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Jean-Louis Trintignant au Théâtre ! : Trois poètes libertaires au XXe siècle

Trintignant, c’est d’abord une voix. Un timbre particulier à la fois doux et puissant, timide sans être hésitant. Dans sa bouche, même une plaisanterie coquine a une classe folle. A 82 ans, Jean-Louis Trintignant résiste toujours à toutes les étiquettes : sérieux ou malicieux ? fébrile ou apaisant ? réservé ou accessible ?

Décidé à quitter le cinéma, où il n’est revenu que par admiration pour Haneke pour y incarner un octogénaire dans Amour, il continue à s’exposer sur les planches. S’exposer, car il est timide : une timidité vaincue grâce au vin, dit-il.

Il s’est installé comme vigneron dans le sud-ouest, près d’Uzès.
Le comédien est depuis longtemps habité par la poésie, il ne cesse d’en réciter à ceux qui l’entourent. La voix du vieux Trintignant raconte les poèmes dans un bruissement de mots qui ne sont pas figés. L’ironie et la malice passent dans sa voix paisible, chaude, contrôlée. Le son de sa parole d’homme âgé est le même qu’au temps de son éclatante et belle jeunesse.

Curieux d’insolite, il aime la poésie dans tous ses aspects. Pour son spectacle, présenté au Théâtre de Grasse et qu’il poursuivra au cours d’une tournée, son choix s’est porté sur trois poètes agitateurs et révoltés, Jacques Prévert, Boris Vian et Robert Desnos. Un spectacle qu’il a préparé avec amour et ardeur, dans un jeu dépouillé, teinté d’humour pince-sans-rire. Il y entretient la flamme de la poésie grâce à ce choix de poètes définis comme libertaires, mais peut-être plutôt anarchistes. L’anarchie plaît au comédien. Et, à travers sa voix, Prévert, Vian et Desnos disent la résistance et le combat, l’amour d’aujourd’hui et celui d’hier, jonglant avec les mots pour en faire des armes bien qu’il en tire de l’humour. Et de toutes les couleurs du monde, l’humour préfère la noire. Aussi le rire est-il souvent grinçant.

© Mark Laapage

Entouré d’un accordéoniste, Daniel Mille, et d’un violoncelliste, Grégoire Korniluk, Trintignant est assis face au public, presque immobile, balayant parfois un mot d’un geste de bras. Il raconte la poésie comme on raconte une histoire, de sa voix au grain placide, loin de tout style ampoulé. La poésie est pour lui la plus belle forme de littérature, pour sa concision qui ne garde que l’essentiel. La musique soutient les textes et la voix de Trintignant, les entraîne plus loin vers la mise en valeur. Musique et texte sont ainsi imbriqués.

Le choix semble surtout axé sur des poèmes simples, accessibles à tous, exprimant cependant des choses profondes et intimes. Avec de subtiles intonations, le comédien passe de « Une fourmi de dix huit mètres avec un chapeau sur la tête.... » de Desnos - ce poète surréaliste qui mourut en juin 45, trop malade pour revenir des camps -, à des textes engagés aux couleurs plus politiques. Il récite « Le Déserteur » de Boris Vian dans deux versions (avant et après la censure), ou encore un texte de Prévert sur les sans-papiers qui date de 1955, alors qu’il semble d’aujourd’hui tant il est toujours d’actualité. Il énonce aussi la superbe citation de Prévert, dite lors du Palmarès du Festival de Cannes : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. »

Trintignant voit la mort s’approcher doucement, il lui fait face et ironise en la mettant en mots à travers ces trois poètes. Ce spectacle est son dernier passage sur les planches, avant de retourner dans ses vignes, au pays de son enfance, près d’Uzès.

Âgé de bientôt 83 ans et fatigué, Jean-Louis Trintignant a annoncé qu’il quittera la
scène après les 2 représentations des 1er et 2 octobre à Anthéa, le nouveau
Théâtre d’Antibes, avec son dernier spectacle :Trois poètes libertaires du
20 ème siècle.

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