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Grasse : Jacques Chibois décroche les étoiles

C’est sur les hauteurs de Grasse, dans une vieille bastide entourée d’oliviers centenaires voire millénaires, que Jacques Chibois a installé son petit havre de paix. Un véritable trésor pour les connaisseurs et les curieux qui s’aventurent tout au long de l’année dans cette bâtisse qui laisse rêveur. La Bastide St Antoine a obtenu une cinquième étoile, début août, grâce à une équipe liée et efficace qui n’hésite pas à toujours donner le meilleur d’elle-même. En sage chef d’orchestre, Jacques Chibois pense déjà aux nouveaux défis qu’il va relever. Rencontre…

Jacques Chibois réinvente, chaque jour, l’art de la table pour le plus grand plaisir des papilles. Une passion qui puise ses racines dans l’échange, le devoir et le plaisir.
« Chacun le sait : les temps sont difficiles, l’avenir incertain et les bourses chahutées. On a besoin plus que jamais de miser sur des valeurs sûres. Oui, mais lesquelles ? Eh bien, si nous commencions par investir dans la jeunesse. Transmettons lui notre savoir ! »
C’est l’un des crédos de ce chef cuisinier pas comme les autres. Sa passion pour les bons petits plats et la cuisine en général il la tient de sa mère ; Jacques Chibois s’attache à transmettre aux jeunes, à partager son savoir-faire, apprendre, montrer, guider, aider, pour qu’eux aussi deviennent des grands.

Cette envie d’avoir votre lieu à vous, votre restaurant, c’est une envie qui date ?
Oui, c’est une envie de jeune. J’ai travaillé avec des grands chefs : Michel Guérard, Roger Vergé, Lenôtre et tant d’autres… Surtout Guérard qui était mon maître d’apprentissage. J’ai appris mon métier de cuisiner des grands chefs, je recevais l’éducation de ces grands pour en devenir un à mon tour mais aussi avoir ma propre maison, comme eux. Et ce vœux est resté ancré en moi. C’était un but, une réussite. J’ai du gagner ma vie pour pouvoir concrétiser mon projet. J’ai fait mon tour de France et je suis arrivé à Cannes, au Gray d’Albion, où j’ai pu apprécier de nouveau la Côte d’Azur que j’avais connu chez Vergé, mais cette fois en tant que chef. J’ai appris aussi à gérer un grand hôtel, une équipe, à faire le service d’étage et surtout toutes les cuisines : plages, night club, banquet, traiteur, gastronomie, brasserie… Un métier à la fois de chef cuisinier, de responsable mais aussi de chef d’entreprise. J’ai appris la gestion auprès de directeurs généraux, de financiers, car, dans cette aventure, la gestion est toute aussi importante que la cuisine. Après 14 ans de « bon office » au Gray d’Albion, j’ai eu envie d’atteindre mon but final : à quarante ans, me mettre à mon propre compte.

Il a fallu trouver l’endroit idéal…
J’ai cherché, j’ai cherché, j’ai tourné, j’ai retourné… J’ai eu au moins 400 propositions ! On me disait souvent que je cherchais « un mouton à cinq pattes ». Je voulais quelque chose à mon goût pour m’installer, mais le plus important ce n’est pas mon goût mais celui des clients ! Il faut que je les fasse venir de partout, c’est eux qui me feront réussir. Je me souviens de ces années folles 88, 89, 90, où l’immobilier s’envolait, après la Guerre du Golfe tout a chuté, c’est là que j’ai trouvé cette bastide, destinée à être démolie pour l’immobilier. Grâce au maire de Grasse et à la faillite du promoteur (rires) j’ai pu acheter une belle propriété avec des prix raisonnables et faire des transformations.

La terrasse sur laquelle sévit Jacques Chibois
DR

L’aventure commence…
On voulait que notre maison, qui est aussi notre lieu de travail, soit en adéquation avec nous-même, qu’elle corresponde à notre idéal de vie, notre idéal de cuisine, de ceci, de cela… Représenter un petit peu la Côte d’Azur tout en montrant les vraies valeurs, aujourd’hui c’est important. On assiste à un véritable retour au vert, à la nature, au bio, on parle de développement durable, ce sont les valeurs fondamentales qui traversent les générations. Le plus grand luxe, c’est l’espace : l’espace naturel, l’espace vital. Une qualité que cette maison a, avec ses six hectares de terrain, ses arbres centenaires voire plus ! Une bâtisse qui date de la fin du 17e siècle, remplie d’histoire…

Les travaux ont duré longtemps ?
Neuf mois… C’est pas beaucoup et c’est beaucoup à la fois ! On s’est surtout occupés de l’extérieur et de ce qui devait être fait en priorité, le nécessaire, on ne voulait pas dépasser notre budget. Ce qui nous a permis de rentabiliser tout de suite, le but n’était pas de s’endetter. On s’est lancé dans les travaux : c’est toujours une période difficile, on pense à ceci mais on ne pense pas à cela, il nous arrive toujours des déboires. La première année on était complet, on a rencontré un problème : le restaurant était mal insonorisé, les gens ne s’entendaient plus, beaucoup nous ont dit « C’est formidable chez vous mais nous ne reviendrons pas à cause du bruit ». Il a donc fallu y remédier rapidement, on est reparti dans quelques travaux pour enlever 90% du bruit. (ndlr : Aujourd’hui la bâtisse est plus calme et plus majestueuse que jamais !)

Des travaux et un investissement aussi bien personnel que financier qui ont porté leur fruit… Aujourd’hui vous accumulez les récompenses : deux étoiles au Michelin, entrée dans les relais & châteaux, meilleur chef à plusieurs reprises, une reconnaissance nationale et internationale, récemment votre site, meilleur site de France et surtout une cinquième étoile fraîchement obtenue !
Cela nous permet de grandir tous les jours et de garder une qualité. C’est toute une équipe qui est récompensée pour ses efforts. Il faut un leader bien sûr, mais nous travaillons en équipe nous partageons les efforts comme les récompenses. C’est avant tout pour se donner des challenges, c’est nécessaire pour obtenir toujours une meilleure qualité. L’équipe fonctionne mieux quand elle a un objectif, un défi à relever, une vision des choses plus claire. Il faut aller vers les attentes des clients, créer quelque chose de nouveau tous les ans.

Chef cuisinier et Maître d’hôtel
DR

C’est une équipe soudée dont vous orchestrez le quotidien ?
Tout à fait, c’est la même depuis le début. Sauf pour les jeunes qui sont de passage chez nous, le temps d’un apprentissage. Au bout de deux ans, on les envoie ailleurs pour grandir et apprendre de nouvelles choses en complément de la formation qu’ils ont reçu chez nous. On forme beaucoup de jeunes qui deviennent de merveilleux employés et de merveilleux propriétaires. On garde ce cheminement, cette vérité. Nos jeunes ne sont jamais au chômage, nous les plaçons en fonction de leurs désirs.

C’est important pour vous ce sens de l’héritage ? Vous-même vous avez appris beaucoup de votre maman…
Oui, ça c’est l’éducation, la culture, le sein familial. A partir du moment où les parents donnent une éducation de qualité… Ma mère avait un don pour la cuisine par exemple, qu’elle tenait de sa propre mère, tous les frères et sœurs (dix au total) venaient chez elle parce qu’ils savaient où ils mettaient les pieds ! Mon père était meunier, on avait une maison d’hôte. Les paysans venaient se distraire chez nous, au final : on y mangeait bien, on s’amusait, on partageait, on faisait de la bonne farine avec les meilleurs produits. On comprenait la valeur de la qualité, certaines valeurs qui peu à peu s’envolent mais que je m’attache à communiquer et transmettre à mes jeunes et mon équipe.

A quoi ressemble une journée dans la peau de Mr Chibois ?
C’est beaucoup de travail ! Je me lève à 5h. A 6h, je suis au marché (le MIN), je rentre vers 11h pour le service, après je m’atèle à l’administration, au commercial, au jardinage, je me trouve un petit peu de temps pour moi, puis de 8h30 à minuit, de nouveau le service. C’est un métier motivant à tous moments de la journée, on voit les jours passer rapidement. On partage aussi beaucoup avec les clients, c’est important cet échange. On est dépendants de tout cela maintenant ! Notre quotidien est une sorte de drogue. (rires)
On est heureux, on essaie de transmettre notre bonheur.

Quel aspect de votre métier aimez-vous tout particulièrement ?J’aime tous ses aspects ! Mais si je fais quelque chose en cuisine c’est pour les clients, et on aime être auprès des clients pour savoir si l’on a bien fait…

Une table à la Bastide St Antoine
Source : www.jacques-chibois.com

Y-a-t’il un plat que vous préférez cuisiner ?
Il ne faut jamais se le dire ! En cuisine, on doit savoir être le meilleur partout. Si on prend un menu : il faut être bon sur l’entrée, la mise en bouche, pour annoncer la suite, soigner son entrée en matière… Le plat de résistance : le service du poisson , c’est l’élégance, une bonne viande, ce sont les vraies valeurs, il faut parader avec des légumes, créer, donner envie… Le dessert, c’est un moyen de finir sur une belle note, on n’a plus très faim mais on est gourmand, alors il faut quelque chose de léger et de bon, qui ne soit pas une pâtisserie, qui fait plus anniversaire. Le dessert c’est plutôt de la pâtisserie cuisinée, ce qui donne plus de place pour le gustatif, l’imagination et l’émerveillement…

Où puisez-vous vos idées, votre inspiration ?
En écoutant, en lisant, en m’imprégnant au quotidien, en essayant d’améliorer ce que nous avons fait l’an passé.

Toute l’équipe travaille à la création ?
C’est un petit peu le principe du musicien qui a une mélodie en tête et qui la met sur une partition. Je fredonne le goût et ensuite je le cherche, nous testons, jusqu’à trouver ce goût virtuel parfait.

Quels sont vos projets ?
Toujours améliorer la maison. Je donne les idées dans le désordre : faire un grand parc de la Méditerranée, exploiter le terrain, il y a des choses merveilleuses à faire voir dans ce jardin, un aménagement pour développer le côté mise en forme, relaxation, promenade. Construire un espace spa et santé. Agrandir un petit peu l’hôtel, cinq ou six chambres de plus, pour arriver à un total de 25.

Un peu de vacances aussi peut-être ?
Avec ce que je fais, dans un cadre comme celui-ci, c’est tous les jours les vacances…

Propos recueillis par Aurélie Mignone

Informations Pratiques :

- La Bastide St Antoine
- 48 avenue Henri-Dunant
- 06130 Grasse
- Téléphone : 04 93 70 94 95

www.jacques-chibois.com

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