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"Hommage au féminin" au Château-Musée Grimaldi

Comme en témoignent ses trois œuvres lumineuses ( Bright Peace and Love, Bright Heart, et Bright Dollar), pour « s’installer » au Château-Musée Grimaldi du Haut-de-Cagnes, Jean-Antoine Hierro s’est référé au maillot de bain de Suzy Solidor des années 20, en écailles de nacre, maillot presque robe de Suzy élimé, et, pour cette raison, tout aussi émouvant que la jupe de coton défraîchi qui pare la danseuse de quatorze ans d’Edgar Degas. Vêtement de Suzy protégé par le sarcophage de verre de la Donation Suzy Solidor, dans la salle où une gigantesque « Dress » de Hierro est déployée sur le sol, avec la mention : « Marche-moi dessus Suzy », avec l’idée que Madame Solidor aurait foulé aux pieds les bonnes mœurs. Mais qu’une femme peut entendre, irrésistiblement, comme : « Marche-moi dessus, signé Suzy ! » tant la question d’un féminin ambigu habite, habille, le déploiement pléthorique des signes civilisationnels qui constituent cette « exhibition ».

Le corps de Jean-Antoine Hierro, fragmenté, visage et bras seuls, et sous forme de pantin, confirme un ton de dérision. Jusqu’au masochisme ? Est-ce de débordement que parle ce travail, de déferlement de tsunami par lequel l’humain serait déjà vaincu ? Trop c’est trop. N’est-ce pas du trop qu’il s’agit ici ? Mais d’abord du TOUT, de tous les styles comme on dit. On dit aussi que le style c’est l’homme. Où est l’homme ? Eclaté par la diversité absolue des styles. Tout et son contraire se déploient, galopent, tels les chevaux de Phaéton au plafond de la salle Carlone. Un savoir-faire absolu pour que disparaisse tout discours propre ? Afin de manifester l’impossibilité du Sujet ? Virtuosité impressionnante pour un effacement.

Jean Baudrillard a qualifié d’obèse notre époque pour pointer la multiplicité exponentielle des informations en cascades. Informatique, donc code, dress code, hommage détourné à Léonard de Vinci, avec la nymphe Solidor comme Joconde, mi homme mi-femme, la robe est ici vraiment code universel.
« Hommage au féminin », trouve-t-on dans le discours promotionnel de l’exposition. Bonne question, car ce féminin évoqué ne l’est que dans l’image, convenue, de ce que la psychanalyse a appelé la « mascarade ». Terme qui n’est pas insultant, mais manière de dire, déjà pour Freud, que le féminin est un « continent noir », un trou donc, que la femme elle-même rejette dans la panoplie, costume, maquillage, faisant de son sexe un fétiche, pour éviter à la fois le vertige et le défi d’assumer son « féminin » comme creux, et comme indicible, hors discours, hors langage. Et cette découpe de robe, schématisée, de celles que les petites filles accrochaient à leurs poupées-silhouettes en carton, et dont Hierro fait un cachet (un cache), une signature, n’est pas un vide pour dire la « jouissance autre », mais un écran où le multiple est projeté, y compris dans la salle de cinéma où une extrême violence naît du subliminal. La manipulation mise en acte.
Féminin à l’opposé du phallus, qui n’est pas le pénis, mais la tentative forcenée de matérialiser l’élan vital, le sens, comme dans les Phallophories grecques : c’est ainsi qu’apparaît cette exposition de Hierro, tout en gigantisme, et comme le gant retourné en permanence et à toute vitesse, des objets du monde, insatiablement. Le féminin comme creux est donc contredit par le « plein » ici mis en scène, plein qui ne cesse de s’enfler, à coups de dorures, de noirs, de couleurs, de références, de cultures, de détournements, de clins d’yeux, de symboles, d’exorcismes, de BD, de slogans, de jeux de mots, de luxe, de zoos, de contrastes, de mièvreries, de cruautés, de coulées, d’enfantillages, d’acrobaties plastiques, de démonstrations techniques.
Jean-Antoine Hierro parle lui-même de l’obsession de l’homme et la sienne de s’approprier les choses et les personnes, la robe comme signe universel servant à appliquer les sceaux variés d’un nouveau pouvoir (noblesse réinventée, la vanité étant – paradoxe démocratique - la valeur la mieux partagée). Vous avez dit « vanité » ? C’est encore l’envers de Kohélet, l’Ecclésiaste, qui dit : tous les fleuves vont à la mer et la mer ne se remplit point…On pense à Levinas, à « Totalité et infini », et Hierro se serait-il affronté à la Totalité, sachant qu’à Nice, début des années 60, des Nouveaux réalistes s’approprièrent des bouts de réalité ou des concepts pour les faire voir, reliques d’un champ signifiant en pleine mutation. Les chemises avec empreintes de pieds et de mains d’Yves Klein et Claude Pascal inaugurant une autorisation subversive à jeter à la face du monde l’annonce claironnée de sa propre existence. Les sous-vêtements féminins de Deschamps étant plutôt du côté de l’accumulation, avec son envers, le déchet. Assemblages, lacérations, ferraillage, expansions, récupérations etc. permettant à chacun de trouver son propre geste, y compris Niki de Saint-Phalle tirant à la carabine dans une robe de mariée pas loin du « dress-module » de Jean-Antoine Hierro. Seul Klein, tel Kohélet, s’intéressant à la vacuité, au dénuement.
Ici il s’agirait plutôt d’un inventaire de magasin sans thème, une toile Internet prenant dans sa toile (d’araignée, le seul animal qui manque ? ) tout ce qui se présente, phénoménologie d’aujourd’hui, drague des apparitions à grande échelle. A ce titre Hierro peut faire emblème : s’est-il approprié l’Inhumanité ?

Informations pratiques


Exposition prolongée jusqu’au 27 septembre
10h-12h et 14h-18h
Tel : 04 92 02 47 30

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