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Jean-Christophe Maillot - "Je suis un Passeur"

Il compte parmi ces chorégraphes
qui ont su renouveler l’univers de
la danse. Jean Christophe Maillot
est un architecte du rêve qui aime
bâtir à plusieurs mains.

Jean-Christophe Maillot est Directeur artistique des Ballets
de Monte-Carlo depuis 1993. Ses créations sont
marquées par leurs scénographies souvent créées en
complicité avec de grands artistes plasticiens dont Ernest
Pignon Ernest son meilleur complice avec lequel il réadaptera
en décembre « le lac des cygnes ». En avril, le triptyque
« Greco-Inger-Maillot » présenté par les Ballets de
Monte-Carlo s’ouvrit sur un rideau de scène signé Valerio
Adami, tandis que Jean-Christophe Maillot accouchait de son nouveau bébé
« Opus 50 » sur une scénographie du plasticien Philippe Favier.

L’artiste / Plasticien Philippe Favier en arrière-plan et Jean-Christophe Maillot,
un duo complice au « Opus 50 » © H.Lagarde

J-c maillot, les arts plastiques et la danse, ça commence comment ?

Dès ma naissance je n’ai baigné que là dedans ! Je suis né à Tours où mon
père était peintre, professeur aux beaux-arts, scénographe. Il a créé plus de
250 décors et costumes de ballets et d’opéra. Mon frère étant compositeur,
j’ai vécu très tôt entouré de la musique, des arts plastiques et de la danse que
j’ai commencé à pratiquer dès l’âge de 6 ans.

la chorégraphie s’est donc imposée naturellement ?

Oui, car c’est le propre de cet exercice que de croiser ces disciplines. Le
travail du chorégraphe dépend toujours de celui des autres. La première
courroie de transmission c’est le danseur qui donne corps à mes choix de
mouvement. Ensuite si j’ai envie d’un univers particulier, à moi de trouver les
artistes plasticiens qui peuvent correspondre.

comment les intégrez vous à vos créations ?

En général mes collaborations débutent par une commande de rideaux de
scène. A partir de là, l’aventure se poursuit ou pas. Le talent ne suffit pas,
il faut qu’il y ait connivence car la chorégraphie m’est dictée par toutes les
personnes avec lesquelles je collabore. Je collecte leurs gènes et les fais vivre.
C’est une création partagée. Aussi quand je travaille avec un peintre cela ne
m’intéresse pas que l’on voie son univers sur scène. Il y a des musées pour ça.

comment avez-vous rencontré ernest pignon ernest ?

Il m’a été présenté par la Princesse Caroline qui avait vu son exposition à
Nice. J’ai tout de suite était attiré par son univers qui transpire un érotisme
très proche de celui de la danse. C’est Ernest qui m’a parlé de Favier. Notre
rencontre a été surréaliste. Alors que Favier travaillait sur des petits formats,
je lui ai demandé de faire un rideau de 18 m sur 13 m. Pour Opus 50, son
univers à la fois ludique et douloureux m’a profondément inspiré au point
que cet échange est allé bien au delà du travail de plateau.


d’un plasticien à l’autre les rapports changent ?

Avec Philippe on avait travaillé sur « l’île » en 2001 et sur « Miniatures ».
Favier amène beaucoup de propositions, Ernest est plus minimaliste, Philippe me nourrit de matière, parfois il le regrette parce que je ne prends pas
toujours ce qu’il attend. Ce qui est intéressant, c’est qu’on se propose des
choses puis qu’on se les vole. Ça marche dans les deux sens. A un moment,
j’étais coincé, je lui ai demandé de penser à une chorégraphie. C’est une
pratique que j’ai validée avec les jeunes plasticiens du Pavillon Bosio. Quand
je les mets en situation de réaliser une scénographie, ils vont toujours au
delà. On assiste aujourd’hui à une véritable appropriation du corps dans les
arts plastiques.

Cendrillon © Marie-Laure Briane

Opus 50 fait parti de vos pièces la plus introspective voire abstraite

Je viens d’avoir 50 ans, donc c’est la suite d’Opus 40, 10 ans plus tard. J’aime
avoir des marqueurs, savoir où j’en suis de ma capacité à conserver cet influx
créatif, à me renouveler. Pour « Opus 50 » Marc Monnet qui avait travaillé
avec ses tripes au point d’être troublé par sa propre partition me l’a confiée
pour qu’on explore ensemble de nouveaux territoires.

A l’opposé, vous abordez souvent des pièces narratives via l’univers du
conte comme la Belle ou cendrillon

On est enfant trop tôt, on n’en profite pas assez. On apprend à se formater
très vite, puis on passe une vie entière à essayer de retrouver cet état de
l’enchantement. Pour ma part je continue à jouer aux petites bagnoles quand
je travaille. Et si les univers de Perrault ou de Grimm me passionnent, c’est
parce que c’est un laboratoire plus complexe qu’il n’y paraît. Un théâtre de la
cruauté, de l’onirique, avec ses figures archétypales. Je vais reprendre « le lac
des cygnes’, j’ai demandé à l’écrivain Jean Rouaud, prix Goncourt 1990, de
faire la dramaturgie pour retrouver cette dimension, parce que je crois aux
conte de fées. J’en vis un, moi-même. Et puis la roturière qui épouse le prince,
c’est toujours mieux que le communautarisme ambiant. Par ailleurs, c’est
devenu une réalité au Royaume-Unis et en Principauté le 1er juillet prochain.

travailler à monaco est-ce que cela influe sur votre travail ?

« Je ne peux pas proposer çà à mon public ! » voilà bien une formule que je
n’ai jamais compris. Si j’ai une ambition, c’est d’emmener le public plus loin
possible, sans préjuger de ses goûts, sans sectarisme, sans me censurer. J’ai
reçu des lettres d’insultes quand j’ai fait venir de Londres le spectacle de Javier
De Frutos. Pour le centenaire du ballet russe, on a fait 60 000 spectateurs
dans une ville qui en compte 30 000. Mes créations procèdent du même
éclectisme. J’ai autant besoin d’abstraction que de narration, de danse classique
que contemporaine. Ce qui me gène c’est le discours radical, qui voudrait
que l’on ne s’intéresse qu’à une feuille quand c’est tout l’arbre qui bruisse.

© Marie-Laure Briane

cela vous a valu une certaine incompréhension ?

C’est bien là mon problème, l’identification ! Je ne revendique pas mon travail
de manière théorique, je le fais avec passion, partage. Aussi Je sais que je peux
être un lien possible entre des choses très radicales et d’autres un peu trop
populaires. Je suis un passeur et non pas un « Choré-auteur » pour reprendre
ce barbarisme de Serge Lifar. Soyons clair, le terme créateur m’emmerde terriblement,
la création n’a rien de divin, elle est profondément humaine. Elle
découle de la mémoire, du regard, de l’attention que l’on porte au monde.

Prochains rendez-vous des Ballets de Monte-Carlo

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