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Ballets de Monte-Carlo : fin de saison splendide et d’une inventivité folle !

Pour terminer la saison, les Ballets de Monte-Carlo ont interprété deux magnifiques pièces extrêmement originales : « The Lavender Follies », une nouvelle chorégraphie de l’Américain Joseph Fernandez, familier de Monaco, et « White Darkness » de l’Espagnol Nacho Duato, à la renommée internationale. Leurs univers esthétiques audacieux ont toujours séduit un public exigeant. Jean-Christophe Maillot, directeur artistique des Ballets de Monte-Carlo, aime les risques artistiques et nul ne lui en fera jamais le reproche, c’est une de ses multiples qualités.


« The Lavender Follies » est une insolente chorégraphie très théâtralisée de Joseph Hernandez, où les scénographes Yannick Cosso et Jordan Pallagès laissent leur imagination s’en donner à coeur joie avec l’idée de raconter la permanence du cabaret, passant du Berlin du IIIe Reich à aujourd’hui. Après leurs études picturales, tous deux ont conservé l’influence des tableaux, dont un d’Otto Dix dans lequel un personnage vêtu d’une robe sac - ni homme ni femme, ou plutôt les deux à la fois, selon le sexe indéterminé souhaité aujourd’hui – seul, un verre à la main et assis sur une chaise au fond de la scène. Sous l’effet de l’alcool, il semble regarder ses souvenirs qui défilent avec une pluralité de personnages d’un monde éclaté et dispersé cherchant à se recomposer autrement.
Sous deux lustres à breloques, défilent d’abord des silhouettes marchant apparemment nues, une première fois droites, ensuite voûtées.
Est-ce la vie qui passe suspendue à chaque destin tissé par les trois Parques ?
Ici, trois pin-up vêtues de robes moulantes argentées, avec des cheveux assortis. Elles sont rejointes par un médecin équipé d’un masque et de gants de chirurgien, ce n’est pas impossible que, confronté à sa propre maladie, il n’arrive plus à faire face. L’expressionnisme et la théâtralité sont sidérants.

The Lavender Follies, théâtralité et cabaret ! (DR Alice Blangero)

On admire ce monde dérangeant et un peu fouillis où se nouent des traces de mythologie et de psychanalyse qui n’éclairent guère la démarche du chorégraphe et des deux scénographes, auteurs aussi des costumes étranges et insolites. On peut à l’aise envelopper cette aire de jeux de nos rêves et de nos fantasmes. À vouloir trop en dire, sans ligne de conduite réellement fixée, l’ensemble s’égare cependant dans divers niveaux où le spectateur – même s’il aime – n’y trouve guère de fil à suivre. Car, si le fil du micro de la récitante correspond au fil d’Ariane, il reste sans aucune efficacité pour sortir de ce brouillage labyrinthique. Cette pièce aurait peut-être gagné à être recentrée, sans perdre pour autant de son étrangeté. Accompagnée d’une musique efficace (signée Johannes Till) avec un puissant martèlement, l’oeuvre est très bien dansée avec le niveau technique exigé et elle impose magistralement son originalité et son esthétique indéfinissables.

Un des nombreux duos du ballet de Nacho Duato (DR Alice Blangero)

Entré au répertoire depuis déjà plusieurs années, « White Darkness » a été chorégraphié par Nacho Duato comme un requiem en mémoire de la perte prématurée d’une soeur, victime de la drogue. Procurant une immense émotion, ce ballet est un chef d’oeuvre de l’art moderne.
La chorégraphie exprime un tourbillon de mouvements sur l’état émotionnel d’un être marqué par la drogue et le regard de Nacho Duato a une fois encore valeur de témoignage.
D’abord une danse par un duo sur une musique langoureuse qui va s’accélérer en rythmes vifs. Ce duo est rejoint par un deuxième duo et, peu à peu, d’autres duos arrivent avec des mouvements très articulés dans des ensembles rapides et musclés avec affrontements de corps dans des jeux d’une géométrie simple et forte. Les corps n’ont aucun répit avec des gestes en ruptures et des chutes répétées de duos à l’énergie fougueuse portée par une dizaine d’interprètes.
Dans ce chef d’oeuvre qui atteint des sommets impossibles, il y a une réelle harmonie entre la danse et la musique de Karl Jenkins. Ce compositeur et musicien britannique a parfaitement souligné la souffrance qui a inspiré la chorégraphie de Nacho Duato.
Le public perçoit le chemin choisi par la danseuse qui recherche l’oubli d’une déception amoureuse dans un « paradis » qui n’apporte qu’autodestruction, agitation fiévreuse, et isolement. Dans ce thème complexe, la danse permet de ressentir l’urgence fulgurante et le public se laisse happer par des émotions à fleur de peau.

Avec de longs applaudissements à tout rompre et des hourras enthousiastes, la salle a fait un triomphe à ce ballet splendide et inventif.
Caroline Boudet-Lefort

Toutes photos de l’article DR ALICE BLANGERO Courtesy Ballets de Monte Carlo
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