Cette amitié imaginaire avec cet animal inexistant s’avère envahissante ! Personne ne voit Harvey et pourtant il encombre tout le monde, comme s’il prenait une place inopportune. Toutefois, c’est lui le ressort dramatique de toute l’action.
La soeur d’Elwood décide de faire interner son frère et s’ensuit une ribambelle d’aventures qui commence par la confusion dans les internements, et c’est elle qui se trouve d’abord enfermée.
D’ailleurs, la pièce tord le cou à la psychiatrie, ou du moins à celle de l’époque où, aux Etats-Unis, la lobotomie était alors couramment pratiquée. Les médecins psychiatres sont hautains. Imbus de leur savoir, ils classent leurs patients par catégories de « fous » en leur donnant des étiquettes, croyant avoir la « science infuse ». Mais le fou n’est pas toujours celui qu’on croit !
Dans les années 1940, où date la pièce, aux Etats-Unis les pratiques psychiatriques n’y allaient pas de mains mortes avec camisole de force, bain glacé, etc : voilà ce à quoi est confrontée la soeur d’Elwood. Est bien pris qui croyait prendre !
« Je me suis battu toute la vie contre la réalité, et je suis heureux de l’avoir emporté ! » dit sagement Elwood qui a une « vie à côté », une vie imaginaire où il entraîne Harvey boire des coups chez Charly, leur bar habituel.
Jacques Gamblin sait parfaitement montrer que, pour Elwood, Harvey est une canne sur laquelle il s’appuie pour supporter le monde qui l’entoure. Il peut ainsi s’accorder à toutes les situations : hôpital psy ou autres. Ce comédien – toujours parfait - doit aussi jouer avec un personnage virtuel, tenir compte de sa présence, donner l’illusion, lui parler, le faire exister aussi dans l’imagination du spectateur ... Comme ce fut le cas de James Stewart, rêveur à souhait, dans le film de Henry Koster (1951).
Outre Manche, « Harvey » est considérée comme une « comédie de boulevard », c’est donc le parti pris qu’a choisi Laurent Pelly pour sa mise en scène.
Aussi avons-nous quelques regrets qu’il n’ait pas choisi de l’axer sur la poésie et l’émotion qu’apporte Jacques Gamblin, grâce à sa gestuelle de funambule et à sa manière de poser son regard sur ses partenaires qui jouent tous dans un registre différent : ils sont 10 sur le plateau.
Bravo pour la superbe scénographie signée Chantal Thomas. Elle est faite d’astucieux éléments scéniques mobiles que les comédiens déplacent. Ce qui leur permet de passer aisément d’un lieu à l’autre : de l’appartement d’Elwood à la clinique psychiatrique.
Voici donc un spectacle qui nous entraîne à nous interroger : sait-on jamais où se niche la limite entre la raison et la folie ? Et celle entre l’imagination et la réalité ?