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Salvador Dali

L’exposition qui se tient actuellement au centre Pompidou à Paris présente un panorama quasi-complet de la production hétéroclite d’un des créateurs les plus marquants du vingtième siècle. Peintures, dessins, gravures, photos, sculptures, extraits de films et vidéos se succèdent pour tenter de cerner la personnalité très ambiguë de Dali, les facettes multiples de son génie, mais aussi, les aspects provocateurs de son attitude et de ses engagements politiques. Le parcours de l’exposition propose une évolution chronologique, avec l’alternance d’œuvres aux cimaises et d’installations qui permettent un déplacement aisé du spectateur et la prise de distance pour décrypter certaines peintures avec le recul nécessaire.

Beaubourg
© Alain Biancheri

LES DÉBUTS. Les premières oeuvres nous plongent dans l’univers précoce de cet artiste surdoué. La ville de Figuérès où il est né, la baie de Cadaquès et les collines lointaines de l’Empordan constituent le décor principal de ses premières peintures, réalisées lorsqu’il étudie à l’École municipale de dessin de Figueres dans sa jeunesse, et plus tard à Madrid. C’est grâce aux conseils d’amis des ses parents (les Pichot) qu’il découvre l’Impressionnisme et le Pointillisme ; il réalise des baigneuses, des paysages traités par touches et surtout des autoportraits (dont celui au «  cou raphaélesque  », en hommage à son artiste de la Renaissance préféré, ou « l’autoportrait à la pipe  »). Sa connaissance du Cubisme, par le biais de revues ou de critiques d’art lui fait aborder cette pratique à travers un certain nombre de figures inspirées de Picasso ou de Juan Gris ; « Pierrot et la guitare » s’inspire librement des Arlequins tandis que « la Vénus et le marin » se réfère davantage aux personnages massifs de Picasso réalisés lors de la période du « retour à l’ordre » après 1920, tout comme la «  composition aux trois figures » de 1926. Mais il ne rencontrera son maitre à Paris – de 25 ans son ainé - lors d’un voyage en 1927 et fera son « portrait » en 1947. Son passage à la résidence d’étudiants de Madrid lui permettent de se lier d’amitié avec Federico Garcia Llorca – épris de Dali mais sans retour de sa part – et Luis Bunuel, avec qui il participera au scénario du « Chien Andalou », et de l’ « Âge d’or » qui a été longtemps interdit en raison de son coté provocateur et blasphématoire ; aucune intrigue linéaire ne sous-tend ces films, articulés uniquement autour de glissements sémantiques et de délires visuels. Ce gout pour la provocation va se matérialiser avec la rencontre du groupe surréaliste.

Chaussure de gala, 1932
© Alain Biancheri

LE SURRÉALISME. Les réminiscences de sa jeunesse prennent forme et se concrétisent dans un certain nombre de tableaux avec des significations souvent ambiguës ; l’âne pourri trouvé sur la plage, les fourmis qui connotent la souillure ou la pourriture, les béquilles enfouies dans son grenier ou les sauterelles qui le hantaient lorsqu’il était écolier…Toute cette iconographie se révèle à la lumière des écrits de Freud pour qui il voue une vénération sans limite. Après l’étude pour « Le miel est plus doux que le sang », « Le grand masturbateur  » ou « l’homme invisible » mettent en scène ces formes déliquescentes et sans lien apparent, à la grande joie des Surréalistes. Mais si Joan Miro, Yves Tanguy ou Jean Arp voient en Dali l’émergence d’un chef, André Breton finira par le maudire et l’évincer en raison de ses positions politiques ambiguës. N’a-t-il pas voulu représenter Guillaume Tell sous les traits de Lénine ou sous une multiple « apparition partielle  » dans un piano ? Son attitude envers Hitler ou Franco n’a pas toujours été claire et lui a valu de sérieux reproches, même si la « Prémonition de la guerre civile  » et le « Visage de la guerre (1940) » restent de purs chefs d’œuvres. La rencontre avec Gala, l’épouse de Paul Éluard, en 1929, a été une véritable révélation et a guérit Dali de ses crises de fou-rire névrotiques. Muse, modèle et inspiratrice, elle lui permet d’accomplir ses recherches sur la méthode « paranoïa-critique » afin de créer dans un état de semi hypnose. Ses interprétations psychanalytiques d’œuvres célèbres, comme l’Angélus de Millet (« Le spectre de l’Angélus », 1934) ou la Dentelière de Vermeer le conduisent à l’élaboration de tableaux complexes, où les lectures s’enchevêtrent et ne se laissent pas appréhender au premier regard. La recherche de son double (son jeune frère mort avant sa naissance et portant le même prénom) l‘ amène à accroitre les « doubles lectures », comme les « Bustes de Voltaire » surgissant à travers le marché aux esclaves, ou surtout la « Métamorphose de Narcisse  » qui multiplie habilement les reflets et les échos plastiques. Cette peinture sera présentée à Freud lors de sa rencontre à Londres en 1935.

Le christ de Saint Jean de la Croix, 1951
© Alain Biancheri

SCIENCE ET MYSTICISME. De nouvelles passions surgissent après la fin de la guerre : le mysticisme, source de nombreux tableaux religieux comme les crucifixions insolites par leurs prises de vue (« Le Christ de Saint Jean de la Croix », l’Ascension du Christ  ») ou les scènes bibliques (« la Tentation de Saint Antoine 1946 ») dans une veine mystique constamment renouvelée. La science fait aussi son entrée dans les réalisations de Dali qui a fortement été marqué par Hiroshima en 1945 : ses recherches sur l’atome et l’univers cosmique engendrent une « mystique nucléaire » qui l’autorise à déstructurer la réalité comme la «  tête Raphaélesque éclatée » ou à reconstituer des décors dans lesquels domine toujours sa muse Gala. Les recherches sur les trois dimensions et les images fractales l’amènent à réaliser des hologrammes et des installations qui la mettent en scène. Celle-ci, évincée dans les années 60, est remplacée par Amanda Lear qui devient son égérie et son modèle dans la période de ses ultimes productions picturales de grands formats comme « La pêche aux thons » ou le « Torero Hallucinogène ».

l’Ascension, 1958
© Alain Biancheri

L’ARTISTE PROLIXE. Outre les peintures, les portraits au crayon ou à la plume de sa famille, les gravures et illustrations pour le théâtre (projet pour le « Labyrinthe », « Roméo et Juliette »), des installations ponctuent le parcours de l’exposition et présentent de nombreuses sculptures surréalistes que Dali a réalisé dans l’esprit des Ready made de Duchamp, tout en préfigurant le Pop Art qui lui doit une fière reconnaissance. Ainsi les « gants en chocolat  », le « téléphone- homard  » ou le « Veston aphrodisiaque  » annoncent l’esprit dénonciateur des années 60 comme le « Buste de Femme rétrospectif ». La reconstitution du salon de « Mae West » constitue une étape privilégiée dans ce parcours très riche, ainsi que les vidéos et les extraits télévisés. Car ne l’oublions pas, Dali a été un homme de média autant que d’argent, et a su faire fructifier ses « géniales » réalisations grâce à son savoir-faire ; si la période d’exil aux États Unis pendant la seconde guerre mondiale lui a fait porter l’anagramme d’Avida Dollar, ce constat évident n’ôte rien à sa créativité ni à son génie inventif.

Veston aphrodisiaque
© Alain Biancheri
Vidéo Veston aphrodisiaque
© Alain Biancheri

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