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Avignon, ville-théâtre

Tous les ans au mois de juillet, Avignon, ville paisible, se transforme en ville-théâtre à l’animation effervescente. Les rues grouillent d’un public pressé de courir d’un théâtre à l’autre et les files d’attente s’allongent un peu partout. Au IN, le Festival officiel, s’ajoute le OFF qui ne peut s’étaler davantage sous peine d’asphyxie. Pourtant, chaque année, quelques nouveaux lieux surgissent. Tout devient théâtre, parfois minuscule : une ancienne épicerie, la cour d’un lycée, et même une caserne de pompiers. Tous les murs, lampadaires et autres piliers sont envahis de milliers d’affiches afin d’attirer les spectateurs, tandis que les comédiens déambulent dans les rues pour « tracter » afin d’inciter le passant à venir voir leurs spectacles et partout des parades de rue – provocantes si possible !- créent des attroupements. Cette année 2013, parmi les 1258 spectacles proposés dans plus de 120 lieux, comme toujours la sélection se fait par le bouche-à-oreille : on ne parle que théâtre aux terrasses de café ou en attendant de prendre sa place. Difficile de faire des choix !

Aux Ateliers d’Amphoux, Le Prince et la Catin est une fresque romanesque en costumes. Au XVIIIe siècle, dans un Royaume imaginaire, complots et trahisons surgissent à la mort du Roi : l’un s’apprête à fuir, l’autre positionne des mercenaires aux portes de la ville, un troisième, le frère du Roi, revient après une disparition de longue date. Chacun revendique le trône. Et la catin ? Elle est au cœur de toutes les embrouilles, et en ajoute encore en soulevant quelque secret. Les comédiens s’en donnent à cœur joie : coups d’épée ici, aveux amoureux là... Tout est calculé au plus juste dans l’espace limité de la scène afin de donner de l’ampleur à ce plaisant divertissement. Les comédiens sont épatants – comme on disait dans le temps – (mention spéciale à Yves Patrick Grima) et nous embarquent dans cette épopée digne d’Alexandre Dumas.

"Le Pain de ménage"

Au Vieux Balancier, un autre spectacle en costumes du début du XXe cette fois.
Le Pain de ménage, une des courtes succulentes comédies de Jules Renard, se limite à un subtil dialogue entre un homme et une femme, mariés chacun de leur côté et tentés de goûter aux plaisirs de l’adultère. Ils jouent de la séduction dans toutes ses variations et le spectateur partage avec un grand plaisir les émois, l’intimité, les craintes et les débordements de ce couple d’un soir grisé par les mots. Le désir s’impose, sont-ils prêts à ne pas résister ? Gianna Canova et Bruno Bardet jouent à merveille ce badinage amère et drôle sur le thème de l’usure du couple. Pas d’esbroufe, mais les acteurs savent utiliser silences et sous-entendus de l’écriture concise et savoureuse de Jules Renard.

La Conférence des oiseaux est un conte soufi de Farid ad Din Attâr, adapté pour le théâtre par Jean-Claude Carrière et célèbre pour la mise en scène de Peter Brook en 79 au Festival d’Avignon. Il a fallu beaucoup simplifier, afin de limiter à la taille du Théâtre du Balcon, trente oiseaux pèlerins dans un voyage indéfinissable, chacun représentant un comportement humain ou une faute. Pari réussi pour Serge Barbuscia, metteur en scène et interprète avec Aïni Iften et Elsa Stirnermann de ce poème médiéval où paroles et musiques traditionnelles persanes s’entrecroisent pour nous accompagner dans cette quête initiatique.

Toujours au Théâtre du Balcon, L’importance d’être Wilde, un « coup de cœur du Masque et la Plume » qui est aussi le nôtre ! La pièce de Philippe Honoré, riche, drôle, superbe d’intelligence avec des dialogues étincelants et mordants, est un survol de la vie et l’oeuvre de l’écrivain irlandais, volontiers provocateur. Ses réjouissants aphorismes et autres mots d’esprit se mêlent à des extraits de ses pièces et au récit de sa vie, avec quelques miettes de sa correspondance et son procès pour « outrage aux bonnes mœurs ». C’est magistralement interprété, avec élégance et fantaisie, par trois excellents comédiens malicieux à souhait qui nous régalent de la vie frivole et pathétique de ce dandy à l’humour ravageur. L’émotion n’est pourtant pas écartée.

Au Théâtre du Chêne Noir Zabou Breitman joue et met en scène La Compagnie des spectres d’après Lydie Salvayre (en janvier 2014 au Théâtre de Grasse). Elle a aussi adapté Journal de ma nouvelle oreille (en janvier aussi au TNN), un texte d’Isabelle Fruchart qui interprète elle-même son autobiographie : elle a perdu subitement 70% d’audition à 14 ans, mais, se mentant à elle-même, elle est restée sourde à sa surdité. Son journal raconte les sensations à sa nouvelle écoute du monde quand, à 26 ans, elle se fait appareiller. D’abord entendre sa propre voix, puis celles des autres, la musique, les sons de la nature. Une « audition » très particulière pour une comédienne qui est seule en scène pour une étonnante performance très applaudie.

"Le Pain de Ménage"

Très applaudie aussi, Clémentine Célarié qui a repris au Chien qui fume son succès de l’an dernier Dans la peau d’un noir, d’après l’expérience narrée par John Howard Griffin, un journaliste qui s’est transformé en noir américain. Passeuse de ce témoignage humain, Clémentine Célarié ose ce double pari : se mettre dans la peau d’un homme noir, elle qui est une femme blanche. Seule en scène, avec un chapeau et une valise, elle exprime toutes les ségrégations, les humiliations, les rejets subis par un noir à la fin des années 50. Même si cela date un peu, c’est édifiant et bouleversant.

Au Bourg Neuf, une autre reprise, Velouté, une pièce grinçante et acide de Victor Haïm. Un homme qui va de petits boulots en chômage suppose trouver un « vrai » travail grâce à un recruteur qui semble le prendre en sympathie. Mais il s’agit d’un pervers faussement bienveillant et il devra ravaler sa dignité en se retrouvant domestique, brisé et vaincu, après avoir été manipulé sadiquement. Un malaise s’installe dès le début de cette comédie inquiétante sur le harcèlement moral où l’on rit, mais jaune. Le « velouté » est certes un potage, mais c’est aussi le ton utilisé par le pervers qui met du velours dans ses intonations et ses phrases assassines. Plus ambiguë encore, sa femme, jouet et proie tout à la fois, est confrontée aux agissements rusés de son pervers de mari. Elle débloque, quoique son arme reste la séduction. Le jeu de trois acteurs talentueux souligne parfaitement un suspense surprenant.

Par son festival, Avignon illumine l’actualité culturelle de chaque mois de juillet !

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