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Mythes d’hier, légendes d’aujourd’hui

Dédié à la mémoire argentique de celui qui côtoya Picasso, Prévert et les autres, le Musée de la photographie André Villers s’est ouvert depuis 2000 sous l’impulsion de son directeur à la création émergente.

Installé au cœur d’un village de charme sur les hauteurs cannoises, le Musée de la photographie André Villers demeure l’un des lieux d’art les plus atypiques de la région.

- Partagé entre les « prises in vivo » d’André Villers qui approcha le gotha des artistes en Riviera, et des expositions contemporaines audacieuses, ce musée galerie cache bien son jeu derrière sa façade rustique !
- Pouvait-on d’ailleurs trouver meilleur endroit pour rendre gloire à l’invention de Nicéphore Niepce que Mougins dont la qualité de la lumière attira une pléiade d’artistes : Picasso (qui y passa ses quinze dernières années), Cocteau, Fernand Léger, Paul Eluard, Man Ray, Winston Churchill, Edith Piaf, Jacques Brel. Mougins a toujours entretenu des liens étroits avec le monde artistique et culturel. Guère étonnant dès lors d’y trouver au coeur de ses venelles médiévales un musée qui cultive avec autant de ferveur le passé, le présent et l’avenir de la photographie !

- Cela peut paraître paradoxal en 2008, mais, alors que l’image fait rage de toutes parts, cet établissement demeure le seul du département dédié à cette discipline, avec le Théâtre de la photographie Charles Nègre inauguré à Nice il y a 9 ans.

Une question de rencontres

© J-Ch. Dusanter

Créé en 1986 sous la direction d’André Villers, le Musée de la photographie de Mougins devait s’ouvrir plus largement aux photographes contemporains avec l’arrivée d’Olivier Lécine. Un directeur qui après avoir passé une licence en histoire de l’art a suivi un parcours atypique. Né à Cannes, à l’age de 17 ans il part pour Reims où il gère un café-concerts pendant quatre ans, puis s’envole à Toulouse. Dix ans après il revient au bercail.
- En fait comme Villers qui, en convalescence au centre Héliomarin de Vallauris, rencontra par hasard en 1953 Picasso dans la rue, Olivier entra en contact avec Villers de façon toute aussi fortuite : « je l’ai rencontré pour la première fois en 1990 chez lui. C’était le voisin d’un ami, il me donna alors un de ses collages. Ce fut pour moi une sorte de porte-bonheur dont la magie opéra dix ans plus tard ».

Car c’est avec le nouveau millénaire qu’Olivier Lécine intègre le Musée via le dispositif emploi-jeune : « à l’époque il n’y avait pas vraiment de directeur alors pendant quatre ans j’ai endossé un peu tous les rôles. André Villers, directeur artistique, m’a confié les clés et les cimaises tout en gardant un droit de regard. Grâce à lui j’ai pu impulser un nouvel élan et orienter progressivement le Musée vers la création actuelle ».

« La singularité du photographe, la diversité des propos »

Olivier Lécine Directeur du Musée André Villers
© J-Ch. Dusanter

Olivier commence par accueillir des photographes plasticiens de la Villa Arson. Autour d’un cycle baptisé « Signer sans voir », Julien Bouillon, Cynthia Lemesle et Philippe Roubaud, Stéphane Steiner ou encore Aicha Hamu investissent successivement le lieu. Parallèlement celui qui revendique « la singularité du photographe, la diversité des propos » invite des artistes français et étrangers, alterne tirages couleurs et noir et blanc, passe du monde intimiste à la découverte du monde. Et tandis que le troisième niveau du Musée déploie l’œuvre d’André Villers et de quelques autres illustres portraitistes, les deux premiers étages accueillent au rythme de quatre expositions temporaires annuelles, des regards actuels très différents. On se souvient des éblouissements impressionnistes d’Anne-Lise Large sur le corps féminin, des clichés en ombres charbonneuses et lumière neigeuse sur la Mongolie de Laurent Chardon, d’une autre exposition croisant plusieurs visions de l’architecture, ou encore de l’hommage rendu à Chiara Samughéo qui fixa sur la pellicule le tout Cinecita durant l’âge d’or de la dolce vita. Une approche éclectique offerte par des photographes confirmés ou émergeants qui au lieu de trancher avec les portraits d’André Villers prolonge au contraire l’émerveillement, redonne du sens à la fonction plastique du 8ème art.

Quand Villers croise Ben

- A l’origine de cet engagement, le vif intérêt que porte Olivier Lécine, 36 ans, à la création actuelle tout comme à leur géniteur : « j’ai besoin que la rencontre se fasse, car derrière l’œuvre, il y a une personnalité. Je procède souvent par coup de cœur. Delphine Tomaselli en fut un. Je l’avais découverte lors d’une exposition collective, je l’ai invitée ensuite en solo. Ce que j’aime chez cette artiste c’est la qualité de son regard quel que soit l’exercice pratiqué. Elle intégra encore en septembre notre exposition sur la Génération.C dans le cadre du Festival des étoilés de Mougins ». Delphine fut également conviée à réaliser en 2006 le catalogue de l’exposition « Les limites de la photo ».

Ben lors de l’exposition "Les limites de la photo" (avec le bras d’olivier Lécine qui tient le revolver)
© D.Tomaselli

Un accrochage qui devait marquer un autre virage dans la trajectoire du Musée : car c’est à l’occasion de ce vingtième anniversaire que le Musée revint officiellement à sa source et fut rebaptisé le Musée de la photographie André Villers. - Afin de célébrer l’événement Villers choisit de croiser son regard avec celui de Ben. « La rencontre de ses deux personnalités que tout semble opposer était déjà une performance artistique en soi. Alors qu’André sait se faire le complice du silence pour mieux dévoiler l’autre, Ben l’extraverti lui déploie sa présence par ses mots, ses provocations ».Un challenge qui ne fut pas pour déplaire à Olivier Lécine qui se prêta lui-même au jeu de certains clichés exposés tout en conservant son anonymat. Pour l’anecdote la main armée d’un revolver qui braque Ben Vautier, c’est lui !

Oeuvre photographique du photographe Olivier Mark pour l’exposition "Portaits" en 2003
Courtesy Musée André Villers de Mougins

Après avoir exposé en décembre le travail de deux photographes oeuvrant autour de l’Hôtel Provençal en voie de rénovation, Olivier qui reconnaît « être bon public mais exigeant sur la qualité » présentera début 2009 un autre de ses coups de cœur : « Catherine Larré était déjà apparue dans une de nos expositions collectives. Elle mettra cette fois à contribution des élèves de la région afin de créer son univers onirique fait de décors dans la nature ou à l’inverse de nature en studio. Avec Nicolas Guilbert nous aborderons le rapport de l’homme avec l’animal, du chien de compagnie à la taxidermie ». Tout un programme que pourrait envier à Mougins certaines galeries privées. Mais c’est là que résident toute l’originalité et le succès de ce Musée municipal qui, soutenu par le Maire de Mougins Richard Galy et son Adjoint à la culture Michel Bianchi draine 25.000 visiteurs par an (près de deux fois sa population). De quoi lui valoir à terme d’intégrer un autre espace plus vaste au cœur du village ? C’est en tous cas tout le vœu le plus cher de son jeune et dynamique directeur !

ANDRE VILLERS : de Picasso à Prévert

André Villers et Pablo Picasso
Courtesy Musée André Villers de Mougins

Né en 1930 à Beaucourt, André Villers fait son apprentissage avec Pierre Astoux et réalise en 1952 ses premiers clichés sur les traces de Cartier-Bresson, Brassaï, Edouard Boubat. L’année suivante, il rencontre à Vallauris, Picasso qui lui offre son premier Rolleiflex : « c’est moi qui t’ai mis au monde » lui dira plus tard le peintre qu’André immortalisera dans son atelier comme au quotidien. En tous cas, ce sont des milliers de photos qui furent réalisés jusqu’à la mort de Picasso en 1974. Villers restant fidèle à cet exercice consacrera sa carrière aux portraits d’artistes : Jacques Prévert, Ionesco, Salvador Dali, Marc Chagall, Fernand Léger, Jean Cocteau, Frederico Fellini, Le Corbusier, Jean Arp, Michel Butor… Mais c’est Picasso qui présentera André Villers à Prévert, alors qu’il n’était encore qu’un tout jeune photographe. Une amitié se nouera avec le poète ainsi qu’une complicité artistique qui débouchera sur un album baptisé « Diurnes ».
- Ces collages superposés à des paysages et visages saisis par Villers influenceront un travail plus personnel exposé à Mougins, fait de collages, pliages, photogrammes et recueils d’ombres.

André Villers
Courtesy Musée André Villers de Mougins

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