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CHRONIQUE D’UN GALERISTE : Des archives et des hommes - CHAPITRE 20 (Part III)

Affiche de l’exposition d’Arden Quin en 1983 à la Galerie Alexandre de la salle

LE MOUVEMENT MADI…

… est le second Mouvement important que j’ai soutenu…
… et rien n’exprimera mieux ma relation à lui et à Carmelo Arden Quin que le texte que j’ai écrit pour le catalogue édité par l’Espace Latino-américain et ma galerie en février 1983 pour la rétrospective Arden Quin, et qui est présent également dans le Catalogue raisonné des œuvres d’Arden Quin de 1935 à 1958.
En voici les premières lignes, sous le titre « Arden Quin ou la passion d’inventer », et avec en exergue une phrase d’Opplimos « Ces objets forment un cercle glorieux : la conscience ».
Carmelo Arden Quin ne compte plus les expositions qui sont des hommages à l’exceptionnelle importance de son œuvre. Par le nombre et l’importance des ruptures et des innovations qu’il a introduites dans le champ de l’abstraction géométrique, il prend incontestablement place au premier rang de ceux qui, historiquement, ont élaboré ce langage, de ceux dont, après coup, on sait qu’ils furent l’avant garde de leur époque.

Catalogue raisonné de Carmelo Arden Quin (Œuvres de 1935 à 1958), d’Alexandre de la Salle

MADI à Saint-Paul…

J’ai donc exposé Carmelo Arden Quin à partir du milieu des années 70, et lui ai fait sa première exposition personnelle en 1978, l’année où j’ai présenté à la FIAC ses « Coplanals ». Notre collaboration et notre amitié se sont déployées au cours des années, nous nous sommes rejoints sur notre passion de la géométrie et de de la poésie, et, bien sûr, sur MADI, et c’est ainsi que nous avons réanimé ce Mouvement qu’il avait initié à Buenos Aires au début des années 40, développé à Paris à partir de 1948.
De Saint-Paul, en septembre-octobre 1984, nous avons donc lancé un cycle « MADI maintenant/MADI adesso » qui s’est poursuivi en octobre-novembre à Côme, en décembre-janvier à la Galerie Alessandra d’Alessandro à Turin, et en janvier-février à l’Espace Jacques Donguy à Paris. Et puis en juin-juillet 1986, cela a été « Movimento MADI à la Galerie Sincron de Brescia, qui est venue exposer ses travaux à Saint-Paul en avril-mai 1987. Car Carmelo n’a cessé de s’intéresser aux artistes géométriques, réfléchissant toujours de manière intense sur la notion de géométrie, et sa présence a manifestement été un grand stimulant pour pas mal d’artistes de ma galerie. Il était souvent à Nice, donc à Saint-Paul, et dans l’arrière-pays chez Volf Roitman, et nous-mêmes allions à Turin chez sa compagne Edith Aromando, et nous avons fait des voyages ensemble, notamment à Cuba pour la seconde Biennale de la Havane, à laquelle il participait… Donc après sa rétrospective à la galerie en 1978, et ses deux présentations à la FIAC en 1978 et 79, il est toujours présent, mais en 1983 je lui fais une grande exposition de Découpages et collages (1949-58) Peintures mobiles et Coplanals (45-53) Poèmes mobiles et en 1984 nous commençons le cycle « MADI maintenant/MADI adesso » par Saint-Paul, puis ce sera à la Galleria « Il salotto » de Como, la Galleria Luisella d’Alessandro à Turin et l’Espace Donguy à Paris.

Rétrospective Arden Quin à la Galerie Alexandre de la Salle en 1978

Rétrospective Carmelo Arden Quin aux Ponchettes

En 1985 Claude Fournet me proposa de collaborer à une Rétrospective Arden Quin à Galerie des Ponchettes à Nice, en même temps j’exposai les œuvres récentes de Carmelo dans « Programmation du plastique n°2 ». En 1986 ce sera « Movimento MADI » à la Galleria Sincron (Brescia), en 1987, une exposition des « 20/20cm » de Carmelo Arden Quin, en 1988, ses « Formes Galbées 1971, Mobiles 1946-1952 », avec Aurélie Nemours, ils avaient une grande admiration l’un pour l’autre. En 1989, au Musée de Pontoise, « Peintures », il s’agissait de ma collection. En 1989 Arden Quin à Art Jonction, et en 1990 « Ambivalences » dans ma galerie, comme, en 1993, « Arden Quin et MADI », et en 1998 « Peintures récentes », encore avec Aurélie Nemours. La confection du catalogue raisonné de ses œuvres (1935-1958), la partie fondamentale de son œuvre, viendra couronner une collaboration étroite et passionnée.
Dans le catalogue de la Rétrospective Arden Quin (10 mai-23 juin1985) au Musée des Ponchettes (Nice), Claude Fournet avait écrit :
« Formalisme » d’Arden Quin : il semble que l’artiste (qui a dû être et qui reste fondamentalement « architecte ») ait très vite reconnu que c’est à la forme que l’homme avait à donner un sens, qu’il ne s’agit pas de l’inventer mais de transmettre ou de communiquer à travers des trames préexistantes un pou¬voir de représentation de ce qui communique ou se transmet ainsi. Par ailleurs une œuvre étrangement close sur elle-¬même et qui n’implique qu’elle même : qui possède ainsi un pouvoir d’exotisme qu’on irait plus difficilement chercher dans les autres mouvements abstraits géométriques. On n’oubliera pas, disant cela, que Carmelo Arden Quin est né et a vécu en Amérique du Sud, dans un espace qui corres¬pond très peu aux développements des espaces européens et qui semble également étranger à l’espace de l’Amérique du Nord. Il semble enfin que nous ayons beaucoup à attendre de cette dimension sud américaine, plus vaste encore, plus perdue dans ses limites.
Les « tableaux » d’Arden Quin sont de dimensions restrein¬tes. Mais qu’on y prenne garde : ils sont sans dimension. Ils ressemblent à des maquettes impossibles. On ne sait rien de ce qui s’y dit de l’espace projectif, tous les chemins semblant mener jusque- là. Un espace aussi qui se construit au-delà de toutes les frontières et qui se focalise en un lieu (le tableau relief) qui lui même est à traverser de toute part : telle semble la liberté que tente de jouer Arden Quin, liberté esthétique au plus haut sens du mot, celui d’un manque complet d’entraves. Cela ne va pas sans un certain humour qui fait qu’Arden Quin semble aimer à jouer dans la commu-nication le quiproquo et où le manifeste Madi dont il fut l’inventeur explicite qu’il s’agit d’une attitude « qui confirme le désir inaliénable de l’homme d’inventer, d’aller toujours de l’avant, de faire des objets dans le contexte des valeurs permanentes, coude à coude avec l’humanité dans sa lutte avec la construction d’une société qui libère l’énergie et en vienne à dominer et l’espace et le temps en tous sens, de même que la matière, jusqu’aux ultimes possibilités. » On voit que tout n’est pas si simple au pays de la simplicité. (Claude Fournet, Conservateur des Musées classés, Directeur des Musées de Nice)

Catalogue du cycle « MADI maintenant/MADi adesso » organisé par la Galerie Alexandre de la Salle à partir de 1984

Arden Quin à la Galerie Alexandre de la Salle en 1996 pour « Pedro Subjectivo », par France Delville

C’est devant des psychanalystes, le 8 octobre 1945, dans la maison du co-fondateur de l’Association de Psychanalyse Argentine, Enrique Pichon-Rivière, que, lisant son « 2e pré-manifeste », Carmelo Arden Quin accusa les premiers dissidents du Mouvement (qui s’appela pendant deux ans « Arte Concretó Invencion » avant de devenir le Mouvement MADI), de n’avoir pas de « conscience polygonale ». Et qu’il lut également un récit écrit pour la circonstance, un rêve éveillé, « Pedro Subjectivo », que Pichon-Rivière interpréta.
Cette séance était perdue, elle n’avait été ni filmée, ni enregistrée, ni retranscrite, jusqu’au jour où Arden Quin accepta de la réitérer à Saint-Paul, Galerie de la Salle, le 7 février 1996, il
nous traduisit « Pedro Subjectivo » de l’espagnol, nous transmit l’interprétation de Pichon-Rivière, et développa l’idée que, chez lui, le peintre abstrait géométrique, le « De more geometrico » de l’Ethique de Spinoza avait suscité, en réaction et à l’inverse d’une éthique du temps, une éthique de l’espace. Comment donc un enfant sans père (le sien avait été assassiné d’une balle de révolver avant sa naissance, dans une ramos generales, (peut-être celle-ci, imagina Volf Roitman, son co-biographe, et acteur essentiel du mouvement MADI à partir de 1951 à Paris, qui le photographia devant la Casa Masoller en 1995, pensant qu’elle devait ressembler à celle où Carmelo Geronimo Alves, le père d’Arden Quin, mourut en 1912 ), comment donc un enfant sans père allait-il reconstruire le monde ?

« MADI maintenant » à la Galerie Alexandre de la Salle

« Conscience polygonale, de carMelo ArDen quIn à MADI contemporain »

Nous projetions aussi, avec Catherine Topall, directrice de la Galerie Orion que Carmelo et elle avaient ouverte à Paris, rue des Grands Immeubles, une exposition marquante qui raconterait MADI depuis son origine à ce présent toujours riche de nouveaux adeptes. Il s’en est fallu de peu que Carmelo n’assistât à l’exposition « Conscience polygonale, de carMelo ArDen quIn à MADI contemporain » que Frédérik Brandi accepta d’accueillir au « Centre International d’Art Contemporain », Château de Carros.


Préface d’Alexandre de la Salle, galeriste de Carmelo Arden Quin et du Mouvement MADI (extrait)

Nous ayant quittés le 27 septembre 2010, Carmelo Arden Quin ne verra pas cette exposition au CIAC qu’il appelait de ses vœux comme nouvel accomplissement de son rapport intime avec les Alpes-Maritimes. Peu de temps avant sa disparition, avec un grand sourire, il confia à Catherine Topall que je l’avais découvert. Terme poétique de la part d’un poète pour parler de la spécificité de notre amitié…

Préface de Catherine Topall, directrice de la Galerie Orion (Paris) (extrait)
Ce n’était pas une idée en l’air, exposer des œuvres Madi au Château de Carros... Nous en avons parlé et reparlé avec les artistes, avec Carmelo, qui avait vécu à Nice, où nous étions avec lui un certain 9 juillet. Nous avions fait le tour de nombreux endroits qu’il aimait et dégusté la socca pour terminer chez des amis à regarder la France gagner la coupe du monde... Sans doute son dernier séjour dans le Sud. Et de penser à Carros quels rêves nous élaborions...
Ne pas omettre les incontournables, ne pas oublier ceux qui ont disparu, ceux qui, pour des raisons diverses, n’appartiennent plus au Mouvement et ceux qui, grâce à leur passage dans diverses expositions Madi, ont pu retrouver un souffle.

Raphaël Monticelli, Carmelo Arden Quin, Alexandre de la Salle, et Marcel Alocco (de dos) à l’auditorium du MAMAC, 8 février 1996, pendant la projection du film de France Delville sur Carmelo Arden Quin
© Frédéric Altmann

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