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Le Nu de Gauguin à Bonnard : Eve, icône de la modernité ?

Tout l’été, le musée Bonnard, au Cannet, présente une exposition inédite, à travers des œuvres de Gauguin à Bonnard, sur la portée symbolique du nu dans la peinture et la sculpture, en s’attachant à Eve dans l’histoire de l’art de 1880 à 1950 environ.

La présence récurrente d’une femme originelle, dans les mythes et les épisodes bibliques, a incité de nombreux peintres à représenter Eve comme l’incarnation absolue de la Femme. Cette figure archétypale a intrigué tous les hommes depuis des siècles, entre Paradis rêvés ou retrouvés. Première femme, elle est le corps du monde, l’image des origines et du paradis terrestre. Depuis toujours, son histoire habite les oeuvres de peintres les plus divers, pour lesquels elle a été source d’inspiration (Bosch, Masaccio, Breughel....)

Grâce aux prêts des musées d’Orsay et de l’Orangerie, et à ceux de nombreux collectionneurs privés, plus de soixante-dix oeuvres ont été réunies, au musée Bonnard, sur la vision du corps d’Eve pour divers peintres tels que Gauguin, Bonnard, Rodin, Denis, Redon, Matisse, Picasso, Le Douanier Rousseau, Chagall.... Au XX° siècle, l’image de la première femme apparaît donc comme fil rouge du nu éternel, thème de prédilection qui tend à différentes interprétations souvent mystérieuses, entre la beauté pure et la femme lascive, tentatrice. Dans sa nudité coupable ou idéale, primitive en soi, Eve est la représentation intrinsèque du nu, celle de la femme avant le péché originel. Tout à la fois icône de pureté et symbole de la faute, le nu d’Eve, mère du genre humain, est l’origine, inspiratrice de tout artiste.

Pour Bonnard, selon sa propre réflexion sur le rapport entre l’homme et la nature, l’image d’Eve est liée au couple. Pas d’Eve sans Adam. Aussi représente-t-il, dans L’Homme et la femme, un couple qui vient d’accomplir le péché de chair : il se montre nu avec sa femme Marthe. A chacun son Eden ! Gauguin le restitue dans son expérience tahitienne. Pour lui, le Paradis sur terre est sous les Tropiques. S’il substitue volontiers à la pomme une fleur et au serpent un lézard, la tentation est cependant bien là avec sa vision millénaire du bien et du mal. Riche de couleurs magnifiques, Et l’or de leur corps est sans doute une pièce maîtresse de l’exposition, mêlant la femme tahitienne à la tradition chrétienne qu’il avait cependant dénoncée, à cause de la faute. Paul Sérusier, qui a travaillé avec Gauguin au temps de la Bretagne, représente une Eve bretonne ou Mélancolie dont l’isolement est signifié par le personnage décentré. Chez Rodin, Eve, par la légère inclinaison de son corps, se montre comme prise en faute. Odilon Redon peint pour la première fois le nu féminin avec une Eve auréolée de mystère par le rouge de la peinture symboliste. Pour le peintre nabi Maurice Denis, Adam et Eve sont dans une atmosphère austère inhabituelle d’arbres longilignes parmi lesquels le serpent est enroulé, la femme debout et l’homme allongé sur le sol au milieu de petites fleurs qui annoncent une richesse printanière. Dans une végétation luxuriante, l’Eve du Douanier Rousseau n’est plus tentée par une pomme mais par une orange pour que ce soit plus exotique, alors même que l’artiste n’a jamais quitté Paris et qu’il trouvait son inspiration au Jardin des Plantes. Archétype de la femme, le Nu sur fond rouge de Picasso rejoint l’art primitif dans son expressivité et ses formes puissantes. S’il n’y a pas d’Eve sans Adam, il n’y a pas non plus d’Eve sans Paradis ! C’est Eve qui crée le Paradis en le perdant. Le Paradis n’existe que par la conscience de l’avoir perdu. Par la révélation de la sexualité, le couple primordial, Adam et Eve, prend pleinement conscience de sa condition humaine. Chagall a traité Le Paradis avec des corps sinueux dans un univers onirique propre à l’artiste.

Durant l’entre-deux guerres, les surréalistes explorent de nouvelles données avec le rêve, le hasard, l’inconscient, le mystère et le désir. La représentation du corps de la femme envahit les pensées et les oeuvres d’une dimension onirique. Chaque artiste, à sa manière, donne une oeuvre qui affirme son regard. Arp et Max Ernst s’inspirent de la nature. Giacometti transforme le corps féminin en idoles immenses ou minuscules. André Masson représente le sexe d’Eve comme l’origine du monde, encore plus érotique et audacieux que le fameux tableau de Courbet. Le corps de la femme est alors devenu un temple.

Que ce soient des oeuvres symbolistes, nabis, fauves, cubistes, surréalistes, le corps rêvé d’Eve renferme toujours une part des mystères du noir continent féminin.

Au musée Bonnard, jusqu’au 3 novembre 2013.

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