"Un monde parfait" ou Comment l’utopie devient concentrationnaire

Martine Feipel et Jean Bechameil se sont interrogés sur le phénomène étonnant de cette architecture qui s’est imposée dans le monde entier pendant les années 50-70. On pourrait la croire née des premiers ordinateurs, rigides et aux géométries simplistes, mais non, cette architecture a été réalisée dans les cabinets d’architectes au Rotring, papier calque et table à dessin.

Exposition de MARTINE FEIPEL & JEAN BECHAMEIL "Un Monde Parfait" à la galerie Gourvennec Ogor

© Human Chahdousti

L’histoire officielle raconte que les besoins en logements d’après guerre étant très importants, il a bien fallu construire à toute vitesse, avec des matériaux les moins chers possibles, ces barres hautes, répétitives, incolores, mais avec salle de bain et cuisine.
Ce qu’on nous dit moins, c’est que derrière cette construction standardisée, modulaire, géométrique, régnait une idéologie, une utopie, celle de vouloir le bien de tous, d’un ordre parfait décidé par quelques uns. On voulait nous imposer une société imaginaire où tout serait simple et organisé, un monde "technique". Il s’agissait de faire une architecture qui réponde à des besoins précis, calculés, rationnels, et la ville allait devenir le laboratoire de cette utopie.

U-topie, u (aucun), topos (le lieu), l’utopie est un non lieu, un nulle part, un lieu qui n’existe pas, une œuvre de fiction sans lien avec la réalité. Elle est la négation de la complexité, de la fantaisie, de l’histoire même de l’homme. Le fonctionnalisme, idéologie dominante chez les architectes de ces années était en fait au service d’une civilisation industrielle de masse, d’une organisation "scientifique" de la société.

A travers leurs installations, la mise en forme de ces façades, du vide qu’elles supposent autour d’elles et entre elles, Martine Feipel et Jean Bechameil nous montrent comment ces constructions et ce qu’elles ont entraîné de misère sociale, sont devenues aujourd’hui un difficile problème à résoudre.