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Pierre Open Space

REMI VOCHE
HORINCA

Les ouvriers du bois (tâpînari) se rendaient en forêt , une fois par an, pour y choisir un grand sapin symbolique devant lequel ils déposaient en signe de paix, ou peut être de remords envers tous les arbres abattus durant l’année, tout un déjeuner avec les gâteaux et le reste ainsi que de l’eau de vie locale nommée HORINCA.
Jean Pierre Charbin, La forêt dans tous ses états : de la Préhistoire à nos jours, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2005.

REMI VOCHE HORINCA

TENTATIVE DE LOCALISATION D’UN RYTHME SANS ÂGE
Rémi Voche, performeur-photographe, reste avant tout un coureur de fond. Sa physiologie artistique tient toute entière dans un rythme, un une-deux, maintenu plus longtemps que la moyenne et, selon ses proches, presque indéfiniment. Au principe de ce mouvement perpétuel, s’exerce une règle simple : tout ce qui l’entoure, le traverse et l’électrise. Il réagit aux images du monde comme un panneau voltaïque ou une cellule de chlorophylle. On pourrait bien citer, sans être exhaustif, quelques noms préférentiels logés à l’entrée de son système : Albert Dupontel et Arthur Cravan, cowboys et indiens, Jean Rouch et Michael Powell, Zatopek et sorciers vaudous. Mais, à la sortie, c’est-à-dire durant les performances, les strates référentielles sont trop bizarrement confondues pour qu’on puisse encore les déplier avec certitude.
On se souvient, par exemple, d’avoir vu danser Rémi Voche, il y a quelques mois, chapeau relevé et pantalon retroussé, sur une palette de bois. Mais la représentation que l’on en garde, n’a plus d’âge ni de nature spécifiques : ce pourrait être une gravure du début du XIX° siècle, illustrant le fameux « marché des anguilles », décrit par William Lhamon dans son livre somme sur le blackface, Raising Caïn ; ou un bout de pellicule noir et blanc ramenée d’une lointaine steppe asiatique par un chefs-opérateur des Frères Lumières ; ou une VHS de break dance des années 80 ; ou encore, bien sûr, une captation numérique, trouvée sur Youtube, d’un vernissage.
C’est pourquoi rien ne serait plus absurde que d’essayer de le faire rentrer dans une « histoire de la performance », et plus encore dans l’actualité de son supposée « retour », tant ce qu’il produit, chez le spectateur, est d’abord l’éclatement de l’idée de chronologie. Rémi Voche ne vient pas après Chris Burden ou Marina Abramovic. Il ne re-enacte rien du tout. Généralement, il donne l’impression de venir avant et d’ailleurs. Cela ne veut pas dire qu’il ignore ses classiques, ou que sa pratique soit l’effet mystérieux d’une génération spontanée. Au contraire, il appartient fortement à notre époque mais dans un autre sens, tout à fait opposé. Sa façon anarchique de digérer sans cesse, et de remodeler en direct, un ensemble de références proches et lointaines, exotiques ou endogènes, est bien plutôt synchrone avec la contestation universitaire de la straight story occidentale, du schéma orienté de sa descendance.
Il faut suivre ici cette ligne ténue : par plus d’un côté, la pratique de Rémi Voche est la plus instinctive qui soit, la plus incontrôlable, la moins « intellectuelle ». Il n’en demeure pas moins que seule une masse de savoirs, assimilés avec une constante et furieuse indiscipline, peut lui permettre d’être à ce point intempestif. Non pas tant hors de l’Histoire que dans ses interstices, ses tensions occultes, ses branchements inconnus. Sous son bonnet de marin-clown, ermite au milieu des forêts comme en salle de gym, il est à sa manière le contemporain le plus exact de l’histoire connectée de Sanjay Subrahmanyam ou du Par-delà nature et culture de Philippe Descola. Son corps en action est sa Mnémosyne. Il danse sur un fil d’ampoule tendu entre des musées.

Patrice Blouin

PIERRE 41 rue Grimaldi MC 98000 Monaco
Exposition de Rémi Voche jusqu’au 30 mai
Mar - Sam, 11h-19h et sur rendez-vous - fermé le mercredi après midi

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