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Chronique 9 (part IV) : Chronique d’un galeriste...

Suite de la chronique d’Alexandre De La Salle entamée mercredi...

Alexandre de la Salle – J’avais oublié ce tract, écrit par Pierre Restany, le 29 mai 1969, où il dit :
« A propos du Festival Non Art, anti art, etc… »
et, encadré :
« Une goutte d’encre rouge de PINONCELLI vaut tout le sang de Ben ».
et plus bas :
« Pauvre Ben
Ben pensant toujours dépassé » (Pierre Restany, 29 mai 1969)

Tract de Pierre Restany du 29 mai 1969
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Frédéric Altmann – L’Ecole de Nice, ça a été d’abord un duel permanent ?

Alexandre de la Salle – On pourrait presque dire que ce qui caractérise l’Ecole de Nice c’est la méchanceté, mais on peut plutôt voir ça comme ce rapport à la vérité plaidé par Ben depuis le début, et par Duchamp au début du siècle, ce Duchamp qui va lancer une autorisation à la liberté pour tout un siècle, et largement au-delà. Je suis donc sûr que Ben a beaucoup apprécié ce tract. Dans un happening de Ben sur le suicide, filmé par Jean-Pierre Mirouze, Ben exprime qu’il y a des artistes qui vont jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la mort, et que ce n’est pas donné à tout le monde.

Une goutte d’encre rouge de Pinoncelli

Verso de la carte postale
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Carte postale envoyée à France et Alexandre de la Salle représentant son happening : « Diogène, premier SDF », 25 mai 1994, Lyon
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Cette histoire d’encre rouge et de sang évoquée par Restany est extraordinaire, d’abord parce que Pierre Pinoncelli met beaucoup de rouge dans ses lettres à répétition, et ensuite parce qu’il n’a jamais hésité à faire couler son sang, une fois en provoquant une vachette qui lui arraché l’oreille – être enfin Van Gogh !… - ensuite en se coupant un doigt pour « soutenir Ingrid Betancourt ». En tous cas, quand il nous a envoyé sa carte postale du 3 novembre 2009, c’était pour dire : « J’ai été ultra-sensible à ce que ce soit Alex qui ait acheté mon urinoir (même en dessous du prix de réserve… ah ! ah !) à la vente aux enchères des « zoeuvres » de l’école de Nice… pour un objet mythique, il fallait un acheteur mythique… alors, ça ne pouvait être que TOI, yeah, Alex ! »
Bon, voilà le ton entre nous, depuis toujours. Je ne me souvenais pas que c’était « au-dessous du prix de réserve », Pierre est capable de tout pour faire un bon mot, c’est pour ça qu’on l’aime. Mais je raconte ça parce que finalement notre collaboration a bien commencé de manière mythique, et sa pile de lettres vient écrire une histoire sympathique, parallèle aux événements connus.
Et ça a commencé par une lettre du 22 septembre 1966  : « Pierre Pinoncelli, 19 rue Paul Bert, 42, Saint-Etienne. Cher Monsieur. Suite à mon coup de téléphone de tout à l’heure, j’attends donc le vôtre au milieu de la semaine prochaine pour m’annoncer votre visite. Comme je vous l’ai dit, j’aurai des « tâs » (sic) de petites toiles (du 2F au 60F) à vous montrer. J’en profiterai aussi pour vous donner mes autres catalogues (les « Morts », l’« Abattoir » etc.) et vous montrer ce « Dictionnaire des Artistes Contemporains » dont je vous avais parlé à Vence ; ainsi que toutes les coupures de journaux à mon sujet (« mauvais sujet » ! me dit toujours ma grand-mère). En attendant le plaisir de vous revoir, je vous envoie mes meilleurs souvenirs, ainsi qu’à votre femme. Pierre Pinoncelli ».

Et le lundi 3 octobre 1966 : « Cher Monsieur.
• j’ai été très content de votre visite l’autre nuit – et j’espère que vous avez fait un bon retour !!!
• comme c’est un peu la « panique », je n’ai pas encore eu le temps de vous envoyer le « mort » et la « métamorphose » - d’ailleurs, comment les envoyer ? par le train ? ou connaissez-vous un transporteur ? je vais voir …
• je vous donne mon accord écrit ( !) pour l’exposition chez vous au moment du festival de Cannes ; je suis d’autant plus intéressé par votre désir de faire quelque chose de réellement CHOC ! et je vais y penser sérieusement à tout point de vue de façon à faire quelque chose de terrible ! dès que je peux (quand je retourne à Genève) je vous envoie les clichés couleurs (…)
• Je viens de recevoir une lettre « très chaude » de Massol ; ça s’annonce bien à tous points de vue : J.J. Lévêque va faire un texte de présentation de l’expo dans « Galerie des Arts » - G. Gassiot-Talabot va faire un article (+ photo) dans « Marie-Claire » et Ragon (qui va être à nouveau à « Arts ») un grand article choc dans ce journal ! sans compter les autres !
• à bientôt donc au vernissage
• amitié
Pinoncelli

Tract du 26 août 1967, événement à Saint-Tropez faisant partie de l’exposition à la Galerie Alexandre de la Salle « Copulations d’un Chinois à Vence »
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Autodrome Massol : « La main noire sur ma figure, comme un cancer »

En fait, dix jours après la lettre que je viens de citer, le 13 octobre 1966, Pinoncelli faisait un happening à l’Autodrome Massol et au restaurant la Coupole, intitulé « La main noire sur ma figure, comme un cancer » avec Michel Ragon. Le 17 janvier 1967, c’était « L’Homme-Bleu IKB » ou « L’hommage à Yves Klein » au Jewish Museum, New-York. Le 15 avril 1967, au Ranch de Raoul Gonzalès, Chihuahua City, au Mexique, c’était « Agonie pour un Tarahumara ». Le 11 août 1967, c’était chez moi, place Godeau « Dédoublement-Copulation-Bûcher », et le 26 août, faisant partie de mon expo, sur le port, en face de Sénéquier à Saint-Tropez, c’était « Lynchage et spasmes pour un double », avec la participation de Farhi et moi. « La police a d’abord mutilé puis brutalement interdit ce happening », écrit Pierre dans sa plaquette sur le happening. Et le 25 décembre ce sera, sur le trottoir face aux Galeries Lafayette à Nice : « Maman ! Le Père-Noël est devenu fou, il casse tous ses jouets ! »
Donc Pierre était très occupé avec ses happenings, et nous échangions des visites et des lettres pour nous acheminer vers notre projet qui était de faire en août « Les copulations d’un Chinois À Vence », avec le happening : « Dédoublement, Copulations, Bûcher », et, le 26 Août, le happening à Saint-Tropez : « Lynchage et spasmes pour un double ». Mon expo « Ecole de Nice ? » commençait le 17 mars 1967, Pierre et moi étions plutôt axés sur quelque chose d’individuel avec lui. Ainsi, de Saint-Etienne, le 19 décembre 1966, il m’avait écrit : …
• on couche chez Ragon ; il est très chouette – et il me fait passer les adresses pour Nouillorque ; tu as lu son article sur Bacon dans « Galeries des Arts » ? et l’émission-débats (anciennement « Faire face ») à la télévision sur Picasso ? oui il a parlé longtemps avec Hélène Parmelin, et 2 autres types…
• je vais voir aussi Restany – toujours pour les adresses à New-York – tu as lu le dernier « Arts » sans doute, et son article sur les USA ? (…)
• j’ai fini mon « habit de lumière » il est TERRIBLE ! (ça a été un travail incroyable pour le faire ! ) je crois que je vais l’emmener à Nouillorque car j’ai une idée marrante à ce sujet…

Tract de Pierre Restany du 29 mai 1969
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Habit de lumière

Et donc le vendredi 30 décembre 1966, il me décrit la séance avec Ito Josué qui va donner la célèbre photo où il semble disparaître dans un tableau, c’est l’histoire de l’« Homme-Tableau » (Peinture, chair et os) - 1967, dans la plaquette des « Copulations d’un Chinois à Vence », la photo est plus haut dans la « part II » du chapitre :
« Mon cher Alex. Merci pour ton coup de téléphone de l’autre jour. Je compte venir à Vence jeudi prochain 5 janvier. Rendez-vous à la galerie vers 11 heures si cela ne te dérange pas ; peux-tu arranger un dîner avec Arman le soir – ou s’il préfère qu’on aille le voir dans l’après-midi à Nice ? tu arranges ça pour le mieux, merci !
Hier soir – revêtu de mon « habit » - souliers assortis – mains et tête complètement peintes – on a fait avec Ito Josué (le photographe qui avait fait les photos du catalogue de « Faire l’amour à Pékin » - c’est le photographe de l’Aga Khan pour la Sardaigne) les photos-couleur pour les clichés : je les aurai pour descendre à Vence – je ne sais pas comment elles seront, mais c’était assez hallucinant – soit quand je me baladais devant un fond noir – et surtout lorsque je me suis mis devant une de mes toiles assortie au costume et que j’ai carrément disparu ! comme si j’étais entré dans la toile !!! Ito Josué était emballé – on a fait aussi des gros plans de tête + des photos noir/blanc ; par contre je n’aurai pas encore les photos des toiles seules ; je suis en train de travailler à des toiles dont, dans chacune, quelque chose sortira du cadre de la toile ; c’est les photos de ces toiles qu’il faudra mettre dans le catalogue, ça fera nouveau par rapport à l’expo de Paris ; on discutera de toutes façons de tout ça ensemble… (Pierre)

A suivre...

Pierre Restany avec Arman (Photo Frédéric Altmann)
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