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STRASBOUG : Etude du beau bizarre, MAN RAY et les autres…

Sylvio Perlstein a étoffé quarante ans durant une collection qui atteint aujourd’hui son millier d’œuvres d’art, faisant de cet ensemble amateur l’égal des grands musées. Pour en honorer les fruits acquis au fil des voyages et des rencontres, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg expose quelques-unes des plus emblématiques photographies de cette anthologie unique en son genre. De Man Ray à Claude Cahun en passant par Brassaï, les années 1920-1930 dominent ainsi une exposition au parcours rythmé de 8 thématiques évocatrices : corps érotisés, espaces multiples, scénarisations fantasques… Un panorama photographique d’hier et d’aujourd’hui à voir jusqu’au 25 Avril 2010.

La photographie n’est pas l’art

« La photographie n’est pas l’art », disait Man Ray.

De ce dessin croqué par l’artiste en 1937 s’exprime la philosophie du maître, ce fil conducteur en forme d’« esquisito » ou beau bizarre qu’il chasse âprement, objectif à l’appui. L’exposition éponyme, quant à elle, en retrace l’histoire, collectant ces témoins du « regard étrange », un regard sur le réel transformé par nos fantasmes inavouables, nos inconscients et nos rêves les plus fous.
Sur le podium des artistes conséquents à un tel travail et qui firent de l’insolite leur cheval de bataille revient le nom de Man Ray. L’artiste, de par son nom et son œuvre éclectique en atteint la première marche, méditant sur une expérimentation inédite de l’image, clichés oscillants entre monstration et démonstration, du violon d’Ingres surréaliste (célèbre dos à « ouïes » de Kiki de Montparnasse), aux portraits réalistes de Marcel Duchamp-qui aimait tant à se travestir sous le nom féminin de Rrose Selavy-. Contribuant à des mouvements préfigurateurs d’un art dit « moderne », Dada et surréaliste à la fois, Man Ray –de son vrai nom Emmanuel Rudzitsky – construit autour d’une réflexion sur le medium photographique et ses productions, les chef d’œuvres de « surréalisme », qu’il avait dans la peau.
Et non, il ne souhaitait pas produire de « belles œuvres ». Ces clichés (dont on peut voir une partie du travail au gré de l’exposition) dévoilent en premier lieu le mystère du corps, de l’esprit… de la vie, en somme. Une manière entre autre de montrer ce qui l’intriguait. Man Ray, tout comme ses contemporains et ses successeurs, tentait d’incorporer cette savante dose d’expression de la réalité et d’une « émanation » de l’étrange, cet arrêt sur image « surréaliste ».

beau bizarre

Et c’est sous cet angle particulier d’une histoire du « beau bizarre » en photographie que les commissaires d’expositions Régis Durand et David Rosenberg ont choisi de « raconter » la collection Sylvio Perlstein.

Les nombreuses œuvres soumises au regard attestent d’un goût pour l’énigmatique que s’est efforcé de compiler cet amateur et grand collectionneur brésilien. On en a pour toutes les époques : début et fin de siècle, mais surtout 1920-1930, les années folles, les années riches.
Un Parcours au gré de l’histoire de la Photographie

À ce titre, chaque artiste suivant les traces du génial Man Ray a fait de son propre art une façon de « démonter » le réel –cher à d’autres mouvements de la discipline- pour en extraire l’essence bizarre et inhabituelle de la photographie d’un corps, d’un paysage, d’une construction… Et voilà : en les énumérant, on entrouvre la porte aux 8 thématiques de départ choisies pour l’occasion, une exposition et un parcours pour le moins...étrange. Une exposition qui part d’ailleurs de ce beau point d’interrogation : la photographie, est-ce de l’Art ? Une question que, rappelez-vous, Man Ray posait en 1937 sur un simple bout de papier. Et qui, aujourd’hui, devient le déclencheur d’une réflexion autour du médium et de son histoire.
Entre l’usage des techniques (rayogrammes, surimpressions, photomontages…) dont l’artiste a utilisé et réutilisé, et les multiples trucages de la réalité qui font la photographie, de l’avis de certains, c’en était devenu, une sacré supercherie. Car bien avant les travaux de l’artiste aux multiples casquettes –photographe, peintre, dessinateur, écrivain…- apparaissaient bonimenteurs et détracteurs dont la mission semblait être la destruction pure et simple de cet art en suspens, dont on ne savait s’il s’agissait d’art ou de mensonge. Le doute a tourné court : après l’émergence en nombre de courants artistiques au sein de la photographie même, plus rien ne pouvait en ébranler les fondements pourtant fragiles.

On trouvera sur les murs du musée strasbourgeois entre autres figures bien connues : Henri Cartier Bresson –qui écrivit en hommage à André Breton « c’est au surréalisme que je dois allégeance »-, Pierre Molinier –membre du groupe surréaliste dans les années 1960-, Brassaï, Robert Doisneau, Meret Oppenheim, Berenice Abbott, Joseph Kosuth, Georges Hugnet, Nan Goldin, Dora Maar, Gisèle Freund, etc. ! Un ensemble à la valeur exceptionnelle dont le rôle n’est pas d’exposer mais de faire dialoguer ces thématiques au centre du médium d’hier et d’aujourd’hui.

Le corps est à ce titre la première des salles à visiter –majeure dans l’œuvre surréaliste de Man Ray -.

Ces sujets dénudés et fantasmés rencontrent les faveurs des photographes qui expérimentent l’image de façon inédite : transgression des genres féminins et masculins, déformations anatomiques…Le corps démembré de la Poupée de Hans Bellmer répond ainsi à celui devenu simulacre, artifice, prothèse chez Nicole Tran Ba Vang. Ainsi, de son origine (les photographies des nues de Man Ray) à l’actuelle photographie, le sujet attire et provoque toujours autant (Nan Goldin ou Spencer Tunick qui prend des clichés de foules dénudées). Dans la même lignée interrogatrice, on visitera volontiers les salles Objets (qui donnent une dimension sacralisée du produit en nature morte ou affiche publicitaire), Espaces (expérimentations techniques ici aussi avec cette « poétique de l’espace », composant des constructions quasi-évanescentes), Mots (nous évoquant sans détour les collages et montages photos Dada et autres calembours visuels surréalistes), Scènes (spectacle vivant et événements en ponctuent les œuvres exposées) et Masques et visages (portraits réalistes et fictifs entre instantanés photomatons et prises de vues sérieuses dont la frontière est malgré cela bien floue)…

Ainsi, comme le dit Sylvio Perlstein lui-même, il rassemble « les œuvres et les artistes autour de son intérêt pour ce qui le dérange et l’intrigue », faisant de cette magnifique exposition un moment exceptionnel de bizarrerie et de réactions aux images –toujours !- car, en montrant ce qui n’est pas beau, la photographie d’hier et d’aujourd’hui dénotait à juste titre son expression artistique.

Tout est dit : une exposition comme celle du Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, cela ne se manque pas. Et puis, cela ne se comprend qu’en en observant les œuvres « illuminées »...et définitivement hors du temps. Malgré l’Histoire.

Informations Pratiques

Musée d’art moderne et contemporain de la ville de Strasbourg
1,Place Hans Jean Arp.
+33 (0)3 88 23 31 31
Tram : Musée d’art moderne et contemporain

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