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ANTHEA - EXTASIS / RAVEL, Chorégraphie et danse d’Andrés Marin

Danse et musique s’entrechoquent dans ce moment magique où est présenté sur la scène d’Anthéa « Extasis/Ravel ». Est-ce un voyage dans le temps ? dans l’espace ? Plutôt un voyage intérieur où se bousculent des images étonnantes, splendides...

Un rêve dans lequel se glissent quatre danseuses d’une grande souplesse, se faufilant comme des anguilles agiles et voluptueuses autour d’Andrés Marin qui arrive avec son flamenco rigide et exigeant, mais toujours d’une intense sensualité très masculine. Il trouve son énergie au sol, dans son contact avec la terre. Avec lui, le spectacle conserve le côté guindé et sec de la tradition de cette danse, mais, tout en dansant autour de lui, les quatre danseuses lui donnent vivacité et chaleur animale : il y a beaucoup d’animalité dans leurs gestes corporels.

EXTASIS / RAVEL, Chorégraphie et danse d’Andrés Marin © DR

Les danseuses sont vêtues de la pointe des cheveux au bout des pieds de collants foncés qui semblent faire d’elles des personnages de l’ombre, des fantômes aux gestuelles profondément ancrées et inscrites dans leurs corps, elles rampent, s’enroulent se délient, se lancent dans une sarabande... L’une ajoute des pointes sur les rythmes du flamenco, une idée qui ne peut que réjouir Andrés Marin qui n’aime rien tant qu’élargir son art de renouveau.

Fils d’une lignée de danseurs de Séville - ses parents étaient tous deux danseurs de flamenco - il s’est dégagé de tout modèle pour créer son style personnel à l’esthétique contemporaine.

Ainsi Andrés Marin est un chorégraphe des plus novateurs du flamenco, en procurant un éventail d’émotions et de pulsions effrénées qui illustrent l’espace de liberté dans lequel il s’exerce.

Il a renouvelé totalement le genre du flamenco.
Dans « Extasis/Ravel », sa puissante danse solo est un moment bouleversant de cette chorégraphie qui aurait pour but d’évoquer un personnage emblématique de la culture populaire espagnole traversant les bouleversements de l’Histoire, mais inconnu au-delà des Pyrénées.

La scène est plutôt obscure et le spectateur ne sait s’il rêve. Andrés Marin a toujours préféré les zones sombres à la cruauté de la lumière, les lignes de fractures aux chemins tracés. La dimension envoûtante du spectacle ajoute encore à cette impression de rêve ou de cauchemar dans le silence total de la salle. Jamais public n’a été aussi sage, pas une toux, pas le moindre bruit d’un frôlement, même les mouches n’osaient voler. Un silence parfait pour la réception d’une danse émouvante qui ravive les coins secrets de la subjectivité de chacun, alors que son acuité est mise à l’épreuve d’un ressenti collectif. Le public est suspendu à cette exploration d’un monde découvert au-delà des paupières sans que ce soit un exercice solitaire.

On entend seulement la musique de Ravel - sous influence espagnole - qu’interprètent sur scène trois musiciens : le pianiste Oscar Martin, le saxo Alfonso Padilla et le percussionniste Daniel Suàrez. Les sons mènent tous les sens du spectateur dans un jeu de surimpressions sonores qui trouent l’espace en profondeur. La musique de Ravel se transforme de manière distordue pour devenir des récits de rêve aux sonorités insolites. Le chorégraphe oscille entre d’infimes différences et de notables répétitions.

Andrés Marin nous éblouit littéralement lorsque ses chorégraphies prennent une forme onirique pour engendrer un fantastique rêve d’où il est impossible de dérouler le moindre fil de radicalité. Et c’est tant mieux ! Le spectateur est d’autant plus fasciné. Tout est perçu à travers un prisme qui introduit une dimension mystérieuse.

Une nouvelle création sublime, magistrale, splendide ! C’est bluffant !

Caroline Boudet-Lefort

Artiste(s)