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Fondation Hartung : une maison d’artistes encore habitée

« Hans Hartung fut dans l’abstraction pure depuis son plus jeune âge : il ne part pas du réel, ne donne pas de titre à ses tableaux, juste des numéros. Seuls l’intéressaient la trace, le geste, l’instant ». Si Marie-Guylaine Garcia est trop jeune pour l’avoir connu personnellement, elle connaît tout sur Hans Hartung, le « pape de l’Abstraction lyrique » et la visite guidée prendra en sa compagnie une dimension passionnante.

Une maison blanche, de style très épuré et minimaliste, construite en deux parties autour d’une piscine au bleu éclatant. Dans cette piscine, qui était chauffée en hiver, Hartung se baignait tous les jours, descendant dans l’eau grâce à une installation étudiée pour parer à son handicap.

La maison d’Hans et Eva Hartung, épurée et minimaliste

D’un côté se trouvait la chambre, de l’autre le living, qui seul se visite : des fenêtres rectangulaires, toutes en longueur, encadrent le paysage. Basses, elles offrent la meilleure vue possible depuis un fauteuil roulant, sur les oliviers du jardin.
Les meubles étaient bas également, et très sobres, avec des proportions respectant le nombre d’or - une des recherches de longue date de Hartung.
Tout ici a bien sûr été dessiné par l’artiste et sa femme, se rappelant tout deux leur première maison des Baléares, cube blanc à pans coupés en oblique, qui déjà s’inspirait des maisons de pêcheurs espagnols. Et du style Bauhaus pourrait-on rajouter. C’est beau, intemporel, indémodable … et sans doute d’une sobriété toute « protestante », selon le mot de Marie-Guylaine Garcia.

Poursuivons notre visite en traversant le parc aux oliviers, pour atteindre les deux ateliers d’artiste situés en contrebas.

Celui d’Anna-Eva Bergman a été dessiné par elle-même : peintre d’origine norvégienne, venue à l’abstraction grâce à Hartung, elle faisait des oeuvres contemplatives, inspirées de la lumière nordique.

L’atelier de peinture de Hans Hartung

Tout près, celui d’Hans Hartung semble encore habité. Outre ses chapeaux tachés de peinture, on peut contempler les outils qu’il utilisait pour gratter, frotter, projeter de la peinture : pinceaux, brosses, balais, pistolets divers et variés. Les portes de placards, maculées de taches de peinture en épaisseur, pourraient être considérées comme des oeuvres en soi.

Hans et Eva Hartung

La dernière année de sa vie, âgé de 85 ans, nous raconte le guide, Hartung travailla beaucoup ici : 360 oeuvres ! Et comme il ne laissait jamais rien au hasard - de même qu’il gardait tout depuis l’enfance, numérotait, classait - il a également avant sa mort décidé de sa Fondation par testament.

Une Fondation pour conserver et faire rayonner

Vue d’ensemble de la Fondation

Pas étonnant que la Fondation Hans Hartung & Anna-Eva Bergman soit devenue, depuis son ouverture en 1994, l’une des plus grandes fondations dans le monde, par la richesse de ses patrimoines : 16.000 peintures et dessins dont 13.000 pour Hartung, 30.000 photos prises par lui durant sa vie et des archives gigantesques - cahiers d’écoliers, courriers, catalogues, publications et articles de presse, films réalisés sur les artistes, enregistrements sonores … Le tout accessible depuis une base de données informatisée mise en place par un informaticien-maison : une méthodologie d’ailleurs très recherchée par d’autres fondations.
Dirigée par François Hers, une douzaine de personnes travaillent en collégialité à « conserver et faire rayonner l’œuvre ».
Reconnue d’utilité publique, la Fondation vit, sans subventions, du mécénat et du parrainage. Elle reçoit artistes en résidence, historiens de l’art, critiques, conservateurs de musées ou commissaires d’expositions.
Cependant, la fondation Hartung n’est pas un musée. Les visites ont lieu seulement une fois par semaine, le vendredi à 14 heures.

L’atelier d’Hans Hartung

Hans Hartung ou l’abstraction pure

Né en 1904 à Leipzig, dans une famille de médecins, avec un père également musicien et peintre autodidacte, Hans Hartung dessine depuis le plus jeune âge, « des taches d’encre » et des « éclairs » dans ses cahiers d’écolier. Pour ses études, il hésite à entrer au Bauhaus - l’école d’art d’avant-garde célèbre dans les années 30 - mais préfère une formation plus classique à l’Académie des Beaux-Arts de Dresde. Il commence par copier les oeuvres des expressionnistes allemands pour en simplifier les formes et n’en retenir que les masses colorées, atteignant ainsi l’abstraction dès 1922 (il a 18 ans) dans une série d’aquarelles restées étonnamment modernes. Puis il voyage en Europe, découvre la France, s’installe à Paris. C’est là qu’en 1929, il rencontre et épouse Anna-Eva Bergman, jeune peintre norvégienne. Avec elle il retourne en Allemagne, pays qu’il doit bientôt quitter devant la montée du nazisme.
Cherchant tous deux un endroit tranquille pour peindre, ils choisissent l’Espagne, et l’île de Minorque alors encore très sauvage, pour y faire construire leur première maison : déjà un cube blanc simplissime, inspiré des maisons de pêcheurs espagnols.

De retour à Paris, Hans Hartung rencontrera tous les grands maîtres de l’art abstrait (Kandinsky, Magnelli, Miro…), tandis qu’il peint sa célèbre série de "taches d’encre".

Nous sommes dans les années 30, l’époque est tourmentée, et les problèmes personnels nombreux : difficultés matérielles, maladie de sa femme, divorce, il bénéficiera ensuite de l’hospitalité du sculpteur Julio Gonzales, dont il épousera la fille Roberta.
Arrive la guerre : pour rester fidèle à lui-même, Hartung veut se battre contre le nazisme, il s’engage dans la légion étrangère. Envoyé en Afrique du Nord, incarcéré, il perd une jambe durant l’attaque de Belfort en novembre 1944. Naturalisé français après la guerre, décoré de nombreuses médailles, il se fait enfin remarquer par les critiques. Bientôt reconnu comme l’un des chefs de file de l’art informel, un musée de Bâle lui consacre une première rétrospective dès 1952. En 1953, incroyable clin d’œil du destin, il retrouve par hasard Anna-Eva dans un vernissage : nouveau coup de foudre, il la ré-épousera quatre ans plus tard !

Elu en 1956 membre de l’Académie des Beaux-Arts de Berlin, il reçoit en 1960 le Grand Prix international de peinture de la Biennale de Venise. Suivront de nombreuses grandes rétrospectives en France, en Allemagne et partout dans le monde : c’est la consécration. En 1968, il achète un terrain planté d’oliviers centenaires à Antibes. Avec Anna-Eva, il dessine les plans de leur maison-atelier idéale, dans laquelle ils s’installeront à demeure.
Anna-Eva Bergman meurt en 1987, Hans Hartung le 7 décembre 1989 : selon sa volonté, les cendres de cet homme du nord seront dispersées dans la Méditerranée.

En savoir plus sur la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman 173, chemin du Valbosquet 06600 Antibes Téléphone 04 93 33 45 92

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