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Paris : Critique de l’exposition Matisse au centre Pompidou

Alain Biancheri, artiste et chroniqueur pour Art Côte d’Azur vous propose sa critique parisienne sur l’exposition consacrée à Matisse au centre Pompidou. A voir à Paris donc du 7 mars au 18 juin 2012 : « PAIRES et SÉRIES ».

L’exposition sur Matisse au Centre Pompidou nous présente un aspect particulier de l’artiste accès sur les recherches de répétition, de séries ou de reprises d’œuvres qu’il a pratiquées tout au long de sa carrière.
Le choix des œuvres présentées permet de mettre en évidence les différentes problématiques abordées par l’artiste ; la chronologie nous invite a parcourir différentes étapes d’une création multiforme à travers des œuvres clé, soixante peintures et trente dessins.



Série de "Fenêtres"

Les fenêtres constituent un thème de prédilection réalisé maintes fois, dans les différents lieux et paysages que Matisse a fréquentés. Les trois vues du « Pont Saint-Michel » exposées présentent à la fois des variations techniques au niveau des touches et des modulations de surface, et des perspectives plus ou moins abouties lorsque les aplats esquissés s’estompent dans les lointains. Mais ces paysages de quais parisiens restituent le point de vue initial, c’est à dire l’appartement que Matisse occupait au début du siècle, par les verticales qui créent un artifice visuel et placent le spectateur à la place du créateur ; les vues du « Pont » font référence à la perspective de la Renaissance, véritable fenêtres ouvertes sur le monde, au même titre que les vues de Tanger ou de Collioure.
Les « paires » constituent de véritables démonstrations lorsque l’artiste franchit une étape technique : le passage du pointillisme aux aplats monochromes est nettement évident dans les deux étapes du "Luxe", de 1907, dans lesquelles on voit la suppression des touches au profit de la couleur étalée uniformément dans les différentes parties de la toile ; l’influence de Gauguin réapparaît ici dans la répartition échelonnée de l’espace. L’allégorie du luxe et la servante qui lui porte un bouquet sont traités sans aucune touche apparente dans le « Luxe 2 » , bien que celles-ci subsistent encore sur le bouquet et les collines au loin . Les échos plastiques adoucissent la composition (la courbe de la servante agenouillée, la courbe de la deuxième servante, et les nuages). Nous sommes bien loin des premières recherches, lorsque Matisse s’initie au style impressionniste après des études à l’atelier de Gustave Moreau et que ses touches, plus proches de la facture de Bonnard, plus espacées, laissent apparaître le support du tableau. Elles deviennent pointillistes, en Provence, où il travaille avec Manguin et Marquet au début du siècle. Son séjour à Collioure (1904-1905) avec Signac confirme son approche du divisionnisme dans "Luxe, calme et volupté" et l’éloigne définitivement de la construction Cézanienne de ses premières peintures. Et ces deux étapes du »Luxe » montrent la détermination d’un passage vers les aplats, et la bidimensionnalité comme dans les versions du « Bocal au poisson rouge », présentés à l’exposition.

Les poissons rouges
@Matisse

L’œuvre la plus aboutie de cette série présente les poissons rouges du "bocal", (1914), placé au centre d’intérêt du tableau à l’intersection des médianes pour connoter l’importance de cette problématique. Cette vision de l’espace est déterminante dans des compositions souvent orthogonales avec le guéridon qui sert d’élément de pivot. La perspective est mise en évidence par plusieurs éléments formels, comme les ellipses du bocal, reprises par la soucoupe en bas à gauche, les fuyantes du paysage extérieur vu par la fenêtre, et celles du tabouret, accentuées par la prise de vue en plongée. Mais tout ceci n’est que référence, et les ellipses du bocal renvoient aux premières formes elliptiques des auréoles des saints dans les tableaux de la Renaissance ; ici le propos est ailleurs, dans le reniement de cette vision Albertienne comme le prouvent les aplats du décor et l’absence de modelé. Autre problématique révélée par ce tableau : la quantité colorée, avec le poisson rouge /orangé et la complémentaire bleue omniprésente, car pour Matisse, l’intensité est liée à la quantité. « 1m2 de bleu est plus bleu qu’un cm2 de la même couleur ». Enfin, la transparence et la lumière illuminent cette toile, avec un bocal réceptacle de toutes ces recherches plastiques.

Les différentes versions de « Marguerite au chapeau » (1914) proposent plusieurs approches d’un même sujet – l’ainée des enfants de Matisse - à travers des variations inspirées par la création artistique du moment : la simplification des formes comme l’artiste l’affectionne, ou la géométrisation inspirée par les recherches cubistes de Juan Gris. La couleur omniprésente subit aussi des variations d’intensité et de lumière.

Marguerite au chapeau
@Matisse

La création artistique est interrogée dans « Le peintre et son atelier » (1916-1917), où l’on voit le peintre, le modèle et sa représentation sur la toile avec un anonymat total pour la représentation des corps dans le but d’élargir le champ de la problématique du peintre et du modèle. Celui-ci est placé à l’intersection des médianes, une partie sur le fond sombre alors que le tableau en cours d’exécution est sombre sur fond clair. Cette inversion de valeurs accentue l’absence de personnalisation et magnifie le jeu des aplats, en opposition permanente avec la fenêtre ouverte sur l’extérieur, ainsi que les courbes du fer forgé et du miroir, véritables références à l’Art Nouveau à la mode de l’époque.
Les tableaux de natures mortes permettent de revisiter ce thème récurrent de l’histoire de l’art : « les Natures mortes aux oranges » de 1899 ou les « Natures mortes au coquillage » de 1940 proposent une série de variations sur les couleurs antinaturalistes, en opérant la permutation des valeurs originelles par des couleurs d’intensité équivalente.

Les tapis rouges
@Matisse

Les différenciations des « Blouses Romaines » s’attachent davantage aux animations de surfaces : l’Art Islamique lui a été révélé par une exposition à Munich en 1910 et lors d’un voyage avec Marquet au Maroc. Cette fascination pour l’abstraction qui décore les surfaces "ad infinitum" influence Matisse non seulement dans la manière d’animer toutes les parties de ses toiles uniformément, mais aussi dans celle d’utiliser les arabesques mauresques pour styliser les motifs décoratifs des vêtements.

La problématique de la « quantité colorée » trouve sa pleine expression dans la série des grands intérieurs : l’ « Intérieur rouge de Venise » de 1946 et l’ « intérieur jaune et bleu » 1946. Après les contrastes des complémentaires, la couleur envahit progressivement la toile pour ne laisser apparaître les objets que sous la forme de graphismes, en réserve, débarrassés de toute matérialité, comme la table du "Grand intérieur rouge" (1946), qui semble être en apesanteur.
Les papiers découpés et collés qui déterminent la couleur définitive dans les vingt-deux étapes préparatoires du "Nu rose" en 1935 trouvent leur apogée dans ceux, monochromes qui finissent par prendre leur autonomie dans la série des « Nus bleus » déployés sur un espace immaculé. Les quatre grands papiers gouachés se présentent comme une série et clôturent l’exposition en montrant ce pouvoir de « sculpter la couleur », comme aimait à le dire Matisse.

Une exposition pédagogique et intelligente, qui permet d’appréhender un certain nombre de questions liées aux recherches de l’artiste avec de nombreux points forts, auxquels manquent malheureusement certaines séries importantes comme celles des Odalisques…

Centre Pompidou au coeur de Paris
DR

- Place Georges Pompidou 75004 Paris
- 01 44 78 12 33
- http://www.centrepompidou.fr/

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