| Retour

Maggy Kaiser, peintre des Espaces

Irruption de la part manquante chez Maggy Kaiser

Nécessité intérieure… vertige… cette œuvre si nette, faite d’incises, trouble, comme si les formes, les brisures, venaient de loin, rapportaient quelque expérience presque trop forte…
En 1999, dans mon catalogue « Paradoxe d’Alexandre », sur Maggy Kaiser, Avida Ripolin avait écrit un texte qui semble écho à cela :
Géométrie presque dès le début, huile, dessins, gouaches, céramiques, etc. y compris à l’époque où la lecture de Jung l’enferme (dit-elle) dans le mandala, comme si le clos de la forme la faisait chuter jusqu’à la perte de soi, dans le Soi. Sensation aussi de la caverne platonicienne, ou la lumière vient de l’extérieur. Cesse-t-elle d’être perçue, et donc peignable ? Quelque chose se cassa, Maggy parle d’étincelle, d’exorcisme, de cassure du « moi »... rupture ouvrant au monde ? ouverture au sens de l’opéra : initier une autre période, ou l’incertitude libèrera... ne plus savoir, ne plus prévoir... une atteinte à l’imaginaire intégrité du corps libéré (de) toutes les représentations. L’irruption de la part manquante dans le dessin (dessein) est peut-être une sorte d’inattendue « circoncision ». Le travail récent de cercles fractures sur ordinateur confine à un autre vertige... (Avida Ripolin)

Œuvre récente en peinture acrylique

Ascète de la peinture

Maggy Kaiser intéressa des galeries allemandes, la Galerie du Parc (Contemporary fine art) de Braunschweig, où elle exposa en février 2004 avec le sculpteur Emma de Sigaldi (des images de cette exposition ont été insérées dans le second clip), et aussi la galerie Clasing de Munster. En France, récemment, la Maison des Arts de Carcès, qui lui fit une exposition personnelle en avril 2010, cela avait commencé en 2001 avec « Peintures –Inauguration », s’était poursuivi en 2002 avec « Maggy Kaiser - 50 ans de peinture » et 2003 : « L’eau et le feu ». Maggy fit partie des sept artistes, dont Alberte Garibbo et Jacques Lavigne, avec lesquels furent fêtés les « 5 ans après » de la Maison des Arts. Christophe Cadu-Narquet, le directeur, et Patrick Rosiu, artiste et critique d’art, en avril 2005, dans la plaquette éditée à l’occasion, s’entendirent pour écrire : « Maggy Kaiser apparaît comme une ascète de la peinture qui travaille cinq heures par jour. Exemplaire, elle a fait don de son être à la peinture, et, par-dessus tout, elle possède cette faculté de se remettre en question. Hésitant sur tout, même sur ses mots ».

Acacia

A la Chapelle de l’Observance, de Draguignan, du 6 juin au 23 juillet 2010 eut lieu l’exposition de ses œuvres récentes, et, pour la circonstance, Roland Laurette, sous le titre « Maggy Kaiser ou la quête de l’infini… », écrivit :
De l’ile de Santorin dont le volcan a explosé seize siècles avant notre ère, il ne reste que quelques témoins, quelques moignons qui émergent à peine parfois de la surface de l’eau. Ces débris laissent deviner quel fut avant la catastrophe le dessin circulaire du cratère. Ainsi, des traces de mondes disparus dans un désastre qui fut brutal ici, qui sera presque imperceptible ailleurs, disent que l’engloutisse¬ment est l’universelle finalité. Mais les bribes éparses disent aussi dans leur silence, la lutte fondamentale entre désir de porter vers le futur le témoignage de ce qui fut, et tentation morbide d’être englouti à son tour.

Vous qui passez devant ces toiles de Maggy KAISER, ne vous contentez pas d’un regard rapide et superficiel. Au contraire, soyez attentif à ce qui va se passer en vous. Ce qui aura pu vous apparaitre d’abord comme un ensemble virevoltant de formes colorées et simplement décoratives va peu à peu se révéler. Sur ces fonds apparemment opaques, un espace va se creuser comme chez les vieux maîtres florentins, Paolo Uccello ou Brunelleschi, il va entrer en vibration, les formes du premier plan vont se mouvoir dans leur aérienne légèreté. Maggy Kaiser dit avec un rien d’humour, la légèreté c’est l’apprentissage de l’âge… : « Vous verrez ces formes comme aimantées parfois par un invisible point. Et, si vous êtes encore plus attentif, vous devinerez que ces focs lumineux, ces éclats de couleur sont les vestiges d’objets antérieurs que le temps a fait disparaitre pour n’en laisser que des quintessences. La courbure de telle ligne mince vous dira qu’elle rappelle l’ancienne sphère qui gravitait là ; vous découvrirez telle trace de sinopie révélant les structures premières ». [1]

Œuvre récente en peinture acrylique

Les « œuvres récentes » de Maggy KAISER matérialisent une étape décisive dans un travail de création entrepris dès les années 1946. De ruptures en mutations, du figuratif à l’abstrait, de la période noire issue des cultures germaniques à la période blanche générée par la lumière du midi, de l’influence fondatrice du sculpteur Coutin à celles de Vieira da Silva puis de Magnelli, cette création avance, elle chemine vers ce moment ci, cet état de l’œuvre qui nous est présenté aujourd’hui et qui est une sorte d’aboutissement, on a failli écrire, de naissance...
On finit par le saisir et on en est bouleversé. Un grand peintre fait de nous ce voyeur qui assiste à un spectacle d’une intimité absolue.
Les formes géométriques si fortement amalgamées jusque là ont explosé. Il n’en reste que des débris légers, avides d’espace. Ou plutôt, d’infini. Dans un effort de purification et d’affranchissement, les vieux mondes, les anciennes sphères, les galaxies qui tourbillonnaient depuis le début des années 2000 ont disparu. Il en reste ces réminiscences, ces vestiges si manifestement aspirés vers le haut, vers ce point de tous les mystères. Ils pourraient s’écrier avec la muse du poète des « Nuits » : « Mon aile me soulève au souffle du printemps. Le vent va m’emporter je vais quitter la terre ».
Ces fonds qui vibrent malgré leur régularité de champ labouré, ces voiles qui se gonflent, ces éclats qui se brisent à leur tour, tout annonce et prépare l’accès métaphysique à une autre dimension. Au-delà de la géométrie euclidienne, la courbure des sphères devient celle de l’espace temps.

Œuvre récente en peinture acrylique

Nul ego dans cette peinture : tout est rigueur. Nul lyrisme : tout est méditation et attente... Par une série de variations des rouges, des bleus notamment on va de nuance en nuance, vers le ton juste, celui à partir duquel tout respire dans l’accord parfait des harmoniques. On peut désormais tenir le point d’orgue ... Alors, en fin de parcours, on méditera devant cette toile au jeu de cercles concentriques un peu tremblés mais on n’aborde là qu’en tremblant ce puits ou convergent le temps et l’espace, ce « puits de haut silence ». [2]
Comme l’oracle de Delphes, Maggy KAISER « ne parle ni ne cache, (elle) fait signe ». (Roland Laurette)

Œuvre récente en peinture acrylique

TransArtcafé et Maggy Kaiser

La galerie « TransArtcafé », à Antibes, a aussi présenté les œuvres récentes de Maggy Kaiser, en mai-juin 2010, reprenant sur son affiche la formule de Monique Fuchs selon laquelle « l’abstraction chez Maggy Kaiser est exigeante mais n’exclut aucunement l’expression d’une sensibilité, d’une émotion personnelle justement libérée par l’abstraction, la réalité extérieure influence sa palette mais est étrangère à l’essence même de son questionnement ». C’est effectivement une belle synthèse.

Affiche de l’exposition à “TransArtcafé”

Présence de Maggy Kaiser

Dans les années 1990, Maggy Kaiser fut donc exposée chez moi, en permanence, et aussi dans quelques expositions. Sa présence aux manifestations est notable : Maggy était toujours intéressée par les œuvres et les gens. Mais sans concessions. Ouverte à toutes les hypothèses, mais ramenée sans cesse à sa propre rigueur. Et elle est toujours ainsi, aujourd’hui. Maggy écoute les questions, réfléchit, répond ou pas, rien n’est jamais convenu, superficiel. Maggy a cherché à penser le monde toute sa vie, elle a fourni, pour elle-même et éventuellement les amateurs d’art, des solutions successives, mais jamais en se trahissant. Ce n’est pas qu’elle soit indifférente à la réaction d’autrui, mais il est évident qu’elle n’a obéi qu’à la « nécessité intérieure » selon Kandinsky. Sans le chercher, d’ailleurs : elle est comme cela, un roc. Qui a pu douter, et même beaucoup, mais le doute est l’un des ressorts de la pensée. En Italie elle a rencontré l’idée que la peinture était « cosa mentale ». Mais c’est certainement sur ce mode que déjà elle fonctionnait, et sans doute n’a-t-elle fait que s’y reconnaître, dans cette proposition que la peinture sert à penser le monde. Et au-delà des mots justement, qui parfois tournent en rond. Là, avec la peinture, avec la forme, les formes, les couleurs, les matières, surgit une incontournable immédiateté. Et il ne s’agit pas d’images, non plus, de « représentations »… mais plutôt de « restitutions », directes, implacables, de ce que le passage d’un fragment d’espace-temps a déposé l’espace d’un éclair (qui prend ensuite son temps, à la sueur du front pour être offert au visible), chez un individu. ON peut parler de révélation au sens photographique. Comme si la peau du monde venait se déposer à la surface. Et Maggy aura posé – déposé donc - un certain nombre d’hypothèses sur une constitution des lignes directrices invisibles mais agissantes. Cela s’appelle la structure. Et la peinture de Maggy fait rêver sur des possibilités diverses d’interpénétrations de mondes où les structures, justement seraient diverses. Une sorte de science-fiction, de fictions, en tous cas, sur des « mondes possibles ». Mondes intérieurs qui seraient peut-être – qui sait – l’intuition d’une diversité de formules encastrées… Selon les époques de sa peinture, c’est bien d’hypothèses de structures qu’il s’agit, comme on joue, enfant, à inventer des « habitats » provisoires au rêve. Si Maggy a lu Jung, ce n’est pas pour rien, en dehors des mandalas et formes savantes qui l’ont intéressé, Jung a fait l’éloge du jeu de cubes, de l’empilation de cubes de son enfance, qui l’auraient incité à sculpter. Le mot « itinéraire » convient bien à Maggy, car son œuvre est balisée de découvertes qui s’engendrent les unes les autres, en la « commandant ». ce n’est pas elle, qui commande, mais la Logique de la Forme, qu’elle a accueillie. Son « oui » nietzschéen à l’alchimie plastique est émouvant. Et ce n’est pas étonnant que cette Fondation, près de Münster, soit en train de se construire autour de son œuvre. Son œuvre, ainsi, dans le futur, offerte à la méditation.

pub