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Espace Solidor : Bijoux, cailloux, hiboux…

Chanteuse française, actrice et romancière, Suzy Solidor (1900-1983) s’est installée en 1960 à Cagnes-sur-Mer où elle tint jusqu’en 1967 un cabaret et un magasin d’antiquités. 50 ans plus tard, sa résidence du Haut-de-Cagnes est devenue l’un des plus beaux musées du bijou contemporain.

Cagnes-sur-Mer n’est plus seulement célèbre pour ses courses hippiques, c’est aussi la nouvelle cité du bijou contemporain. Sur la place du Château, lui-même haut lieu de l’art, l’Espace Solidor accueille dans un écrin rénové le fleuron de ces créateurs qui réinventent de par le monde l’art du bijou actuel « Nous avons commencé à défricher ce créneau en 1997 avec la nouvelle municipalité. Il existait auparavant un atelier loué à deux jeunes artisans bijoutiers mais quand ces derniers sont partis pour voler de leurs propres ailes, l’activité a cessé. En 1997, Louis Nègre, maire de Cagnes-sur-Mer, et moi- même, soutenus par quelques orfèvres dont Claude Pelletier de Biot, avons décidé de donner un nouvel essor à l’activité et à cet espace pour lequel j’ai eu un véritable coup de foudre », explique Roland Constant, adjoint à la Culture de la Ville. Souhaitant ouvrir un lieu identifiable dans le paysage national, la Ville a investi afin de réaménager l’espace en jachère sur la place du Château. Un enjeu de taille car il n’existe en France que deux musées de ce type, l’un à Baccara dans les Vosges, l’autre à Paris. « Nous avons mis dix ans pour façonner l’Espace Solidor tel que nous le souhaitions, avec le concours de l’architecte et élu François Poutaraud. Pour lui offrir un écrin à la mesure de nos ambitions, nous avons repoussé les murs en unifiant trois bâtiments dont l’ancienne maison de Suzy Solidor. » Résultat : outre son jardinet et son hall aux voutes écarlates, ses galeries noir jais qui enfilent comme des perles 35 cabinets de lumière, une résidence d’artistes accueillera ses premiers occupants début 2010. Une maison d’artistes dotée de 5 logements ateliers qui fonctionnera un peu comme une résidence réservée aux jeunes plasticiens de moins de trente ans.

Gilles Jonemann, en matière de bijoux contemporains, un maître d’art qui fait référence

Voyage aux antipodes

Au rythme de trois expositions annuelles, l’Espace Solidor a pris son allure de croisière en offrant un panorama sans frontière de créateurs présentant leurs pièces souvent en première mondiale. « Les expositions qui se sont succédées ont toutes été très différentes. Nous avons d’abord initié des invitations collectives mettant à l‘honneur un pays, une culture, tentant de dégager les grandes tendances des cinq continents, l’Asie et ses bijoux combinant le papier, l’Australie et son brassage pluriethnique. Cet été nous serons les premiers à mettre à l’honneur la nouvelle vague israélienne ». Pour Marianne Anselin, qui a investi les lieux jusqu’au 17 janvier, le cas est différent. « C’est notre première monographie. Parvenus à une certaine notoriété, nous nous devions de donner un coup de pouce aux créateurs émergeants. Au départ, la thématique était « le maître et son élève », mais Marianne a fait preuve d’une telle maestria que son parrain, le Maître d’art Gilles Jonemann, s’est retiré pour lui laisser la quasi totalité de l’espace. » L’artiste âgée de 28 ans qui œuvre sur des objets de récupération ou dérobés à Mère nature a également participé à des ateliers avec le Centre de Loisirs de Cagnes-sur-Mer. « Nous essayons de faire venir les enfants avec leurs parents. Ce type de travail dépassant le cadre du bijou traditionnel, notre public est très varié. Autant de femmes que d’hommes, de curieux que d’amateurs éclairés. Ma plus belle récompense c’est de voir débarquer au moment de la grande exposition estivale tous ces collectionneurs venus d’Allemagne ou d’Italie. »

Signe extérieur de culture

Il est vrai que lorsque l’on découvre dans leurs alcôves vitrées les travaux de cette nouvelle génération d’orfèvres, on est surpris. Assemblage de matériaux hétéroclites : pièces industrielles détournées, végétaux, minéraux, pierres précieuses ou pas, techniques et formes proches de la sculpture, c’est clair, le bijou contemporain a pris ses distances avec le sautoir ou le gamay d’antan pour dialoguer plus intensément avec la matière. Plusieurs courants d’inspiration s’y croisent : l’ethnique, le végétal, l’archéo-métallurgie, le nomade, le minimal, le récup’ art. La discipline s’est développée avec le nouveau siècle en même temps que l’espace Solidor a pris son envol. La ville a ainsi constitué sa propre collection qui témoigne du pluralisme d’un artisanat moderne dont elle est la plus zélée des ambassadrices. « Chaque fois que nous accueillons un créateur, nous nous efforçons de lui acheter une pièce. Un fonds qui s’élève aujourd’hui à près de 80 œuvres ». C’est une vingtaine d’entre elles que l’adjoint à la Culture avait emmenées en novembre au Carrousel du Louvres lors du salon International du Patrimoine. La Ville, qui partageait avec quatre autres cités azuréennes labélisées « Ville des métiers d’arts », présenta ainsi l’avancée de son engagement. « Aujourd’hui, nous avons acquis une reconnaissance internationale qui devrait nous amener bientôt à faire voyager nos expositions. Lorsque le Docteur Robert Baines, professeur et coordinateur du programme d’orfèvrerie au RMIT à Melbourne, un institut qui fait référence, évoque le bijou contemporain, il parle de Cagnes-sur-Mer. Cette notoriété, nous la devons à nos efforts mais aussi à notre commissaire d’exposition considérée comme la papesse du bijou contemporain en Europe : Olga Biro, qui tient une galerie à Munich. »
Et si Roland Constant regrette parfois que certains Cagnois n’aient pas encore pris la peine de visiter l’espace Solidor, il ne fait aucun doute que le Bijou contemporain s’est installé durablement à Cagnes-sur-Mer. Un bijou du nouveau millénaire qui, dégraissé de son luxe ostentatoire et mis en résonance avec la sculpture, le design et l’architecture, ne sera bientôt plus considéré comme un signe extérieur de richesse mais bien comme un signe extérieur de culture.

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