice artistique Verdet. Sans omettre l’importante association « Les Amis d’André Verdet ». Son ami Pierre Restany écrivit cette phrase définitive : « Mon cher André, tu n’en finis plus. Ton énergie est illimitée. Ton verbe défie le temps pour embrasser l’éternelle vérité de ceux qui tissent, à la manière d’un écheveau sans fin, la grandeur de la vie à travers celle d’une époque. Ton ami qui t’embrasse affectueusement. Pierre Restany » (Frédéric Altmann)
Qui dit mieux ?

« Vitrification « (1966) dans le catalogue de l’exposition « Ecole de Nice ? » (1967) à la Galerie Alexandre de la Salle, Place Godeau, Vence

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