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Des Niçois prophètes en leur pays

Le tramway à Nice : qui aurait imaginé voici seulement quelques années que la ville du sud au stationnement anarchique, aux embouteillages fiévreux et habituée au concert de klaxons et aux trottoirs surchargés, allait connaître cet apaisement soudain, cette métamorphose en une cité radieuse aux grandes perspectives tranquilles ?

Pourtant, le miracle s’est produit et les râleurs se sont tus.
Ouf, on respire … Et en plus, l’art est entré dans la ville. L’art contemporain, qui plus est, et non des moindres.
Sélectionnés par un comité d’experts, de grands noms internationaux ont été retenus, la plupart habitués à travailler dans l’espace urbain, comme le catalan Jaume Plensa.
218 candidatures sont venues du monde entier, le choix final ayant été fait par les politiques locaux, unis pour l’occasion.
Le tramway est donc le "bébé" autant de la ville de Nice que de la communauté d’agglomération, des directeurs des musées locaux que d’experts des ministères de la culture et de l’équipement.

Et les artistes niçois, dans tout ça ?

Si beaucoup se sont sentis rejetés - nul n’est prophète en son pays ? - quelques-uns ont eu la chance d’être parmi les heureux élus : un tiers d’artistes locaux était le chiffre annoncé. Ils sont quatre sur douze : pari tenu.

L’artiste niçois Ben a été un des 4 lauéats "locaux"
©Tous droits résérvés

Parmi eux, l’incontournable Ben Vautier

Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Ben le Suisse né en Italie de mère occitano-irlandaise et de père suisse francophone, est plus niçois que les Niçois.

Choisir Ben pour la calligraphie du nom des stations, c’était une idée évidente
©FCanarelli
Y ajouter des "pensées", sous chacun des 42 abris voyageurs, encore fallait-il y penser !
©FCanarelli

Choisir Ben pour la calligraphie du nom des stations, c’était une idée évidente. Y ajouter des "pensées", sous chacun des 42 abris voyageurs, encore fallait-il y penser !
- "Pas d’art sans liberté, regardez le ciel, tous formidables, le temps est illimité, la solution existe, ne pas faire semblant, penser à sourire , tous ego, je doute de tout …
Entre évidences, injonctions et réflexions … à chacun d’y prendre ce qui lui plait.

Michel Redolfi a voulu "magnifier l’effet de glisse du tramway"

Confier les annonces sonores à un musicien contemporain originaire du Sud, voila une idée plus inattendue.
Michel Redolfi, connu pour avoir inventé les concerts sous l’eau au milieu des années 70, vit et travaille depuis 1999 à Beaulieu sur mer, où il a ouvert son studio personnel nommé Audionaute.
C’est là qu’il a créé ces fameux "sonals" (on dirait jingle en anglais), avec un luxe de variations pour "éviter la répétition qui lasse les usagers".
Des sonals pour identifier chaque station, pour le jour et la nuit, pour le week-end, pour l’été ou la fin de l’année …
Tram festif ou apaisé, vivifiant ou international, réconfortant ou solaire - Michel Redolfi s’est montré très créatif pour "magnifier l’effet de glisse du tramway".
Né à Marseille en 1951, Michel Redolfi fait des études musicales classiques, avant de se tourner vers la création électroacoustique.
A 22 ans, il part pour la Californie poursuivre ses recherches universitaires : c’est là qu’il invente ses fameuses musiques "subaquatiques".
Onze ans plus tard, il est à Nice pour diriger le Centre national de Création Musicale (CIRM) puis le festival Manca (jusqu’en 1998).
Mais comme il ne veut pas s’enfermer dans une bulle élitiste, recherchant plutôt les "larges audiences", il se lance dans la conception sonore pour les espaces publics : Parc de la Villette, Cité des Sciences et de l’Industrie, Fondation Maeght, parc de la mer Marineland, expositions universelles de Séville et de Lille, Nuit Blanche de Paris et Biennale de Venise …

Dans les entrepôts de la Ville, ils découvrent de vieux réverbères urbains de toutes les époques, d’où l’idée de les assembler en une "Composition exubérante de réverbères hybrides, résurgence de la mémoire urbaine"
©EricBoizet

Pascal Pinaud et Stéphane Magnin, unis pour garder la mémoire urbaine

Tous deux professeurs à la Villa Arson, ils sont de la même génération (nés au milieu des années 60) et ont des pratiques artistiques proches.
Pinaud travaille sur les motifs décoratifs des années 70 et Magnin revisite les années 60 et 80. Pinaud "vole des savoirs-faire dans différents mondes, se les approprie et les réinjecte en questionnant les moyens de la peinture", tandis que Magnin "manipule et contamine des références hétérogènes - la science fiction par exemple - en leur attribuant un aspect critique".
Ayant répondu tout seul à l’appel d’offre, Pascal Pinaud choisit ensuite de travailler avec son collègue pour un projet sur le Mail des deux futures universités, à la station St Jean d’Angely.
Dans les entrepôts de la Ville, ils découvrent de vieux réverbères urbains de toutes les époques, d’où l’idée de les assembler en une "Composition exubérante de réverbères hybrides, résurgence de la mémoire urbaine".
Au final, trois mois de travail pour eux et l’aide de l’entreprise Labbé chargée du nettoyage, de la restauration, peinture et assemblage, pour un budget de production de 100.000 euros.
Récup’ et aussi économie d’énergie grâce à l’emploi d’ampoules basse-tension (de 30 watts au lieu de 300, et qui durent 12.000 heures), la note écolo n’est pas oubliée.

La composition de Pinaud et Magnin tous deux profs ? la Villa Arson
©FCanarelli

Avec ces 31 mâts de hauteurs différentes, 100 boules sur 14 emplacements, disposés "comme des bouquets de fleurs", ont-ils réussi à créer "un décalage, une impression de basculement dans un monde étrange" ?

Aux usagers d’en décider !

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