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On a aimé à Anthéa : "Clara Haskil, prélude et fugue"

Laetitia Casta s’approprie avec aisance ce personnage de pianiste exceptionnelle, quoiqu’elle interprète une femme mal à l’aise dans son corps et c’est sans excès qu’elle montre sa gaucherie. Juste ce qu’il faut pour permettre l’écart entre la femme splendide qu’est l’actrice et la maladresse de Clara Haskil dès qu’elle s’éloignait de son piano. On sent que ces deux femmes se rejoignent par une grande sensibilité. C’est ce qui fait le lien entre elles et a permis à la comédienne de s’approprier magistralement ce rôle.

Au lever de rideau, il n’y a rien sur scène, aucun décor, seulement un piano et Laetitia Casta en robe noire avec un col blanc en dentelle crochetée genre année 1920, et une longue natte de cheveux dans le dos.

Elle est allongée sur le sol en train de mourir suite à une chute dans un escalier de gare, à Bruxelles. Elle a 66 ans, et défilent les souvenirs de sa vie qu’elle raconte en remontant jusqu’à son enfance.
Lorsqu’elle a 7 ans, on découvre qu’elle reproduit les mélodies à l’oreille. Son oncle l’amène étudier le piano à Vienne, puis à Paris. L’auteur, Serge Kribus, donne une tonalité très naïve à ce qu’exprime Clara qui ne semble n’avoir jamais compris son talent exceptionnel. Par son jeu, Laetitia Casta livre une épaisseur à l’évolution de cette vie. Son sourire éclatant illumine son visage tandis qu’elle déroule les paroles tristes qui racontent une existence terne où le plus grand souhait de cette immense pianiste est de retrouver sa mère, ses soeurs et le chat de son enfance auquel elle se confiait.
Sans qu’elle n’en eu jamais réellement conscience, cette femme à la vie modeste était une pianiste exceptionnelle dont le nom n’a pas eu, pour la postérité, la célébrité qu’il devrait avoir. Peut-être avait-elle trop de doutes pour se soucier d’acquérir la moindre notoriété ce qui lui donna une carrière chaotique. Pourtant tous ceux qui ont assisté à un de ses concerts en gardent un souvenir enthousiasmant.

Avec son talent de comédienne, Laetitia Casta exprime tout le talent de cette pianiste qui avait une image trop négative d’elle-même.

Elle était en prise directe avec la musique, sans complaisance égotique. Pour elle, « la musique est dans le coeur » et elle ignore sa propre perfection.
Pourtant elle aura eu plusieurs mécènes et de multiples admirateurs, parmi lesquels Charlie Chaplin dont une scène des « Temps modernes » arrive dans la pièce. Il disait avoir connu trois génies du siècle : Einstein, Churchill et Clara Haskil.

Laeticia Casta est devenue actrice instinctivement comme Clara Haskil, enfant prodige, était devenue une pianiste exceptionnelle malgré elle. Seule à parler, avec des interruptions musicales, elle ne quitte pas la scène durant une heure et demie. Tandis qu’une pianiste (Isil Bengi) interprète avec une ferveur remarquable les oeuvres que jouait Clara Haskil. Elle aussi a une longue natte pour bien montrer que l’actrice et la pianiste sont le double l’une de l’autre. Pour ce spectacle tout autant narratif que musical, trois pianos se succèdent, selon le déroulement de la carrière de Clara Haskil.

Seule à dire ce texte, l’actrice fait, avec ce monologue aux multiples personnages, une véritable performance en trouvant des connections intimes entre elle-même et celle qui, au piano, se donnait totalement sur scène. Le metteur en scène, Safy Nebbou, avait déjà dirigé Laetitia Casta dans « Scènes de la vie conjugale » qu’elle avait interprété avec Raphaël Personnaz, en 2017, il n’a pas hésité à lui confier ce rôle important.

Caroline Boudet-Lefort

Visuel de Une (détail) DR

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