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Musée Rétif : Une grande histoire du geste

Un homme s’élance. Puis deux. Puis trois. Multiples et semblables à la fois. Corps figés, corps animés. De ces figures humaines photographiées au siècle dernier par Etienne-Jules Marey subsiste un héritage fabuleux, dont la paternité fit les prémices du cinématographe. « La mémoire du geste » expose jusqu’au 30 Mai au Musée Rétif de Vence Gérard Guyomard, Gérard Le Cloarec et Vladimir Velickovic, trois noms pour trois artistes hors des cadres, héritiers et précurseurs d’un art plutôt mouvementé.

Etienne-Jules Marey n’est pas photographe, et pourtant les clichés qu’il réalise -où chaque geste a valeur d’étude- signifient plus qu’une simple observation du mouvement humain.

L’espace d’exposition du Musée Rétif
Photo B.Goguillon pour ACA 2010

Dès 1882, il pose le premier jalon d’un long cheminement vers l’animation des images. S’inspirant du pistolet photographique de l’astronome français Jules Janssen, Etienne-Jules Marey mise sur ce qu’il nomme « chronophotographe », un appareil étrange qu’il réalise en s’équipant d’un objectif unique, mécanisme astucieux permettant une douzaine de poses en simultané. Et qui s’animent une fois superposées. Magique ? Pas vraiment, si l’on considère que la technique photographique y est pour beaucoup.

Novateur ? Oui, définitivement. Ainsi, le chronophotographe donnera -involontairement- naissance à un tas de petits enfants à l’avenir prometteur : cinéma, animation, vidéo, télévision.

Cet univers médiatique en devenir, c’est ce qu’évoque l’exposition « La mémoire du geste ». Ici et là, séries de clichés anciens et peintures d’aujourd’hui se croisent et parlent d’une histoire commune. Du 2 Mars au 30 Mai 2010, le Musée Rétif (Vence) expose ainsi trois peintres dont les thématiques rejoignent pour chacun une composante de l’œuvre d’Etienne-Jules Marey. De ces mouvements, gestes, superpositions et décompositions, Guyomard, Le Cloarec et Velickovic font naître l’inspiration sans se départir d’un langage pictural bien à eux.
De l’intervention des « pixels » de couleur (Gérard Le Cloarec), aux figures foisonnantes et collages pop (Gérard Guyomard) jusqu’à cette expressivité tragique du mouvement décomposé (Vladimir Velickovic), ils innovent, surprennent. Et dérangent. Aujourd’hui pourtant, ces travaux inspirent à leur tour une génération numérisée, et dont les outils informatiques se substituent aux pinceaux traditionnels. Présentation.

Chaos Pop

Si l’exposition n’impose pas de cheminement particulier, chaque artiste étudie le mouvement, cher à Etienne-Jules Marey. Pour Gérard Guyomard l’essentiel est dans la superposition. Il diffère de son prédécesseur par le médium tout en rappelant à quel point la photographie (qu’il utilise également) signifie ce passage intermédiaire entre image fixe et animée, magie d’un moment furtif.
Dans ses œuvres, un monde pressé se dessine, humanité à la fois semblable et différente : « J’étais à Paris dans un café et je voyais les gens sortir par vague du métro. Les gens montaient, je me suis dit ça, c’est intéressant ! Je voulais faire de même pour ma peinture, exprimer cette foule, ce mouvement constant. J’ai donc pris mon appareil photo pour reproduire ces vagues, et j’ai accumulé successivement les prises de ces gens qui sortaient du métro. Je les ai fait développer et superposer sur la toile ».

Oeuvre de Gérard Guyomard- Trodinfotulinfo N°5 2009
photo : B.Goguillon ACA 2010

Gérard Guyomard s’inscrit dans une démarche plasticienne. Il lui est fidèle depuis ses débuts, surtout lorsqu’il peint à nouveau sa « Madonna » en 2008, patchwork décliné entre peinture et photographie. L’artiste reconnaît l’influence pop qui prône dans ses oeuvres, mais se démarque pourtant de la « coca-cola attitude » en produisant une œuvre personnelle, européen pure souche observant Big Brother et ses penchants consuméristes. Les thèmes révélateurs du travail d’Etienne-Jules Marey, de l’étude du corps et du mouvement humain à la révélation d’une technique innovante, Guyomard les accepte et les adopte. Son tableau « Trodinfotulinfo » semble être l’incarnation de cet art figé qui s’anime soudainement, dans un chaos révélateur et représentatif d’une société abreuvée d’informations désinformées, vides de sens.

La Chute Programmée

Quant à Vladimir Velickovic, voilà devant nos yeux des peintures grands formats aux « mouvements tragiques ». Ces corps sans visages qui s’élancent pour irrémédiablement accuser la chute trouvent leur résonnance dans une vie passée.

Vladimir Velickovic et "La grande poursuite" (255X644) 1986
© B.Goguillon pour ACA 2010

Des atrocités commises par les nazis en Yougoslavie, il en retient une vision éphémère et saccadée de l’existence : « Une de mes œuvres s’appelait « la descente » alors que l’on voyait l’humain monter des marches. Je pense que l’on finit toujours par chuter, que cela soit en pente douce ou brutale. C’est une vision nourrie d’une expérience. Pour moi la couleur noir/blanc, semblable aux clichés de Muybridge, -avec le rouge de la violence- signifient la course, la poursuite, la chute ».
Lorsque l’on passe d’un foisonnement de couleurs pop - des tableaux de Gérard Guyomard - à l’observation de l’humain dans toute sa tension par Vladimir Velickovic, le dépaysement est assuré. Dans le placement logique des œuvres que propose l’exposition du Musée Rétif, on remarque une cassure bien définie d’avec l’œuvre du peintre yougoslave : à la fois couleur et noirceur, superposition et détachement précis des sujets, tout ce qui, pour le peintre, s’apparenterait davantage aux travaux d’Edward Muybridge.
Sans renier l’influence d’Etienne-Jules Marey, Vladimir Velickovic trouve une résonnance dans la décomposition, étape par étape, du mouvement humain.
Comme une ironie du sort, le sujet apparaît comme figé sur la toile mais suivant une progression imparable, s’anime de violences, couleurs crues et sans concessions, pour finir inexorablement par tomber. Fuite sans fin, toujours stoppée par la figure de l’ennemi : alors en pleine ascension, le corps subit toute l’horreur du monde. Ces œuvres se détachent du geste en peinture de Gérard Guyomard et Gérard Le Cloarec, où la création artistique a toujours ce côté pop et foisonnant.
Ici, le mouvement est négatif, étouffant, mais essentiel à la vie. Ces forces contradictoires qui s’entrechoquent font naître de l’œuvre de Vladimir Velickovic une beauté violente et rythmée, où même la chute a quelque chose d’émouvant.

Surfaces Sensibles

Pour parler de Gérard Le Cloarec, il faut évoquer ses « pères ». Pierre Restany, Francis Bacon. L’un est critique d’art, chantre du nouveau réalisme, tandis que l’autre peint magistralement visages et corps déformés. Tous deux font office de roc pour l’artiste, qui, face au courant violent des abstractionnistes, se sent différent et déjà trop en avance sur son temps.

Gérard Le Cloarec au "Centre de la nébuleuse" (130X195) 2009
© B.Goguillon pour ACA 2010

La base du travail de Gérard Le Cloarec se situe dans la couleur, et dans l’expression de ces milliers de tâches de couleurs. Il le dit lui-même : « Ma démarche est optique. La peinture me permet de fixer mon objectif, puisque la couleur me permet de me concentrer sur un point en particulier et de faire dans le même mouvement un portrait d’ensemble. C’est Pierre Restany qui parlait de pixel en folie ! ».
L’informatique est encore balbutiante. En peignant un patchwork de mots, de touches de couleurs, Le Cloarec ne perd pas le nord et devient le véritable précurseur d’un art aujourd’hui numérique, et dont les portraits que l’on se dresse de soi-même sur le réseau social Facebook -à partir de photos, textes, symboles, etc.- ne sont qu’un infime exemple parmi tant d’autres.
« L’intérêt est de composer l’image en petites images, car si l’on s’approche on voit tout ce qui fait le tableau et si l’on s’éloigne, on a une vue d’ensemble, de personnages ou de portraits. Ce jeu pictural impose un mouvement à l’œil car notre regard ne peux pas absorber, il doit s’adapter. La persistance rétinienne fait que l’on perçoit l’œuvre d’une manière ou d’une autre. Moi-même le soir lorsque je rentre après une journée de peinture, je suis complètement cassé et je dois réhabituer mon regard. Pas besoin de pétard, la peinture ça suffit ! (rires)… »
Les tableaux de Gérard Le Cloarec rejoignent les démarches scientifiques d’Etienne-Jules Marey, qui en son temps, cherchait à expérimenter ce qui ne se voyait pas. Le peintre, quant à lui, nous fait tourner de l’œil, lorsque l’on observe les multiples détails des portraits de Charles Baudelaire, Francis Bacon, ou Ray Charles.

De ces trois artistes l’on retiendra l’importance du geste, expérimenté par un mélange des genres (photo/peinture/écriture) qui fit quelques couacs dans les années 60. Hors des cadres, ni abstractionnistes ni surréalistes, de la figuration narrative, ils se disent seulement observateurs, puisqu’alors trop jeunes pour y avoir participé.

Et si Claude Guibert, Commissaire de l’exposition, tenait tant à exposer au Musée Rétif, c’est qu’en remontant la pente de l’histoire, Il lui fallait faire toute la lumière sur ce moment où s’animent les œuvres de Guyomard, Le Cloarec et Velickovic. Et pour cela, l’espace du Musée Rétif s’y prêtait diablement bien.
Murs d’un noir absolu, colonnes luminescentes, cloisons abattues… D’ailleurs, une seule pièce subsiste encore, entourée de rideaux d’un rouge sombre. On peut y voir des vidéos reprenant les étapes majeures du travail d’Etienne-Jules Marey et de ses successeurs. Belle manière, donc, pour Claude Guibert, de rappeler à tous l’histoire du geste, en se basant sur sa précédente installation : « L’exposition Bandes à part (Palais Bénédictine à Fécamp, 2006) m’ a inspiré la mémoire du geste », nous confie t-il. « Il était question de notion de chambre photographique, l’inversion, donc, du thème actuel puisque les peintres reprenaient l’appareil photographique et le représentaient sur la toile. Puis est née l’idée d’une représentation de ce passage de l’image fixe où l’on voit la photographie figée à une peinture mettant en scène le moment où l’animation prend vie. Pour certains ce moment n’existe pas. Pour moi, oui.

C’est cet intermédiaire que l’on peut voir en peinture qui m’intéressait. Et chacun des trois artistes exposé a trouvé la possibilité de le faire. »

Mme et Mr Rétif
© B.Goguillon pour ACA 2010

L’histoire du mouvement, des premières études photographiques (Etienne-Jules Marey, Edward Muybridge) aux inspirations contemporaines, se résume donc en une exposition brillamment orchestrée. Dans un espace dédié à l’art d’hier ou d’aujourd’hui, les propriétaires du lieu, Mireille et Philippe Rétif, le Commissaire d’exposition Claude Guibert ainsi que les artistes eux-mêmes donnent à comprendre cette étape majeure vers l’animation, de ce qui engendra notre société actuelle, grande amatrice de média en tout genre. Un très beau cadre pour de très belles œuvres : là où l’histoire du geste se révèle, l’exposition nous la rend mémorable.

À retenir.

Vidéo de l’inauguration de l’exposition

Découvrez "La mémoire du geste", la peinture en mouvement au musée Rétif sur Culturebox !

Informations pratiques :

www.museeretif.com

- Note de la rédaction : retrouvez dans notre rubrique LIEUX d’EXPO / Musée/ Musée RETIF une présentation plus complète du Musée ainsi que des vidéos !

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